Contrechamp
Dis-moi quelle est ta montre...
Michel Laszlo
Quand on a vu le nouveau calife s’envoler dans un jet privé pour s’offrir une croisière sur un yacht de milliardaire, on ne saurait s’étonner des signes ostentatoires de luxe manifestés par la nouvelle dynastie qui nous préside. Et pourtant, il a bien fallu détailler certains de ces signes, et notamment celui, largement exposé lors de son face-à-face télévisé avec Ségolène Royal, consistant en une montre rutilante, débordant lâchement d’une manche de chemise empesée... Le spécialiste des collections au journal Le Monde, Michel Lefebvre, a reconnu une Rolex Daytona en or blanc (référence 116 509) au prix public de... 22 530 euros ! Mais, poursuit-il dans sa rubrique du Monde « Argent » : « Pour revenir aux montres présidentielles [...], on l’a vu régulièrement avec une Breitling Navitimer, beau chrono d’aviateur à fond noir et trois cadrans blancs, un modèle moderne. On voit cette montre au bras de certains enfants du couple présidentiel. Quant à Cécilia Sarkozy, elle porte souvent un chrono blanc J12 de Chanel. Comme Bernadette Chirac... » Il n’en indique pas le prix, mais baste ! Qu’elle est belle « la rupture » ! Pourtant, l’enquête n’est pas finie, puisque le journaliste, fin limier, a également débusqué des photos de Sarkozy « arborant une très belle montre [...] Breguet, la 3 130 BA/11/986, un modèle automatique en or jaune avec réserve de marche, date et phases de lune. Son prix : environ 25 000 euros. » Vous voulez vraiment un commentaire ?
FISCALITE
Des cadeaux pour les riches
Éric Lacombe
Déduction des intérêts d’emprunts immobiliers, bouclier fiscal, droits de succession, défiscalisation des heures supplémentaires : au-delà des effets d’annonce et des cafouillages entre Sarkozy et les ministres, un programme de redistribution vers les plus riches se met en place.
La déduction fiscale des intérêts d’emprunts immobiliers contractés pour l’acquisition d’une résidence principale va être instituée, conformément au projet d’une « France de propriétaires », cher à l’UMP. Un tel système a existé jusqu’en 1997, et il va être réactivé (on est loin de la « rupture ») selon des modalités définies après les législatives. Il s’agira vraisemblablement de permettre aux titulaires d’emprunts, en cours ou à venir, de déduire de leur impôt 20 % du montant annuel des intérêts. Restent à définir le nombre d’années pendant lesquelles ils bénéficieront de la déduction, et le plafond éventuel de son montant.
Le manque à gagner en matière de rentrées fiscales sera de 4 à 5 milliards d’euros, alors que le montant total que rapporte l’impôt sur le revenu (IR) est de 50 milliards. Les 3,2 millions de personnes mal logées, celles qui n’ont pas les moyens de contracter un tel emprunt, ou celles qui attendent vainement un logement social depuis des années, ne sont bien évidemment pas concernées. Le bouclier fiscal est un dispositif qui limite actuellement le total des impôts directs (locaux, sur le revenu, sur la fortune) à 60 % du revenu, et qui concerne les 93 000 contribuables les plus riches - sur 18 millions de foyers fiscaux imposés à l’IR -, l’administration fiscale leur remboursant le trop perçu (350 millions d’euros cette année). Ce seuil de 60 % va être porté à 50 % pour cette poignée de privilégiés.
Quant à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), acquitté par 50 000 foyers très riches, déjà considérablement réduit par les mesures votées depuis deux ans, il est prévu une nouvelle réduction en contrepartie d’investissements au capital des PME, de fondations et même d’universités, lorsque ces dernières auront un statut d’autonomie ! Les plus riches pourront payer encore moins grâce à leurs investissements.
