C’est à l’ouverture du Conseil national du PCF mardi que Marie-George Buffet s’est adressée aux responsables communistes en portant trois messages (voir ci-dessous). Le premier, c’est de les appeler à mettre tout le Parti en campagne pour battre Nicolas Sarkozy en appelant au vote pour Ségolène Royal et en portant le combat pour la réussite de la gauche. Le deuxième, c’est d’affronter les questions posées au lendemain du premier tour en ouvrant un débat de fond sur toutes les questions. La dirigeante communiste n’exclut pas la convocation d’un congrès extraordinaire en novembre ou décembre. Enfin Marie-George Buffet, qui doit reprendre ses fonctions de secrétaire nationale du PCF après sa mise en disponibilité pour la campagne électorale, a demandé au Conseil national si la question devait susciter un débat. À la quasi-unanimité, les membres de la direction du PCF ont répondu non.
À deux jours du très mauvais résultat du premier tour de l’élection présidentielle, la discussion du Conseil national du PCF, introduite par un rapport d’Olivier Dartigolles, montre des communistes lucides sur leurs mauvais résultats, « déçus et choqués », selon les termes employés par le responsable parisien Patrice Bessac, mais combatifs. « On est debout », note Éric Corbeau, le responsable du Nord, qui, comme d’autres, salue « la belle campagne » menée par les communistes et la candidate. L’urgence d’une très forte mobilisation communiste pour faire barrage à Nicolas Sarkozy est confirmée par tous les intervenants. La discussion porte essentiellement sur les enseignements à tirer du résultat du PCF. Des intervenants de l’Ardèche, des Alpes-Maritimes ou du Vaucluse illustrent d’exemples précis l’ampleur du vote utile. « Un réflexe de peur », affirme Michel Dubertrand, de la Gironde. « Un vote la peur au ventre auquel on ne peut résister », montre Robert Ingey, des Alpes-Maritimes. Mais personne n’en reste à ce constat et, pour tous, il y a besoin d’un débat sur le fond.
Les réflexions ne vont bien évidemment pas toutes dans le même sens. Pour Jean-Jacques Karman, de Seine-Saint-Denis, « nous payons les abandons d’identité et les manœuvres d’appareil au sein des collectifs ». Critique voisine chez le député et maire de Vénissieux, André Gerin, qui souhaite que le PCF retrouve « son autonomie ». Nicolas Marchand fustige « les projets liquidateurs » de certains membres de la direction nationale. D’autres, comme Anne Jolet, reprochent au contraire « l’abandon en rase campagne de la candidature unitaire ». « À quel score direz-vous que vous vous êtes trompés ? » demande Philippe Sterlin, de la Seine-Saint-Denis. « Le choix de la candidature de Marie-George Buffet était en contradiction avec les décisions du congrès », estime Pierre Zarka, qui pense « qu’on ne change pas de stratégie à demi ». Vincent Bony, de la Loire, pense pour sa part que « la gauche a perdu la bataille idéologique » sur de nombreux terrains. Robert Ingey parle d’une « campagne entièrement maîtrisée par les médias ». « On se retrouve sans base politique et sociale solide et en situation d’apesanteur », constate Patrice Bessac.
Si chacun parle du besoin d’une réflexion de fond, certains ne souhaitent pas la tenue d’un congrès en novembre ou décembre. « Plutôt se tourner vers l’extérieur », estime Nicolas Marchand. « Conférence nationale sur les municipales en octobre et congrès après les municipales », propose Manuela Gomez. Alain Obadia estime, lui, que le congrès doit porter sur la définition d’une politique nouvelle à l’heure de la mondialisation, la situation de la gauche et le rôle et l’utilité du PCF. Pour Alain Hayont, le congrès en décembre doit examiner « les rapports des communistes à la société ». La résolution adoptée a retenu le principe de la tenue d’un congrès extraordinaire, si possible dès l’automne 2007, si le calendrier politique le permet.
