Rula Daoud et Alon-Lee Green, codirecteurs du mouvement. « L’adhésion au mouvement a changé ma vie », dit Rula Daoud.
« Vous n’êtes pas seule », dit la femme juive à la femme arabe. En larmes, les deux Israéliennes, qui se rencontraient pour la première fois, se sont embrassées. La scène s’est déroulée à Lod, dans le modeste appartement de la femme arabe, Isra Abou Laban Oudi. Mère célibataire, son fils de 3 ans, Tareq, gambade joyeusement parmi les 14 inconnus, juifs et arabes, qui ont été accueillis dans sa maison.
Depuis le début de l’année scolaire, explique Mme Oudi, son fils, qui ne parle que l’arabe, fréquente une école maternelle municipale où l’on parle hébreu. Le 7 octobre, lorsque les enfants sont retournés à l’école, Tareq était lui aussi heureux de retrouver ses camarades après ces deux semaines d’interruption. Cependant, selon Mme Oudi, lorsqu’elle l’a entendu parler arabe, son enseignante l’a frappé et lui a demandé de ne pas utiliser « cette langue ».
Oudi a déposé une plainte, qui est toujours en cours d’examen, auprès de la police, mais depuis lors, c’est-à-dire depuis quelques semaines, Tareq ne va plus à l’école maternelle. L’enseignante, qui nie avoir frappé Tareq et affirme l’avoir seulement grondé, a également déposé une plainte, affirmant qu’Oudi l’accusait à tort. Elle est toujours en fonction dans cette école.
Toute cette situation a plongé Oudi dans un sentiment d’impuissance et de solitude. En tout cas, jusqu’à l’initiative de solidarité qui a eu lieu chez elle, lorsque des membres de « Debout ensemble » - un mouvement social judéo-arabe qui s’efforce de construire une société égalitaire et solidaire en Israël au moyen d’actions collectives à la base - sont venus lui témoigner leur soutien.
Trois jours après cette visite, Mme Oudi et son jeune fils ont participé à une initiative organisée par le mouvement dans la ville voisine de Ramle, qui, comme Lod, a une population mixte. Là, dans une salle de réception qui n’avait pas été retenue pour y organiser un événement, des Arabes et des Juifs travaillaient côte à côte à la confection de colis alimentaires destinés aux familles juives, musulmanes et chrétiennes dont les moyens de subsistance avaient été réduits à néant à cause de la guerre.
Oudi et son fils ne se sont pas associés par hasard à l’activité de « Debout ensemble ». Cela s’inscrit dans le « programme de reconstruction » que le mouvement recommande aux personnes qui ont été frappées par le racisme : retourner cette épreuve pour la transformer en activité constructive. « Cela donne aux gens la force de traduire la blessure en action collective, cela leur fait retrouver le sentiment de maîtriser les choses et cela nous apporte de nouveaux membres très motivés », explique Omri Goren, 24 ans, qui supervise l’activité du mouvement dans la région de Ramle-Lod et en dirige également la section estudiantine.
Après que les bénévoles ont fini d’emballer tous les produits alimentaires, et juste avant que les colis ne soient livrés à des adresses situées un peu partout dans la ville, les 30 bénévoles se sont regroupés pour former un cercle de dialogue. M. Goren leur a demandé de se présenter et de décrire ce qu’ils ressentaient en ces moments de grande tension.
Un homme, arabe, a raconté que sa femme, qui craignait les conséquences de la guerre pour les citoyens arabes d’Israël, était partie à l’étranger avec l’un de leurs enfants, alors que son autre fils, ingénieur électricien, avait été licencié à cause de la « situation ». Un juif assis à côté de lui a déclaré que depuis une trentaine d’années, il était propriétaire d’un magasin à Ramle où les juifs, les chrétiens et les musulmans faisaient leurs courses, et qu’il entretenait des relations chaleureuses et étroites avec chacun d’entre eux. « Nous sommes comme des frères », a-t-il déclaré. « Il y a du respect et un véritable amour. Je suis fier d’être un habitant de Ramle qui a des amis à Ramle ».
Une femme juive a raconté aux autres que sa nièce avait été tuée le 7 octobre et qu’elle était inquiète pour les perspectives de vie commune en Israël. « C’est pour cela que je suis ici ».