La suppression de droits de succession est prévue pour 90 à 95 % des ménages, pour répondre au programme électoral de Sarkozy. Actuellement, 90 % des successions entre conjoints sont exonérées, comme 80 % de celles en ligne directe. Du fait des abattements existants les patrimoines petits et moyens sont non imposables (50 % des patrimoines transmis ne dépassent pas 50 000 euros). Les nouvelles mesures ne font donc qu’avantager les patrimoines les plus importants (10 % des ménages détiennent 46 % du patrimoine). La quasi-disparition de cette forme d’impôt sur la fortune est ainsi programmée. Enfin, la non-imposition à l’IR des heures supplémentaires pose la question de l’égalité des citoyens devant l’impôt, et elle ne répond en rien à une nécessaire hausse des salaires. La politique de Sarkozy est sans ambiguïté : elle consiste à rendre les riches encore plus riches.
CARTE SCOLAIRE
Sélection sociale
Daria Lockhart
La question de l’assouplissement, voire de la suppression, de la carte scolaire était déjà présente dans le débat lors de l’élection présidentielle. Aujourd’hui, elle revient avec les dernières annonces du ministre de l’Éducation, Xavier Darcos.
Le nouveau ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos, compte assouplir la carte scolaire dès la rentrée prochaine, et la supprimer à court terme. La carte scolaire est un découpage qui fait correspondre à chaque école et à chaque collège un secteur géographique. Les élèves sont donc scolarisés dans le secteur où leur famille est domiciliée. Elle n’a pas pour objectif de créer une mixité sociale dans les établissements, mais de répartir les élèves, et son maintien ou non ne réglera pas des difficultés qui dépassent largement le cadre de l’école.
Par ailleurs, il existe déjà des moyens pour contourner la carte scolaire mais, évidemment, ce sont les familles aisées qui en profitent, souvent pour fuir la mixité sociale. Alors pourquoi sa suppression provoque-t-elle une telle levée de boucliers ? D’abord, parce que c’est une énorme arnaque envers les parents d’élèves. On leur fait croire qu’ils pourront choisir le meilleur collège ou la meilleure école pour leurs enfants, alors que les choses ne vont certainement pas se passer ainsi. La suppression de la carte scolaire c’est, à terme, la sélection à l’entrée des collèges. En effet, les « bons » collèges pourront faire leur marché parmi les nombreux élèves qui demanderont à y être affectés. Ceux qui ne feront pas partie des élus n’auront qu’à aller dans des collèges non choisis.
En ce qui concerne les écoles primaires, on connaît déjà des situations de ce genre : quand des écoles sont trop proches l’une de l’autre pour les sectoriser, on laisse parfois le choix aux familles. Résultat : au bout de quelques années, une école, contrairement à l’autre, est réputée « difficile ». On est censé appliquer le principe du « premier arrivé, premier servi » et, évidemment, les premiers servis sont ceux qui maîtrisent les rouages du système, les familles favorisées qui en ont les moyens. Comme toujours, les élèves des quartiers populaires vont faire les frais de cette mesure.
La suppression de la carte scolaire, c’est également la mise en concurrence des écoles et des collèges entre eux. Pour attirer et pouvoir choisir les « bons » élèves, il faut avoir une bonne réputation, donc de bons résultats, des options, des projets... Et quand on voit les suppressions de moyens effectuées ces dernières années, le pire est à craindre, notamment dans les quartiers populaires, où les crédits ZEP se réduisent à vue d’œil quand ils ne disparaissent pas. La suppression de la carte scolaire, inspirée de la philosophie libérale, passée au nom de la « liberté des familles », est donc en rupture totale avec l’idée d’une école de l’égalité des droits. Elle se situe dans la droite ligne de la politique de casse du service public d’éducation, qu’il faut continuer à combattre.
JUSTICE
La prison pour politique
Anne Leclerc
Rachida Dati, ministre de la Justice du gouvernement Sarkozy, a annoncé les projets de loi soumis au vote de la nouvelle Assemblée dès cet été : peines plancher pour les récidivistes, majeurs ou mineurs, et limitation de l’excuse de minorité pour les mineurs de 16 à 18 ans. Le concept de peines plancher pour les récidivistes vient des États-Unis et du courant ultrasécuritaire sévissant dans ce pays, où le vol d’une pizza vaut plusieurs années de prison s’il s’agit du troisième délit de l’inculpé.