Le dirigeant des Bouches-du-Rhône estime que les résultats du premier tour montrent « les raisons de l’échec de la candidature antilibérale ». Elles résident, selon lui, dans « le rétrécissement du rassemblement et les différences de position qui existent en son sein ». Il évoque à ce propos les divergences entre le PCF et la LCR. Il note au passage que « la candidature Bové, unitaire pour certains, n’a pas créé de dynamique et a plutôt contribué à la confusion ». Il affirme « l’urgence de poursuivre cette démarche de rassemblement » en tenant compte de l’expérience et « le refus de toute tentation de repli identitaire ».
Olivier Mayer
Barrer la route du pouvoir à une droite dangereuse
Olivier Mayer
Dans son rapport, Olivier Dartigolles invite les communistes à être « aux avant-postes pour battre Sarkozy le 6 mai ».
« Barrer la route du pouvoir au champion de la droite », dans son rapport d’introduction, Olivier Dartigolles ne tergiverse pas et appelle tous les communistes, dans les jours qui viennent, à consacrer tous leurs efforts à cette tâche. Il rappelle ce que Marie-George Buffet n’a cessé de répéter dans sa campagne : « Cet homme est dangereux. » Et à plus d’un titre. D’une part son projet se calque sur le choix de société du MEDEF et des dirigeants ultralibéraux de l’Union européenne. Ils attendent son élection, estime Olivier Dartigolles, « pour faire sauter tous les droits et garanties limitant encore la concurrence « libre et non faussée » des travailleurs et des peuples ». Mais, ajoute-t-il, son projet porte aussi le choix de société d’une droite « qui n’hésite plus à emprunter ses thèmes à Le Pen ». Pour preuve, le dirigeant du PCF énumère plusieurs mesures que Nicolas Sarkozy a annoncées et qu’il entend mettre en œuvre dès l’été, telles que la limitation du droit de grève, la réforme de l’ordonnance de 1945 sur la protection des mineurs, de nouvelles lois contre l’immigration, la fin des 35 heures, l’exonération de charges sur les heures supplémentaires... Et d’autres mesures qui figurent à son programme telles que le contrat de travail unique copié sur le CNE, la mise en application du principe « travailler plus pour gagner plus », la suppression des droits de succession et, dans les faits, de l’ISF, la casse des services publics avec la diminution du nombre des fonctionnaires, la fin de la carte scolaire, la poursuite de la loi Fillon contre la protection sociale, de nouvelles exonérations de cotisations patronales, la chasse aux immigrés, la soumission à l’Europe libérale.
En se faisant fort de capter l’électorat de Le Pen, Nicolas Sarkozy n’a cessé de chercher à recycler ses idées, souligne encore Olivier Dartigolles, en insistant : « Tout doit être fait pour éviter à notre peuple l’épreuve, la très dure épreuve que constituerait l’élection de Nicolas Sarkozy. » Et il annonce l’édition à plusieurs millions d’exemplaires d’un tract que les communistes pourront très vite diffuser, en particulier dans les mobilisations du 1er Mai, un grand meeting en Île-de-France, dans le courant de la semaine prochaine, et il invite élus et militants à prendre des initiatives et à être « aux avant-postes pour battre Sarkozy le 6 mai et pour dire : on continue car la gauche on y tient, on veut qu’elle réussisse ».
L’intervention de Marie-George Buffet
Je voudrais tout d’abord remercier tous les camarades pour la magnifique campagne qu’ils ont menée et leur dire que je partage leur déception devant notre résultat, et que j’en assume la responsabilité. Ce fut une campagne difficile, d’autant plus difficile qu’elle fut en permanence contrecarrée par la logique du bipartisme, la monarchie présidentielle et la campagne médiatique. Mais, malgré tout cela, l’avalanche démoralisante des sondages, les communistes et beaucoup d’hommes et de femmes de gauche se sont battus jusqu’au bout. Ils se sont battus jusqu’au bout pour présenter notre projet et pour défendre une ambition pour la gauche, une gauche se donnant enfin les moyens de rendre la vie meilleure.
