Les adversaires des 37,5 annuités de cotisation se sont félicités de la reprise du travail à la SNCF et à la RATP, masquant leur hargne d’une apparence de modestie et de bienveillance, en mettant en avant, une fois de plus, le prétendu intérêt général. « C’est une question d’équité dans la répartition de l’effort face à l’évolution de la démographie, à la vie qui se prolonge, au nombre de retraités qui augmente par rapport au nombre d’actifs », déclarait Sarkozy devant les maires réunis en congrès. « Oui, il faut harmoniser les régimes spéciaux sur les 40 annuités de la fonction publique, […] pour des raisons financières […] et des raisons d’équité », avance pour sa part Manuel Valls (Parti socialiste), en précisant qu’il croit bien qu’il s’agit-là de la position de son parti.
Et comment ! Cela fait plus de 25 ans que les gouvernements successifs déploient une propagande mensongère destinée à faire accepter à l’opinion, à l’ensemble de la population, la destruction progressive des systèmes de protection sociale. Au « trou » et autres « déficits abyssaux » de la Sécu, répond, quand il s’agit des retraites, l’argument démographique du vieillissement de la population et de la diminution des actifs par rapport au nombre des retraités.
De Rocard à Sarkozy
C’est Michel Rocard qui ouvre le feu, en 1991, alors qu’il est Premier ministre (PS). Dans son livre blanc sur les retraites, il explique déjà que, pour pallier la baisse du nombre des cotisants prévue en 2040, il faut allonger le temps de versement au-delà des 37,5 années nécessaires, afin d’avoir une retraite à taux plein, et il envisage, pour financer les retraites… les fonds de pension et l’épargne salariale en actions ! En 1993, reprenant ces idées, Édouard Balladur impose par décret, sans réaction de la part des directions des confédérations syndicales, l’allongement du temps de cotisation des salariés du secteur privé, de 37,5 ans à 40 ans, le calcul de leurs pensions sur les 25 dernières années et non plus sur les dix meilleures, l’indexation des retraites sur l’indice Insee. Vient ensuite le tour des régimes spéciaux. Le 25 septembre 1995, Alain Juppé déclarait dans Les Échos : « Est-il juste que les uns cotisent 40 ans et les autres 37,5 ? Moi, ça me choque. » On connaît la suite, la grève générale de la fonction publique, qui l’obligera à remballer son plan.
Mais l’offensive reprendra après 1997, sous le gouvernement de la gauche plurielle, avec d’autres méthodes. En mai 1998, le Premier ministre, Lionel Jospin, commande au commissaire général du Plan, Jean-Michel Charpin, un rapport « sur l’avenir de nos retraites », qu’il présente ainsi lorsqu’il est publié, en avril 1999 : « 2005 marquera le début du départ en retraite des générations nombreuses de l’après-guerre. À partir de cette date, l’équilibre de nos régimes de retraite deviendra très fragile. […] Ne pas l’anticiper conduirait à prendre, dans l’urgence, des mesures douloureuses. » Jospin rajoute d’ailleurs, un peu plus loin, dans sa lettre de mission : « La réforme du régime général de juillet 1993 a ainsi pu être engagée parce que, partant du livre blanc de 1991, les gouvernements successifs ont su expliquer l’absolue nécessité de certains aménagements. »
Le rapport Charpin proposait de porter à 42,5 ans en 2019 la durée de cotisation pour avoir droit à une retraite à taux plein, tandis que le Medef parlait, lui, de 45 ans. La CGT et FO, si elles refusèrent les conclusions du rapport Charpin, en approuvaient le constat, les prévisions des déficits des caisses de retraite étant prétendument entraînés par l’évolution démographique.
En 2000, tandis que le Medef lançait sa refondation sociale en déclarant, entre autres, que « la retraite à 60 ans est devenue impossible à financer », et que Jospin et Chirac approuvaient, au sommet européen de Lisbonne, l’objectif de faire augmenter le taux d’emploi des 55-64 ans à 50 %, Jospin poussait à la création d’un Conseil d’orientation des retraites (COR), composé de représentants syndicaux et patronaux, chargé de trouver des solutions pour « sauver le système des retraites par répartition », menacé par le « vieillissement de la population ». C’est sur la base d’un « diagnostic partagé » que le gouvernement Raffarin imposa, en 2003, la loi Fillon sur les retraites, malgré un mouvement de grève dont l’initiative n’appartient qu’aux salariés et aux militants eux-mêmes.
37,5 ans pour tous !
Il était nécessaire de revenir sur cette histoire pour comprendre à quel point l’offensive actuelle de Sarkozy s’appuie sur les reniements de la gauche institutionnelle et les capitulations des directions des confédérations syndicales. C’est ce consensus qu’ont battu en brèche les cheminots et les salariés de la RATP, sans toutefois pouvoir le mettre en pièces. La lutte pour le maintien des régimes spéciaux est de l’intérêt de tous, non seulement parce qu’elle peut stopper l’offensive que le gouvernement mène contre les retraites de tous les salariés, mais aussi parce que l’argument démographique est un mensonge réactionnaire destiné à justifier l’accaparement, par une minorité de gros actionnaires, des richesses produites par la collectivité.
Outre que le COR a reconnu, dans le rapport qu’il vient de publier, que la population active devrait rester stable, contrairement aux prévisions catastrophistes qui prévalaient jusque-là, il faut dire et répéter que le financement de la protection sociale ne poserait aucun problème si le chômage diminuait, si les salaires étaient augmentés et si on augmentait la part patronale des cotisations sociales.
La revendication des 37,5 ans pour tous s’inscrit dans une perspective globale de contre-offensive du monde du travail autour des exigences qui répondent aux besoins de la population : un CDI pour tous, augmentation des salaires de 300 euros pour tous et pas de salaire inférieur à 1 500 euros net, avec ou sans emploi. Face au front des tenants des réformes libérales, la grève des cheminots et des salariés de la RATP a permis que s’expriment les intérêts d’un autre camp, celui des travailleurs, celui de la collectivité. Après les grèves de 2003 et celles de 2006, elle s’inscrit dans la reconstruction d’un mouvement ouvrier sur des bases d’indépendance de classe, dont participe la bataille pour la construction d’un parti anticapitaliste.