Pour ne pas s’aliéner l’ensemble des magistrats, qu’elle n’a pas consultés, et ne pas voir son projet retoqué par le Conseil constitutionnel, la ministre a assorti ses propositions d’une possibilité d’appréciation du juge. Mais les pressions du parquet et l’intériorisation par la majorité des magistrats du tout-répressif font qu’ils recourront, sans état d’âme aux peines plancher ou à la suppression de l’excuse de minorité.
Alors que la loi votée en décembre 2005 a déjà rétréci le champ des peines alternatives et les libérations conditionnelles, l’introduction des peines-plancher va augmenter la surpopulation carcérale. La loi prévoit comme minimum, dès le deuxième délit, un an pour un délit passible de trois ans au maximum, deux ans pour un délit passible de cinq ans et quatre ans pour un délit passible de sept ans. Pour les crimes, le mécanisme est le même : cinq ans minimum pour un crime passible de quinze ans, et quinze ans minimum pour les crimes punis de la réclusion à perpétuité. Pour les mineurs de 16 à 18 ans, dès le deuxième délit, il y aura suppression de l’excuse de minorité, sauf si le juge motive sérieusement le fait de ne pas la supprimer.
Les mineurs ont besoin de réponses éducatives adaptées et non d’enfermement. Pour éviter la récidive des majeurs, seuls le développement de peines alternatives à l’incarcération et les libérations conditionnelles sont efficaces. Mais cela va à l’encontre des projets sécuritaires de Sarkozy et de la droite, dont le discours sur l’insécurité sert à détourner l’attention de la population de l’insécurité sociale découlant des politiques libérales.
SANTE
Vers une privatisation accélérée des services de santé
Jean-Claude Delavigne
À peine installés, le président élu et son gouvernement « découvrent » un dérapage des dépenses d’assurance maladie. Une nouvelle fois, la dramatisation du « trou de la Sécu » sert à justifier des mesures présentées comme inévitables, même si elles sont douloureuses.
En matière de santé, la « franchise » de soins est une nouvelle étape dans la privatisation de l’assurance maladie. Annoncée de longue date, elle devrait être votée à l’automne, dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale 2008. De quoi s’agit-il ? La franchise est une somme forfaitaire, acquittée par le malade avant tout remboursement de ses soins, par la Sécurité sociale ou par sa mutuelle. Chaque année, les premières fois que vous irez chez le médecin, ou à l’hôpital, que vous achèterez des médicaments, que vous ferez faire des examens, il faudra commencer par payer la franchise avant de prétendre au remboursement de la Sécu ou de la mutuelle complémentaire. Après avoir annoncé une somme aux alentours de 100 euros, le candidat de l’UMP a réduit ce chiffre, pendant la campagne, entre 5 et 10 euros.
Mais la concession faite pour rendre la mesure acceptable lors du débat électoral ne durera pas : le but est précisément de pénaliser suffisamment le malade pour le faire renoncer aux soins. Nicolas Sarkozy a d’ailleurs annoncé que la franchise serait modulable, compte tenu de l’état des comptes de la Sécurité sociale. Elle s’inscrit ainsi dans une logique purement comptable. Elle est socialement scandaleuse, car elle approfondira l’inégalité entre ceux pour qui dépenser quelques dizaines d’euros ne compte pas, et ceux pour qui la franchise constituera un barrage les amenant à renoncer aux soins ou à les retarder. La ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a annoncé que les plus pauvres en seront exemptés. Cela ne règle rien, car tous ceux qui se trouvent juste au-dessus des minima sociaux devront l’acquitter. Du point de vue sanitaire, la franchise est une aberration, puisqu’en retardant le dépistage ou les soins précoces, elle entraînera une détérioration et l’aggravation de l’état de santé du patient, et donc des soins plus importants, plus coûteux et, peut-être, une dégradation irrémédiable.