Le vote “utile” a évidemment joué à plein, chacun d’entre nous l’a mesuré dans ses rencontres avec des électeurs et des électrices qui adhéraient à nos idées, à notre démarche, mais faisant le choix de Ségolène Royal. Mais au-delà, je crois qu’il va falloir débattre très profondément des causes de notre affaiblissement et toutes les questions doivent venir, sans tabou ni a priori. Mais aujourd’hui, deux batailles sont à mener. La première, c’est évidemment la bataille du second tour. Il faut je crois mener une véritable campagne pour battre Nicolas Sarkozy en portant notre projet et notre ambition de réussite pour la gauche. La seconde, c’est évidemment la bataille des législatives. Je suis convaincue que nous pourrons retrouver, pour ces élections, beaucoup des hommes et des femmes qui se sont laissés convaincre par le vote utile, tout en partageant nos propositions et notre ambition pour la gauche. Je veux également vous faire deux propositions.
L’affaiblissement dans la durée de notre Parti est évidemment une question centrale. Nous avons besoin d’un débat de fond et pas uniquement sur les questions stratégiques, mais aussi sur l’état de la société, la place et la visée du Parti communiste au XXIe siècle. C’est pourquoi je vous propose que l’on tienne un congrès exceptionnel avant la fin de l’année 2007. Enfin, j’aimerais soumettre, de façon sincère et simple, une dernière question en débat. J’avais suspendu mes fonctions de secrétaire national au début de la campagne. Si le fait que je reprenne ces responsabilités doit poser problème ou demander un vote, dites-le, je le comprendrais. Je suis pour ma part disponible pour mener toutes les batailles qui nous attendent. »
Ségolène Royal propose « une France rassemblée »
Dominique Bègles
Lors de son premier meeting d’avant le second tour, lundi soir à Valence (Drôme), la candidate de la gauche a lancé un appel à la mobilisation sur le socle des valeurs du pacte présidentiel.
« Une campagne présidentielle n’est pas une union arithmétique, mais une dynamique, ce n’est pas une addition mais un souffle », a lancé, lundi soir à Valence (Drôme) devant cinq mille personnes Ségolène Royal, lors de son premier meeting d’avant le second tour. Elle a remercié les neuf millions d’électeurs qui lui ont fait confiance dès dimanche dernier, et de saluer « l’appel sans faille et sans exception » en sa faveur de tous les candidats de gauche et écologistes du premier tour, la candidate a lancé un appel « à la mobilisation dans chaque rue, chaque quartier, chaque maison » pour porter « cet espoir de réconciliation, cette France rassemblée ». Selon elle, ce rassemble- ment est d’autant plus pos- sible, qu’elle affirme « sa fidélité aux valeurs de gauche » qui « constituent son socle », face « aux vieilles recettes qui ont fait leur temps, les recettes libérales ou ultralibérales qui ont montré leur inefficacité ». Et de faire gronder l’assistance en évoquant le soutien de l’ex-premier ministre italien Silvio Berlusconi à Nicolas Sarkozy. « On sait à quel modèle d’Europe cela correspond », a ironisé Ségolène Royal, parlant « d’Europe ultralibérale qui délocalise », et qui fonctionne sur le mode du « tout marché ». Une Europe à laquelle elle oppose celle « du dépassement du clivage entre les oui et les non du référendum français ».
Dans son discours assez court, elle a aussi plusieurs fois dénoncé « le système actuel dont les Français, selon elle, ne veulent plus, n’en peuvent plus ». « Un système verrouillé par un seul clan, un seul parti », « un système qui croit pouvoir aller de l’avant en précarisant et en baissant les salaires ».... Une insistance qui visait d’évidence à capter l’attention et les voix qui se sont portées sur François Bayrou avec la conviction de l’efficacité électorale contre Sarkozy. Avant d’entrer dans la salle, la candidate avait confirmé à la presse les propos tenus quelques minutes auparavant à Paris par son directeur de campagne Jean-Louis Bianco. Celui-ci avait déclaré que Ségolène Royal « tendait la main à François Bayrou et à ses électeurs ». La candidate a précisé qu’elle était en effet disponible en ce sens « pour un débat ouvert, public et transparent » autour des « valeurs du pacte présidentiel ». Pas question « de petits arrangements entre amis, de négociations d’arrière-boutiques, d’échanges ». À Valence, la candidate a insisté sur « la société du pleinemploi ». « Ce défi, c’est celui de la France qui va gagner cette bataille. » Et de redonner son credo : « En distribuant du pouvoir d’achat, notamment pour les bas et moyens salaires, sans peser sur les entreprises de main-d’œuvre pour lesquelles les aides seront modulées, c’est comme cela que l’on défend la valeur travail » et non en proposant des heures supplémentaires « au détriment du plus grand nombre », comme la droite l’affirme. Ségolène Royal l’a répété : son objectif est la croissance. Selon elle, cela passe par la réconciliation entre l’efficacité des entreprises qui respectent les salariés, qui créent des emplois et innovent, et le développement d’un dialogue social moderne, permettant des compromis sociaux, assorti d’une sécurité sociale professionnelle. « C’est une dynamique, c’est un souffle que nous devons porter. J’en ai le courage, j’en ai la volonté, j’en ai l’exigence. »
Un grand écart périlleux
Sébastien Crépel
En prise avec la difficulté de réunir une majorité de voix, la candidate de la gauche franchit un cap risqué en souhaitant « converger » avec François Bayrou.