Les bénévoles de Debout ensemble distribuent des colis alimentaires à Ramle en novembre. David Bachar
Bien que cela puisse en surprendre plus d’un - mais les dirigeants du mouvement ne sont pas de ceux-là - la demande pour le message de solidarité et la perspective d’un avenir commun que propose « Debout ensemble » n’a cessé de progresser depuis le début de la guerre. Ceux qui pensaient que la poussée de suspicion mutuelle entre Arabes et Juifs entraînerait le détricotage du fragile tissu de la société israélienne sont invités à participer à l’activité du mouvement et à faire le constat qu’ils se sont trompés.
« Debout ensemble », qui a été fondé en 2015 et qui fait siennes les valeurs d’égalité, de paix, de justice sociale et de socialisme (et qui, en temps normal, intervient dans les domaines de l’environnement, de l’éducation et du social dans le cadre de campagnes diverses), est en train de gagner en puissance. Le nombre de ses membres augmente chaque jour. La couleur violette qui est associée au mouvement et son tout nouveau slogan, « Ensemble, nous en sortirons », sont de plus en plus visibles à la fois dans le monde réel et en ligne. La plupart des nouveaux membres sont des jeunes, des Arabes et des Juifs, soulignent les dirigeants du mouvement. Depuis le 7 octobre, une douzaine de groupes mixtes arabo-juifs, appelés « gardes de solidarité », ont été créés dans tout le pays, et viennent s’ajouter aux huit branches déjà actives. Onze sections étudiantes ont également été créées, en plus des neuf qui existaient déjà.
Adhérer au mouvement n’est pas un acte anodin, puisqu’il faut payer une cotisation mensuelle. Les montants sont variables et dépendent de la situation économique de chacun, à partir du niveau minimum de 5 shekels (environ 1,40 $). À l’heure actuelle, le mouvement compte plus de 5 000 membres cotisants, auxquels s’ajoutent 2 000 personnes qui participent aux activités du mouvement sans en être formellement membres.
Les cotisations représentent la moitié du budget de « Debout ensemble », et les 50 % restants proviennent de fondations privées, petites et familiales, ou de grandes organisations philanthropiques bien connues, comme le « New Israel Fund ». Par principe, afin de préserver la liberté d’action et le caractère citoyen du mouvement, « Debout ensemble » n’accepte pas d’argent des gouvernements étrangers.
Tamar Asadi a rejoint le mouvement au lendemain du 7 octobre. Asadi, 28 ans, est originaire du village de Deir al-Asad, dans le nord du pays. Elle est professeur principal pour les élèves de terminale dans un lycée juif de la région, où elle travaille depuis six ans. Elle aussi se dit « très inquiète » depuis le début de la guerre. « Je connaissais aussi des gens qui étaient au festival [Nova] et dans les communautés de la frontière de Gaza, et d’une façon générale, j’étais préoccupée par ce qui viendrait après », dit-elle.
« Sur les réseaux sociaux, poursuit-elle, tous les messages étaient sinistres et terrifiants, et soudain, j’ai vu un message de couleur violette, qui parlait de solidarité, à la fois en hébreu et en arabe. J’ai eu l’impression que quelqu’un m’avait lancé une bouée de sauvetage. J’ai écrit aux personnes à l’origine du message, qui faisaient partie de »Debout ensemble« , pour leur demander si le mouvement avait une branche à Deir al-Asad. »Ils m’ont répondu que non, alors j’ai décidé de prendre l’initiative et de créer une garde de solidarité entre les communautés arabes et juives de Galilée. En quelques heures, nous avions 350 nouveaux membres. Nous avons tenu notre première réunion via Zoom, et le ressenti était si bon que nous avons décidé de tenir une réunion en présence les uns des autres".
