Sarkozy et Fillon ont sans doute fait une erreur de tempo dans l’entre-deux tours des législatives, mais le projet de TVA « sociale » est bien dans les cartons. Un groupe de travail avec les « partenaires sociaux » est prévu pour l’automne. Et Sarkozy n’avait-il pas promis de commencer toutes les réformes en même temps ? N’a-t-il pas écrit dans son livre programme (Ensemble, mars 2007) qu’il « faut expérimenter le transfert d’une partie des cotisations so¬ciales sur la TVA » et que le financement de la protection sociale « par l’impôt » présente « beaucoup d’avantages » ?
L’erreur tactique consiste à lancer simultanément deux réformes qui se contredisent : celle du « gagner plus » pour une fraction limitée du salariat ou des contribuables, et celle du « payer plus » pour tous (TVA). On se souvient de 1995, où Juppé avait sifflé la fin de la récréation sur la « fracture sociale », en décrétant deux points de TVA en plus. La TVA paraît diluer son effet sur une très large assiette, et c’est son avantage politique, mais c’est quand même un impôt ! Chirac, Sarkozy (et avant eux Fabius), n’ont-ils pas dépensé des flots de propagande pour montrer que l’heure était aux baisses d’impôts ? Or, la démonstration que la TVA est un des impôts les plus injustes a pénétré les esprits. Vincent Drezet, du Syndicat national unifié des impôts (Snui-Solidaires), rappelle que « les 10 % des ménages les plus riches consacrent 3,4 % de leur revenu à la TVA, les 10 % les plus pauvres 8 % ». Et de dénoncer le « basculement » des impôts directs progressifs vers la TVA, au nom du principe libéral que l’impôt ne doit plus « être un instrument de redistribution et donc de correction des inégalités ». La cascade d’annonces et de « désannonces » sur la TVA « sociale » vient du fait que le pouvoir d’achat promis par le président à quelques-uns, dans une optique de tri social entre les méritants et les fainéants, paraissait s’envoler en fumée avec les cinq points de TVA en plus. Sarkozy a donc dû préciser que le projet ne devait en « aucun cas avoir pour effet de réduire le pouvoir d’achat ».
Même s’il fait mine de promettre un effet « neutre » sur le pouvoir d’achat, par une baisse des cotisations et un gain de salaire net, le but structurel de l’augmentation de la TVA est d’une tout autre dimension que le simple renflouement des dépenses entraînées par les promesses électorales : il s’agit de substituer un impôt au financement de la protection sociale assis sur le salaire. Chirac avait lancé ce chantier en janvier 2006, sans avoir l’autorité politique de le conclure. Avec la TVA « sociale », Sarkozy reprend l’hypothèse la plus rétrograde (et donc vivement soutenue par le Medef) parmi celles étudiées ces dernières années pour casser définitivement le fil reliant le financement de la protection sociale au partage entre salaires et profits, déjà entamé par l’invention de la CSG par Rocard en 1991. La CSG repose prétendument sur tous les revenus (en fait à 90 % sur les revenus salariaux), mais elle est désormais juridiquement un impôt. Il est même question de la fusionner avec l’impôt sur le revenu prélevé à la source. Avec ces contre-réformes, on passe d’une socialisation des dépenses de protection sociale par le salaire, c’est-à-dire par une partie de la richesse créée dans les entreprises, qui est versée directement par les patrons aux caisses via les cotisations, à une fausse universalisation par les revenus et l’impôt indirect, allant du Rmiste achetant son pain au propriétaire de patrimoine se payant des bagnoles de luxe. La signification sociale de cette opération est une baisse générale du salaire social total, et une nouvelle dévalorisation politique du salariat. C’est une attaque aussi grave que celle de la destruction programmée du contrat de travail.