La panique semble avoir gagné le Parti socialiste après le premier tour de l’élection présidentielle. Les signes d’impatience donnés par Ségolène Royal face au mutisme de François Bayrou sur son attitude au second tour de l’élection présidentielle montrent la fébrilité du PS en prise avec le casse-tête du second tour. « J’attends sa réponse », a-t-elle déclaré hier après avoir invité le président de l’UDF au « dialogue »... et plus si affinités.
L’addition est simple : pour parvenir à l’emporter face à Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal doit rassembler plus de 50 % des voix, c’est-à-dire beaucoup plus que les 36 % récoltés par les candidats de gauche et d’extrême gauche... mais sans perdre aucun de ceux-là en chemin. Face à l’inconnue que constituent les intentions de vote des électeurs de François Bayrou qui a rassemblé 18,5 % des voix (et 14 % des électeurs de gauche, selon le sondage CSA pour l’Humanité, publié mardi), la candidate de la gauche tente un grand écart périlleux en s’adressant directement au leader centriste. Une « main tendue » qui a aussi pour objectif de retenir par la manche François Bayrou pour l’empêcher de tomber dans les bras de Nicolas Sarkozy.
Se défendant de toute « tractation de couloir », la candidate tente un rapprochement autour des thèmes de campagne de l’UDF. « Je me déclare disponible pour parler de l’avenir de la France avec ceux qui pendant toute cette campagne ont souhaité le changement et la rénovation politique », a lancé la candidate lundi, à Valence. Hier, elle s’est dite prête à « voir si nous pouvons converger sur un certain nombre d’idées et si ces idées qui nous rassemblent sont plus importantes que ce qui nous différencie ».
Ce que fait aujourd’hui Ségolène Royal sous la pression du rapport de forces électoral, d’autres en ont rêvé tout haut durant la campagne. Ils ont pour nom Michel Rocard, Bernard Kouchner ou Daniel Cohn-Bendit, et ont en commun de vouloir refondre la gauche française autour de l’acceptation des canons de la mondialisation libérale, à l’image du Parti travailliste anglais ou des sociaux-démocrates allemands. L’ancien ministre de la Santé s’est félicité hier de ce « mouvement historique » : « Tous les autres partis sociaux-démocrates européens l’ont fait, se sont ouverts, ils ont accepté l’économie de marché tout en la régulant, tout en la maîtrisant, et c’est cette alliance-là qui a fait l’Europe », se réjouit Bernard Kouchner. D’autres ont emboîté le pas de la candidate, à l’instar de Jean-Pierre Chevènement qui presse François Bayrou de se prononcer, en soulignant que Ségolène Royal « veut faire la place à toutes les sensibilités ».
Au contraire, la proposition a fait grincer des dents les dirigeants du PS qui n’ont pas été consultés sur cette volte-face stratégique. Lundi soir, sur TF1, François Hollande a pris ses distances avec cette initiative. « Que François Bayrou fasse son choix. (...) Moi, je veux m’adresser aux électeurs, ce sont eux qui comptent. » Une manière de ne pas perdre de vue que les électeurs de Ségolène Royal et des autres candidats de gauche, qui forment le cœur de sa victoire possible, n’ont pas voté pour porter au pouvoir la coalition et le programme ultralibéral dont François Bayrou voulait être le pivot.