Asadi poursuit : « Nous avons invité tout le monde au centre communautaire de Deir al-Asad. L’un des participants, originaire du kibboutz Tuval [tout proche], s’est excusé de devoir partir plus tôt parce qu’il était de garde au kibboutz - ’pour nous protéger de vous’, a-t-il dit - et tout le monde s’est mis à rire. Je n’arrête pas de parler de cette anecdote et j’ai compris à quel point ce que nous faisons avec »Debout ensemble« est important. » »Depuis lors, mon action n’a fait que s’intensifier. Nous avons rencontré des équipes médicales mixtes composées d’Arabes et de Juifs dans des centres de soins ; nous avons rendu une visite de solidarité à Maayan Sigal-Koren, dont cinq membres de la famille ont été enlevés au kibboutz Nir Yitzhak, et dont deux sont toujours détenus à Gaza ; j’ai invité des amis à une réunion chez moi, qui s’est révélée très émouvante pour moi ; et bien d’autres choses encore".
Une visite de solidarité chez Maayan Sigal-Koren. Cinq membres de sa famille ont été enlevés au kibboutz Nir Yitzhak.
« Debout ensemble » me donne un lieu où je peux être qui je suis, explique-t-elle, « en même temps que l’espoir que je cherche depuis longtemps. Mon activité au sein du mouvement est également un message pour mes élèves. Ils voient une enseignante israélienne, une femme arabe, une musulmane, une Palestinienne qui, d’une part, est attachée à Israël et, d’autre part, n’a pas honte de son identité [arabe]. Le changement doit venir des citoyens. Notre génération est désorientée quant à son identité, elle est triste et craintive, mais la société arabe fait preuve de solidarité, de dignité et d’empathie en ce moment, non seulement par crainte, mais surtout parce qu’elle partage un destin commun ».
Sigal-Koren, résidente du kibboutz Pelekh, dans la région de Misgav, qualifie la visite de solidarité que les membres du mouvement lui ont rendue de « la plus intense et la plus porteuse d’espoir que j’aie vécue depuis que tout cela a commencé. Cette rencontre m’a touchée comme aucune autre rencontre n’a pu le faire au cours de cette période », explique-t-elle à Haaretz.
Les militants de « Debout Ensemble » ont demandé à Sigal-Koren comment ils pouvaient l’aider, elle et les autres familles des captifs, et il lui est soudain venu à l’esprit que la campagne menée en ligne et par le biais d’affiches et de panneaux demandant la libération des otages devrait également être traduite en arabe. C’est ce qui a été fait rapidement avec l’aide des membres de l’équipe de solidarité. Sigal-Koren a ensuite été invitée à raconter son histoire lors d’une réunion de « Debout ensemble » dans la ville arabe de Nahaf. Devant un public de 300 Arabes et Juifs, elle a fait un appel pour que son oncle, Fernando Marman, et Louis Har, le compagnon de sa mère, soient ramenés de Gaza (sa mère, Clara, a été libérée le 28 novembre).
« Beaucoup de gens ne comprennent pas que les Arabes d’Israël ont peur de tout le monde. Nous avons peur du Hezbollah... Nous avons peur du Hamas... Et nous avons peur de la police et de l’armée en Israël, ainsi que des civils juifs qui pourraient nous agresser ».
Sally Abed
Depuis ce samedi en enfer, le mouvement a organisé plus d’une centaine d’initiatives, dont des conférences réunissant Arabes et Juifs, en hébreu et en arabe, à Tamra, Nazareth, Abu Ghosh, Lod, Jérusalem, Be’er Sheva, Tel-Aviv et ailleurs. Ils se sont rendus dans des hôpitaux pour rencontrer des soldats blessés et s’entretenir avec des équipes médicales juives et arabes ; ils ont également nettoyé des abris publics, envoyé des colis alimentaires et d’autres produits aux familles dont les sources de revenus s’étaient taries, suivi des cas de violence raciste en Israël et effectué des visites de solidarité comme celle qui a eu lieu au domicile d’Oudi.
L’une de leurs initiatives les plus importantes est la mise en place d’une ligne téléphonique d’urgence, qui offre une assistance à toute personne victime de racisme ou ayant besoin d’un accompagnement physique pour se rendre sur son lieu de travail, à une consultation médicale ou au commissariat de police afin de déposer une plainte pour racisme. La ligne d’assistance, qui fonctionne sept jours sur sept, a reçu des centaines d’appels de personnes dont les cas sont à différents stades de traitement.