Pour Nicolas Sarkozy, la Sécurité sociale n’est rien d’autre qu’une compagnie d’assurance. Lors de la convention UMP sur la santé, le 27 juin 2006, il déclarait : « Nous parlons d’assurance maladie [...]. Y a-t-il une seule assurance sans franchise ? » Et son Premier ministre, François Fillon, d’écrire dans son « blog » : « Comment comprendre que le paiement d’une franchise soit insupportable dans le domaine de la santé, alors qu’une charge de plusieurs centaines d’euros par an pour la téléphonie mobile ou l’abonnement à Internet ne pose pas de question ? » Pour eux, la santé est une marchandise comparable à un téléphone portable ou à un abonnement à Internet. Elle relève donc du système des assurances et du commerce.
Pompier pyromane
Les projets de Sarkozy et de Fillon s’inscrivent dans la suite du dernier quinquennat, qui a connu la contre-réforme Douste-Blazy en 2004. Déjà, celle-ci visait à reporter sur le malade ou sa mutuelle une part croissante des dépenses de santé. Rappelons, pour mémoire, ce qu’elle a mis en place : la franchise de 1 euro sur tout acte médical, la franchise de 18 euros sur les actes hospitaliers coûteux, l’augmentation du forfait hospitalier - qui atteint aujourd’hui 18 euros par jour -, le déremboursement de très nombreux médicaments... Mais une nouvelle étape s’ouvre aujourd’hui. L’objectif consiste à transférer la totalité des soins courants (le « petit risque ») de santé sur les assurances complémentaires et les particuliers. L’assurance maladie se cantonnerait à la couverture du « gros risque », les soins longs et coûteux, non rentables pour le marché de l’assurance. La Sécu, dont le but était, en 1945, de « permettre à tous d’accéder à tous les soins », ne serait dès lors qu’une assurance particulière dans un monde concurrentiel.
L’assurance maladie n’est pas malade de dépenses intempestives et inutiles faites par les assurés sociaux qu’il faudrait « responsabiliser », mais de son manque de recettes dû aux cadeaux au bénéfice des patrons. Les suppressions ou les allégements de cotisations sociales au bénéfice des patrons sont autant de recettes en moins (actuellement 23 milliards d’euros) pour l’assurance maladie. Elles sont la cause fondamentale du « trou de la Sécu ». Or, les nouvelles exonérations de cotisations annoncées par le gouvernement (sur les heures supplémentaires) vont encore un peu plus creuser le déficit que le pompier pyromane Sarkozy qualifiera ensuite d’« insupportable ».
L’heure est donc à la mobilisation, afin de mettre en échec ces projets. Une campagne nationale unitaire contre la franchise de soins, menée en commun par les syndicats, associations, ainsi que toute la gauche, pourrait s’appuyer sur le réseau des collectifs de défense de la Sécurité sociale, qui s’étaient constitués en 2004. Elle pourrait déboucher sur une mobilisation à l’automne, lors du vote du projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
Il faut s’y engager dès maintenant.
Sarkozy tire sur l’hôpital
Lors de sa visite à l’hôpital de Dunkerque, Nicolas Sarkozy a révélé ses premières pistes pour sortir l’hôpital de la crise. Il propose au personnel hospitalier de « travailler plus pour gagner plus », en faisant des heures supplémentaires, ce qui ressemble à une très mauvaise plaisanterie. Faute d’effectifs suffisants, le personnel hospitalier est sans cesse contraint de faire des heures supplémentaires non voulues afin de maintenir la continuité du service aux malades. 70 % des établissements étant - faute de budgets suffisants - en situation de déficit chronique, ils ne peuvent payer d’heures supplémentaires, à moins de réduire encore leurs effectifs ou de licencier !
Pour les mêmes raisons, les personnels ne sont même pas en état de récupérer leurs heures travaillées, et ils sont de plus en plus souvent contraints de les placer sur un compte épargne temps afin de ne pas les perdre. L’autre recette imparable du président pour « sauver » l’hôpital consiste à limiter ses missions. Pas question d’accueillir « l’extrême vieillesse » et « l’extrême dépendance », ni de laisser « les urgences ouvertes à tout le monde, y compris pour la commodité » (sic). C’est ce qu’il appelle défendre le service public...
