Le bras de fer était (un peu) disproportionné. Au moment où Emmanuel Macron prenait la parole devant quelque 30 000 personnes à La Défense, Philippe Poutou réunissait ses troupes à l’autre bout de la capitale. Les organisateurs ont fait état de 1 600 participants installés dans les tribunes de velours du Cirque d’hiver. Qu’importe : à une semaine du premier tour, l’enjeu était de prouver que la gauche anticapitaliste a encore quelque chose à dire. Et ce, malgré une certaine lassitude du candidat qui transparait à la tribune. Vêtu de ses traditionnels jean-chemise-baskets, Poutou s’avance au micro timidement, les mains dans les poches arrières du pantalon. Le discours est inhabituellement démoralisateur. « Je préfère ne pas vous parler des sondages. On est toujours à 1 %. C’est vexant. Pourtant, on fait beaucoup de choses », commence-t-il par déclarer. Puis : « On est traité comme des petits. On est rabaissé ».
Avant de se lancer dans une longue tirade tout sauf mobilisatrice. Il parle de « traversée du désert », « d’espace médiatique très réduit », « d’une campagne qui n’en est pas une » et avoue être « nostalgique » des débats de 2017, qui lui avaient permis de briller face à François Fillon et Marine Le Pen. « On ne souhaite pas gagner cette élection », admet-il, avant de reconnaître que, de toute façon, son « CV ne correspond pas à ce genre de poste ». L’ancien ouvrier de Ford, au chômage depuis 2020, a même regretté avoir « un profil de loser ». « Je n’ai même pas été capable de garder mon boulot », lâche-t-il. Mais où est passé le Philippe Poutou déterminé, combatif, prêt à monter au front contre « cette société pourrie » ?
Hommage à Alain Krivine
Le candidat ne met pas longtemps à retrouver ses accents habituels. « Macron n’a plus d’amis, à part la police et les riches », critique-t-il, tout en appelant à mettre fin aux « politiques ultralibérales et antisociales ». « Nous pouvons renverser le système », rêve-t-il aussi. Un hommage est rendu à Alain Krivine, figure de l’extrême gauche, mort le 12 mars. Une petite vidéo est diffusée sur les écrans. Sa vie résumée en mots : « barricades », « dissolution », « journal » et « meeting ». Olivier Besancenot grimpe sur scène pour saluer un homme qui n’a « jamais abdiqué ni retourné sa veste ». « La lutte doit continuer », lâche l’ancien candidat à l’Elysée.
On le sait, les militants du NPA attendent peu des élections. Le rapport de forces se joue, selon eux, dans la mobilisation sociale. Cela ne les empêche pas d’avoir un programme : le SMIC à 1 800 euros nets, la retraite à 60 ans, la sortie du nucléaire, la création d’un million d’emplois publics en cinq ans ou la semaine de 32 heures… Dans une salle quasi pleine – quelques sièges, tout en haut, étant inoccupés —, des drapeaux rouges s’agitent dans tous les sens. Dans les rangées, on crie des slogans de manif d’extrême gauche comme « Siamo tutti antifascisti », « Nous sommes tous des enfants d’immigrés » ou « Les patrons licencient, licencions les patrons ». Les visages sont jeunes. Antonin, 20 ans, assiste à son premier meeting. Il a vu Philippe Poutou à la télé et il voulait le « découvrir en vrai » pour se faire « son propre avis », bien qu’il songe très fortement glisser un bulletin pour Jean-Luc Mélenchon dimanche prochain. « Je veux gagner, on ne peut plus attendre », justifie le jeune homme.
Mélenchon, « le nouveau Mitterrand » ?
La question taraude beaucoup de ceux qui ont fait le déplacement : faut-il donner à la gauche une chance d’accéder au second tour ou voter avec son cœur ? « Avec quelques camarades, on se dit qu’une bonne stratégie serait d’opter pour Mélenchon dans les urnes et Poutou dans la rue », explique un étudiant et militant parisien. Pour un autre en revanche, il y a la « crainte » que « Mélenchon soit le nouveau Mitterrand ». « On prend quelques mesures sociales et puis on trahit complètement les classes populaires ensuite », détaille-t-il, un béret sur la tête. Le candidat du NPA entend ces hésitations. Sur scène, il admet : « On vit tous un peu dans l’ombre de Mélenchon, c’est le leader à gauche ». Mais « une victoire de Mélenchon ne peut pas changer radicalement les choses », assène le candidat.
Pour les dirigeants anticapitalistes, impossible de passer à côté de l’invasion russe en Ukraine. Hanna, une militante ukrainienne, s’en prend à Vladimir Poutine dans une vidéo : « C’est un dictateur qui a pété les plombs ». Pour Philippe Poutou, cette guerre est « l’illustration des dégâts du capitalisme mondial et de l’impérialisme ». Il se dit « archi pour » l’accueil de « tous les réfugiés ukrainiens » et de « tous les autres ». « Quand ce sont des arabes ou des noirs qui viennent d’Afrique par la Méditerranée, on n’est pas prêts à les accueillir. Il y a quelque chose de malsain », tance-t-il.
En fin de discours, alors qu’il a retrouvé sa verve, Philippe Poutou avoue qu’il « manque un parti politique » en France, qui serait à la fois « internationaliste, antiraciste, féministe et anticolonialiste ». « On est tous orphelins de quelque chose », poursuit-il, comme pour signifier que le NPA, crée en 2009 sur les ruines de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), arrive à bout de souffle. Il précise tout de même : « Nous ne sommes pas nostalgiques de la gauche qui est en train de s’effondrer ». Un clou de plus dans le cercueil du Parti socialiste.
Marceau Taburet et photos Cyril Zannettacci.