Elle est actuellement animée par 90 bénévoles, indique Oded Rotem, son coordinateur. Beaucoup d’autres voulaient se joindre à eux, mais le mouvement a déclaré une pause dans l’acceptation de nouveaux bénévoles, car il n’est pas en mesure les former aussi rapidement qu’il le faudrait.
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Environ 700 personnes ont assisté à la conférence de « Debout ensemble » à Haïfa, le 4 novembre. Comme c’est souvent le cas dans cette région, la conférence ne s’est tenue qu’après qu’une solution de rechange a été trouvée, le lieu d’origine ayant dû être abandonné à la suite des pressions exercées par des militants de la droite. Lors de cet événement, Sally Abed, qui dirige l’équipe de renforcement des ressources du mouvement, a parlé de sa mère, qui travaille pour le district nord de l’Institut national d’assurance (administration de la sécurité sociale), qui s’occupe des demandes d’aide sociale des familles endeuillées et des familles des otages de Gaza. Elle a raconté comment, après une dure journée de travail épuisante sur le plan émotionnel, sa mère rentre à la maison, allume une chaîne d’information arabe et voit ce qui est infligé aux membres de sa famille dans la bande de Gaza.
« On nous dit qu’il faut prendre parti », explique Abed. « Mais ce choix nie inévitablement l’humanité de l’autre bord. Je refuse qu’on me vole mon humanité. Je refuse d’être privée de mon identité israélienne », a-t-elle déclaré, sous les applaudissements du public. Après la réunion, Abed a été abordée par un vieil homme juif portant une kippa, qui avait les larmes aux yeux. Il l’a embrassée et lui a dit : « Merci, c’est la première fois que je respire depuis le 7 octobre. Vous m’avez permis de compatir à la douleur de l’autre camp et de me percevoir à nouveau comme un être humain ».joNmB0u47gModvwX.gif
Sally Abed. Selon elle, ce mouvement est le premier depuis longtemps à « porter une narration politique capable de rivaliser avec la narration de l’extrême-droite ».Credit : Tomer Appelbaum.
Des phénomènes aussi émouvants ont également été observés lors d’une réunion à Tira, une ville arabe du centre d’Israël, deux semaines plus tard. Environ 120 Arabes et Juifs y ont écouté attentivement le député Ahmad Tibi (Hadash-Ta’al), le professeur Dani Filc (du département de sciences politiques de l’université Ben-Gourion) et d’autres intervenants. Les participants se sont ensuite répartis en petits groupes, ce qui leur a permis de partager et d’analyser leurs sentiments et leurs craintes. Nombre d’entre eux ont déclaré que la soirée leur avait redonné de l’espoir. Au cours d’un long entretien avec eux dans les bureaux de « Debout ensemble » à Tel-Aviv, dont les murs sont peints en violet, je demande au codirecteur juif, Alon-Lee Green, 35 ans, et à son homologue arabe, Rula Dauod, 38 ans, d’essayer d’analyser la source de cet espoir.
« À mon avis, la clé pour comprendre cet espoir réside dans le principe du partenariat coopératif », explique Rula Daoud. Pour certaines personnes, notre activité leur permet de rencontrer « l’autre » pour la première fois depuis le début de la guerre. Ils ressentaient colère et confusion, et nous leur permettons de parler uniquement de leur douleur, sans qu’elle soit mêlée à la haine et au nationalisme, ou à des discussions politiques. C’est libérateur. Lorsque vous voyez une femme arabe pleurer avec vous pour les mêmes raisons, cela fait naître l’espoir qu’ensemble, nous pouvons nous en sortir.« Green : »Au début de la guerre, ce qui dominait ici, c’était la peur et la solitude. Notre activité permet de rencontrer ceux que l’on qualifie d’« ennemis » et d’entendre de leur bouche qu’ils ont eux aussi peur, qu’ils sont tristes et qu’ils se sentent seuls. C’est une validation pour ceux [les Juifs] qui ne veulent pas avoir peur des Arabes, mais qui ont quand même peur - et il n’y a pas besoin d’embellir les choses : Le 7 octobre et les jours qui ont suivi étaient vraiment terrifiants. Je pense que c’est en partie ce qui donne de l’espoir : j’ai eu peur, et maintenant j’ai un peu moins peur. Nous ne disons pas aux gens : « Le racisme est mauvais, tss, tss, tss » ; nous démantelons le racisme par le biais d’une lutte commune pour nos besoins et nos expériences partagés dans ce pays« . »Et, ajoute Daoud, nous avons tant de choses en commun. Beaucoup ont tendance à l’oublier, mais nous sommes toujours heureux de le rappeler à tout le monde".