J.-C. D.
Défense des centres de Sécurité sociale
Dans le cadre du plan « Convergences » de la loi Douste-Blazy de 2004, la Sécurité sociale poursuit la fermeture des centres de paiement. Dans le Val-de-Marne, 21 centres sur 41 ont déjà été fermés entre 2002 et 2006.
L’objectif est maintenant de fermer, d’ici 2009, les 20 derniers ainsi que les points d’information pour créer à la place trois pôles de traitement. L’accueil des assurés n’est pas prévu dans ces pôles, et, si la municipalité veut un point d’accueil, ce sera à elle de mettre à disposition des locaux. C’en est fini de la proximité pour les usagers et les conditions de travail des salariés ne vont pas s’améliorer puisque 300 postes vont être supprimés. Plusieurs rassemblements ont déjà eu lieu devant la Caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM) du Val-de-Marne et devant les centres menacés de fermeture, comme à Arcueil, réunissant personnels, syndiqués, élus et partis. Le 4 juin, environ 250 personnes se sont rassemblées devant la CPAM du Val-de-Marne, pendant le conseil d’administration qui traitait justement de la question de l’accueil dans les futurs pôles de traitement.
La prochaine échéance du comité départemental de défense de la CPAM est le 13 juin à Créteil, à la Maison des syndicats, pour travailler à un contre-projet au plan « Convergences ». En attendant, pour stopper les projets en cours, il faut élargir la mobilisation envers les usagers et la population locale et faire converger toutes les initiatives vers un mouvement centralisé.
SANS-PAPIERS
Ministère de la rafle
Emmanuel Sieglmann et correspondants
Le ministre de l’Identité nationale, Brice Hortefeux, a résumé en deux mots sa politique sur l’immigration : « fermeté et humanisme ». C’était le 24 mai à Toulouse. Message reçu par la préfecture de Haute-Garonne qui, le 29 mai au petit matin, interpelle trois familles logées à l’hôtel, qui devaient accéder à un logement temporaire le jour même. Ces familles se sont retrouvées en centre de rétention, l’une à Marseille, l’autre à Lyon ! Manifestement, le gouvernement veut faire des exemples et donner des gages à une partie de son électorat.
La solidarité du Réseau éducation sans frontières (RESF) a joué à plein. Certains des parents et des enfants ont ainsi pu être libérés. Nelli, 8 ans, a pu retrouver son école et ses copains à Toulouse. Mais les familles restent menacées d’expulsion. Dans toute la France, le RESF organise une quinzaine de mobilisation, du 13 juin - anniversaire de la circulaire Sarkozy - au 1er juillet, quand la chasse à l’enfant risque de s’intensifier.
Le 26 mai, les passagers du vol Air France à destination de Bamako ont aussi eu droit à la « fermeté » et à « l’humanisme », version Hortefeux. Un Malien en cours d’expulsion a dû être évacué, inconscient, la langue pendante, après l’intervention des passagers, parmi lesquels l’équipe du cinéaste Laurent Cantet, outrés par les brutalités policières qu’il avait subies. Les pratiques de Toulouse comme de Roissy vont se multiplier. Lundi 4 juin, Hortefeux a fixé des objectifs aux directeurs généraux de la police et de la gendarmerie : 25 000 reconduites, 125 000 interpellations et « la fixation d’objectifs mensuels précis en matière de répression de l’emploi d’étrangers sans titre ».
Non seulement les rafles continueront de plus belle, mais elles cibleront particulièrement les travailleurs sans papiers. La riposte du monde du travail doit être à la hauteur. Ainsi, dans l’Essonne, les salariés sans papiers de Buffalo Grill sont en grève et occupent, avec la CGT 91, le restaurant de Viry-Chatillon, afin d’exiger leur régularisation. Comme à Modeluxe ou à Metal-couleur (Bonneuil), l’idée progresse : la régularisation, c’est l’intérêt de tous les salariés.