Plus tard, Abed, que je rencontre dans les bureaux du mouvement à Haïfa - qui affichent le même motif violet que le siège de Tel-Aviv - ajoute son explication concernant l’espoir. « Nous ne le prêchons à personne », dit-elle. « Nous ne faisons que fortifier l’expérience vécue, et c’est apparemment ce qui donne de l’espoir ».
La morale est une autre clé pour comprendre le succès actuel de « Debout ensemble ». Le concept sous-jacent est celui de la « dissonance éthique ». Selon le sociopsychologue Shahar Ayal, professeur à l’université Reichman, ce terme se rapporte à la discordance entre le comportement immoral d’une personne et son besoin de préserver une image morale positive d’elle-même. Pour réduire la dissonance éthique, les gens évoquent diverses justifications de la conduite de leur gouvernement ou de leur armée, ou de leur propre comportement. Il peut s’agir, par exemple, d’un mécanisme de double distanciation : Ils jugent sévèrement les autres, mais se perçoivent eux-mêmes comme plus moraux et plus éthiques".
Cette forme de dissonance est à l’origine de la pression qui s’exerce actuellement pour choisir un camp. Pour échapper à la spirale morale, il est « interdit » aux Israéliens d’avoir pitié des Gazaouis, et aux Palestiniens d’avoir pitié des Israéliens. Pour continuer à se considérer comme des êtres moraux, de nombreux Israéliens se disent en effet que les enfants de Gaza souffrent parce qu’ils sont des partisans du Hamas. Du côté palestinien, beaucoup se disent que le massacre du 7 octobre est une fiction israélienne, ou un maillon de plus dans la chaîne de la lutte contre l’occupation. « Debout ensemble » propose en fait une troisième voie, qui rend la dissonance éthique superflue. On peut ressentir de la douleur pour les deux ; il n’est pas nécessaire de choisir un camp.
« Il est normal de regarder un garçon comme un garçon, une famille comme une famille, peu importe d’où ils viennent », déclare M. Green. Nous disons cela aussi à la gauche mentalement aliénée (lunatic) des États-Unis - qui ne doit pas oublier que le Hamas existe et qu’il y a eu un horrible massacre - et à la droite israélienne, dont les partisans passent à la télévision et disent des choses révoltantes sur des enfants dont la seule « faute » est celle d’être nés dans la bande de Gaza. Il est très difficile de se trouver dans une position où l’on essaie de tenir ces deux choses ensemble, mais c’est indispensable".
Les critiques à l’égard de ce que vous faites sont nombreuses. Un homme de droite m’a dit que vous étiez naïfs, une femme du centre du pays m’a dit que tout cela ne pouvait pas fonctionner sur la base d’une coopération entre Arabes et Juifs, et une personne de gauche a dit que vous ne parliez pas assez de l’occupation.
Green : L’un de nos slogans est : « Il n’y a pas de mouvement sans friction ». Si nous voulons faire bouger les choses, il est évident que les opinions à notre sujet divergeront.
« Debout ensemble » est un courant de pensées, à partir duquel nous dérivons nos actions. Nous avons introduit une nouvelle idée dans la société israélienne, celle d’une politique qui voit les gens. Vous pouvez nous dire jusqu’à demain que les termes « paix » et « juif-arabe » sont kitsch, mais je ne connais pas d’autres mots kitsch pour lesquels les gens sont qualifiés de « traîtres » et sont harcelés. Vous pouvez nous traiter de « naïfs », mais vous pouvez aussi dire que la paix est la solution politique la moins naïve qui existe aujourd’hui.« Ces jours-ci, le violet emblématique de Debout ensemble et son nouveau slogan, »Ensemble, nous nous en sortirons", s’affichent dans de plus en plus d’endroits.Crédit : Amoon Shany Gillon
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M. Green, qui milite politiquement et socialement depuis sa jeunesse, a été l’assistant parlementaire de l’ancien député Dov Khenin (Hadash). Il paie un lourd tribut à son désir de paix. En tant que codirecteur de « Debout ensemble », il travaille presque 24 heures sur 24, dort à peine et mène plusieurs activités de front. Son téléphone ne cesse de sonner, dit-il, mais de façon négative. Il reçoit un nombre colossal d’appels et de messages écrits, remplis d’injures, de malédictions, de souhaits de torture et de mort, ainsi que du classique « Va à Gaza ».
Depuis que des militants d’extrême droite, dont le célèbre rappeur et militant d’extrême droite Yoav Eliasi, alias « The Shadow », ont rendu public le numéro de téléphone de M. Green, ce dernier fait l’objet d’attaques verbales incessantes, parfois dans la rue lorsqu’il est reconnu. Il reconnaît que les injures et les réflexions violentes sont difficiles à supporter. Il a déposé deux plaintes auprès de la police pour harcèlement (qui, à ce jour encore, n’est pas physique), mais aucune mesure n’a été prise.
Pour échapper à la tourmente morale, il est « interdit » aux Israéliens d’avoir pitié des Gazaouis, et aux Palestiniens d’avoir pitié des Israéliens. « Debout ensemble » propose une troisième voie : Vous pouvez ressentir de la compassion pour les deux ; vous n’avez pas besoin de choisir un camp.
M. Green se dit toutefois moins inquiet pour lui-même que pour les femmes arabes qui font partie du mouvement. « Il est trop facile de s’en prendre à elles. Il est si simple d’attaquer une femme arabe en Israël aujourd’hui », dit-il. En fronçant les sourcils, Mme Daoud parle de toutes les fois où on lui a dit qu’elle mérite d’être violée. « Ce qui me blesse le plus, c’est quand des femmes me disent cela, comme s’il n’y avait pas de solidarité entre les femmes dans le monde ».
Green : "C’est l’une des choses les plus difficiles pour moi sur le plan personnel : à quel point il est facile de perdre quelque chose en soi et de souhaiter à une autre femme l’une des choses les plus terribles que nos femmes ont subies le 7 octobre. Je vois comment des politiciens cyniques exploitent un terrain fertile et encouragent tout cela. Lorsque j’entends les malédictions que subissent mes amies arabes au sein du mouvement, je ne peux que me demander comment elles parviennent à rester membres. Comment se relever après un tel moment d’humiliation ?
Pour Abed, « les forces de la droite radicale sont obsédées par »Debout ensemble« . Je pense que c’est parce que, pour la première fois depuis longtemps, nous véhiculons un discours politique capable de rivaliser avec celui de l’extrême droite. Alors que ces forces agissaient efficacement et de manière organisée, quittant les franges illégitimes de la société israélienne pour entrer à la Knesset, au gouvernement, dans l’armée, dans les médias et dans le courant dominant de la société israélienne, la gauche a perdu sa légitimité et a perdu les Arabes, en particulier ceux de la jeune génération. Aujourd’hui, nous véhiculons un discours fort, nous construisons un nouveau camp de la paix composé de jeunes, d’Arabes et de Juifs, de progressistes au sens positif du terme - pas de fous, de vrais libéraux. Nous disons : »Nous avons atteint le fond, et à partir de maintenant, nous nous relèverons ensemble". Nous nous battons pour notre humanité.