GOUVERNEMENT
État de grâce... jusqu’au grain de sable
Galia Trépère
Tout semble sourire à Sarkozy dont la popularité, à en croire les sondages, est exceptionnelle. Mais le bluff démagogique dont il entoure ses gesticulations ne pourra résister longtemps à la réalité de sa politique, qui va à l’encontre des intérêts de toute la population. Avec 65 % d’opinions favorables, selon le dernier sondage du Journal du Dimanche, et 62 % pour son Premier ministre, Sarkozy se sent les coudées franches, assuré par ailleurs d’une écrasante majorité à l’Assemblée nationale. L’UMP et ses alliés du centre sont crédités d’environ 41 % des voix, tandis que le PS obtiendrait autour de 27 %.
Le style et l’action de Sarkozy plaisent, disent des études d’opinion dont il est difficile de vérifier la fiabilité mais qui n’en sont pas moins complaisamment relayées par la presse. Bref, Sarkozy serait arrivé à convaincre qu’il incarne la « rupture », y compris aux yeux, disent encore les sondages, d’une majorité d’ouvriers.
Jamais on n’avait vu, il est vrai, un tel déploiement d’activité de la part d’un président de la République, traditionnellement plus en retrait. Sarkozy est sur tous les fronts, visitant les chefs d’État étrangers ou les dirigeants des institutions européennes, recevant les dirigeants syndicaux et patronaux, conduisant lui-même la campagne de l’UMP pour les élections législatives... En meeting le 29 mai au Havre, il a dép¬loyé toutes les ressources de sa démagogie. « Pour ce premier discours, a-t-il dit en introduction, je voulais être parmi les travailleurs, les ouvriers, les marins, je voulais partager avec eux les sentiments et les espoirs qui sont ceux de tous les Français, [...] moi le fils d’un Hongrois et le petit-fils d’un Grec de Salonique, le Français au sang mêlé qui aime la France plus que tout au monde... ». Sur le thème de la détermination à faire ce qu’il avait promis, il a fustigé la « pensée unique » et démenti publiquement son ministre des Finances, Éric Woerth, en assurant que la déduction des intérêts sur les emprunts immobiliers du revenu imposable s’appliquerait aussi aux emprunts en cours et que le bouclier fiscal à 50 % inclurait la CSG et la CRDS. Citant Danton, il a opposé « l’audace [...] aux administrations, aux experts, aux notables, aux frileux ».
De l’audace, Sarkozy n’en a que pour s’attaquer aux régimes spéciaux de retraite, au nom de l’égalité, pour rendre la justice plus répressive et, plus généralement, pour satisfaire aux exigences des gros actionnaires, à savoir abattre toutes les barrières empêchant l’exploitation maximale des salariés et la pénétration du capital dans la vie sociale. S’il a l’air de vouloir autre chose, aux yeux d’une partie des couches populaires, c’est qu’il a su utiliser l’atout que lui donne l’effacement, dans les faits et dans les discours mêmes, des clivages entre la droite et le Parti socialiste, dont il a ainsi pu rallier quelques responsables. Il bénéficie aussi d’une complaisance, jamais encore vue à un tel degré, des directions syndicales, qui accréditent l’idée qu’il y aurait quelque chose dans sa politique qui pourrait être de l’intérêt des travailleurs. C’est ce qui conduit sans doute Sarkozy à croire qu’il peut « réconcilier la France du “oui” et celle du “non” » et qu’ « il n’y a pas de camps ».
Mais la réalité de sa politique, celle qui se profile derrière la formule « gagner plus en travaillant plus », ne peut que s’imposer à tout le monde. En 2002, à l’issue de l’élection triomphale de Chirac, Raffarin avait une cote de popularité supérieure à celle de Fillon aujourd’hui. Six mois plus tard, un grain de sable grippa la machine de l’union sacrée, le refus des salariés de l’EDF de voter « oui » à la réforme proposée par leur direction, puis ce fut le mouvement contre la réforme des retraites.
Qu’une fraction de la population conteste Sarkozy et sa politique, dans les élections aujourd’hui, en votant pour les révolutionnaires, dans les luttes demain, et tout peut s’inverser.