Pour Abed, « les forces de la droite radicale sont obsédées par »Debout ensemble« . Je pense que c’est parce que, pour la première fois depuis longtemps, nous véhiculons un discours politique capable de rivaliser avec celui de l’extrême droite. Alors que ces forces agissaient efficacement et de manière organisée, quittant les franges illégitimes de la société israélienne pour entrer à la Knesset, au gouvernement, dans l’armée, dans les médias et dans le courant dominant de la société israélienne, la gauche a perdu sa légitimité et a perdu les Arabes, en particulier ceux de la jeune génération. Aujourd’hui, nous véhiculons un discours fort, nous construisons un nouveau camp de la paix composé de jeunes, d’Arabes et de Juifs, de progressistes au sens positif du terme - pas de fous, de vrais libéraux. Nous disons : »Nous avons atteint le fond, et à partir de maintenant, nous nous relèverons ensemble« . Nous nous battons pour notre humanité. »On ne nous laisse pas d’espace pour nous exprimer« , dit-elle. »Personnellement, j’ai gardé le silence depuis lors. Ce qui me fait le plus mal, c’est que des personnes modérées ont pris position contre moi. Pourquoi parler de Gaza maintenant ? ont-ils demandé. Ils veulent que je ne parle que de la solidarité judéo-arabe à l’intérieur d’Israël. Beaucoup de Juifs ne nous considèrent pas, nous les Arabes d’Israël, comme faisant partie de la société, et ils ne croient donc pas que ma douleur concernant les atrocités du 7 octobre soit authentique.
« Beaucoup d’entre eux ne comprennent pas que les Arabes d’Israël ont peur de tout le monde », poursuit-elle. « Nous avons peur du Hezbollah - j’ai grandi dans le nord pendant la deuxième guerre du Liban, je sais à quel point le Hezbollah est effrayant. Nous avons peur du Hamas - nous avons vu qu’il n’épargne personne, les Arabes non plus. Et nous avons peur de la police et de l’armée en Israël, ainsi que des civils juifs, qui pourraient s’en prendre à nous ».
Contrairement à Green et Abed, Daoud est entrée relativement tard dans le monde de l’activisme socio-politique. Orthophoniste de formation, elle a travaillé de nombreuses années dans ce secteur. Elle a rencontré « Debout ensemble » lors d’une manifestation que le mouvement a organisée à Jérusalem en 2019. « Une femme vêtue d’un tee-shirt violet sur lequel on pouvait lire des inscriptions en arabe et en hébreu se tenait là et criait des slogans dans les deux langues. Elle a commencé à marcher et tout le monde a marché derrière elle. J’ai été stupéfaite par elle et par le pouvoir d’un acte aussi simple. J’ai compris que si je voulais changer les choses, je n’étais pas dans le bon secteur d’activité. J’ai rejoint »Debout ensemble« , et c’est devenu un voyage qui a changé ma vie. »
Des volontaires de Debout ensemble. Elles et ils visitent des soldats bléssés àl’hôpital, nettoient des abris publics, envoient des colis de nourriture aux familles qui n’ont plus de sources de revenu et recensent les cas de violence raciste.
Le terme « changer la vie » est revenu dans l’interview, cette fois dans le contexte du samedi 7 octobre. « J’ai compris qu’il s’agissait d’un événement qui changeait la vie, qui changeait le paradigme et qui allait également changer le cours de l’histoire », explique M. Green. « Les premiers jours, nous nous sommes contentés d’apporter de l’aide et du soutien aux membres de l’équipe qui avaient été blessés, aux membres du mouvement et à tous ceux qui avaient besoin d’aide. Ce n’est que dans un deuxième temps que nous avons commencé à réfléchir à notre rôle en tant que mouvement dans ce moment, et nous nous sommes retrouvés au cœur d’un débat passionné. »Un groupe, se souvient-il, nous a dit : « Laissons tomber Gaza pour le moment, nous parlerons de la paix entre Juifs et Arabes à l’intérieur d’Israël, nous serons le moins politique possible afin de créer le plus grand espace possible pour les actions communes, y compris pour tous ceux qui se disent désillusionnés ». Un second groupe affirmait que si nous n’agissons pas comme un mouvement de paix qui parle du jour d’après, personne ne le fera. Il y a eu beaucoup de discussions. À la fin, nous avons décidé de faire valoir les deux discours, l’un à côté de l’autre."
Que répondez-vous à ceux qui disent que [après le 7 octobre] ils n’ont plus d’illusions et qu’ils croient maintenant que le Hamas doit être anéanti, quel que soit le nombre de victimes que cela implique du côté palestinien ?
M. Green : « Qu’est-ce qu’ils proposent en fait ? Que nous restions dans une guerre perpétuelle d’anéantissement mutuel, que nous choisissions une vie dans laquelle un camp unique triomphe chaque fois un peu. Nous, au contraire, nous offrons une parcelle d’horizon, même s’il semble lointain pour l’instant. Je pense que l’illusion brisée qu’il convient de retenir du 7 octobre est que le souhait de voir les Palestiniens disparaître de la région n’est pas près de se réaliser. »Une autre illusion brisée oblige à se rendre compte du fait que le Hamas était l’acteur le plus faible pendant la période d’Oslo, lorsque les Palestiniens nourrissaient un véritable espoir et avaient un horizon diplomatique. Cela montre que pour mettre en échec des idées aussi horribles que celles du Hamas, il faut proposer une idée différente, convaincante et chargée de charisme, à la fois aux Palestiniens et aux Israéliens. L’une de ces idées repose sur la paix et l’égalité, et je dis cela d’un point de vue patriotique, d’un point de vue intéressé, car je veux pouvoir vivre ici en sécurité. »
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Le message du mouvement violet est sollicité aussi bien à l’étranger qu’en Israël. Green et Abed sont récemment rentrés d’une tournée aux États-Unis, où ils ont pris la parole devant des milliers de personnes dans des synagogues, des mosquées, des centres communautaires et des établissements d’enseignement. Ils ont été interviewés par de grands médias et ont rencontré des membres du Congrès, notamment le sénateur Bernie Sanders (démocrate, Vermont) et la députée Alexandria Ocasio-Cortez (démocrate, New York). Tous voulaient savoir comment des Juifs et des Arabes pouvaient agir ensemble dans cette situation de guerre.
J’ai rencontré Green lors du rassemblement à Tira, quelques heures après son atterrissage, et Abed à Haïfa le lendemain de son retour. Tous deux avaient l’air exténués, et pas seulement à cause d’un voyage épuisant ou du décalage horaire. Abed m’a expliqué pourquoi elle s’est sentie si vide après sa visite aux États-Unis : « Le débat là-bas est tellement déconnecté de notre vie, de nos préoccupations et de notre réalité », a-t-elle déclaré. Chaque camp a ses propres représentations de ce qu’est Israël et de ce que signifie la libération de la Palestine. Je leur ai demandé en quoi le débat qui les oppose dans les médias sociaux aide les gens en Israël, qui sont en situation de guerre, vivent des agressions, sont empêtrés dans de profonds traumatismes, enterrent leurs morts, s’inquiètent des captifs ou subissent des bombardements. Ils n’ont pas de réponses. Ils se livrent à une guerre des récits, pour déterminer qui a le plus raison. Du côté juif, j’ai eu l’impression de devoir endiguer leur douleur, même s’ils n’ont pas vécu concrètement cette attaque, mais seulement un traumatisme collectif lointain, sans toutefois pouvoir comprendre que j’ai vécu un traumatisme réel, en tant qu’Israélien.
« Du côté palestinien, poursuit-elle, j’avais l’impression qu’ils me jugeaient parce que je travaille avec des juifs. L’un des musulmans que nous avons rencontrés m’a demandé : »Qu’est-ce que c’est que cette merde sioniste-libérale dont vous faites partie ?" Les deux camps refusent de voir que des Arabes et des Juifs vivent ici, avec leurs propres désirs, leurs sentiments, leurs traumatismes et leurs expériences partagées. Les rencontres et les discussions m’ont obligée à prendre en compte les peurs de chaque bord : celles des Juifs américains qui craignent l’antisémitisme, à juste titre, et celles des Américains d’origine palestinienne, qui sont épouvantés par l’éventualité de la mort de leurs proches. Cela m’a épuisée sur le plan émotionnel.
Et M. Green d’ajouter : « Nos amis américains sont en pleine crise du mot-dièse. Ils ont l’impression de n’avoir que deux options : soit un hashtag »Je suis avec Israël« , soit un hashtag »Mon cœur est avec Gaza". Nous leur avons dit que si nous, qui sommes au cœur de la tempête, sommes capables de maintenir la compréhension du fait que les deux peuples souffrent en ce moment et de travailler ensemble pour le bien de l’humanité, alors ils en sont certainement capables. Tout ce dont ils ont besoin, c’est de beaucoup d’envie et d’un peu
Netta Ahituv