Cher Pierre,
Le texte que tu as mis en circulation [1] pose un premier problème quant à son centre de gravité. Il s’agit, incontestablement, d’une réflexion personnelle en réaction à la procédure qui a imposé la candidature de José Bové (le « bovéthon » !). Une réflexion qui apporte bien des éléments utiles, et dont on peut partager nombre de remarques. Mais dans le même temps tu proposes une analyse des raisons de l’échec des candidatures unitaires, et celle-ci, loin d’être personnelle, apparaît reprendre à son compte une espèce d’ « histoire officielle » qui est celle de la direction majoritaire de la LCR. Nous ne doutons pas de la sincérité de l’indignation qui est la tienne concernant le caractère plébiscitaire de la candidature de José Bové. Et qu’elle vienne de quelqu’un comme toi, qui de son propre aveu n’a pas participé à la démarche, n’est pas une gêne. Cette distanciation peut au contraire constituer un gage d’objectivité. Notons simplement que cette même distanciation devrait également te rendre sensible au fait que la perméabilité aux mœurs délétères du système politique dominé par les institutions de la Ve République et aux effets de la starisation des politiques, n’est pas le fait du seul José Bové, mais va bien au-delà. N’empêche que nous serons d’accord pour constater que la frénésie présidentialiste a atteint un seuil inquiétant à l’occasion de cette élection.
Mais les interrogations commencent lorsque le témoin distancié se fait procureur pour engager une polémique virulente contre les composantes non PCF du Collectif national, celles-ci incluant, comme tu prends le soin de le préciser, les courants minoritaires de la LCR. Ces dernières se voient accusées de ne pas tirer de bilans ni d’apporter d’explications quant à la politique suivie. C’est ignorer les textes multiples qui tout au long du processus ont été écrits, diffusés, débattus, les confrontations fortes qui ont eu lieu en permanence… Franchement, Pierre, crois-tu que le fait de n’avoir participé en rien à toutes ces discussions, au sein de la LCR, dans les collectifs, entre organisations, te donne une légitimité pour dénoncer les uns et les autres (1) ? Et ce au nom des thèses incessamment répétées de la direction majoritaire de la LCR ?
Une argumentation basée sur une thèse erronée
Ta thèse centrale est qu’il était impossible d’envisager un accord avec le PCF pour des candidatures unitaires. Parce que le PCF ne saurait échapper à une alliance avec le PS, et que antilibéralisme et social-libéralisme sont incompatibles.
Cette thèse a été répétée sans fin par la direction de la LCR. Compte tenu des manœuvres peu glorieuses du PCF pour imposer la candidature de MG Buffet, et après l’effondrement des espoirs placés dans les candidatures unitaires, on la voit à présent reprise par certains militants et courants, dont RM Jennar auquel tu fais allusion. Si elle finissait par s’imposer, elle conduirait à considérer que nous n’avons pas seulement subi un échec, mais qu’il s’agit d’une faillite méritée.
Tout le monde sait pertinemment que antilibéralisme et social-libéralisme sont incompatibles, et qu’il n’est pas possible de vouloir à la fois un rassemblement antilibéral et une alliance avec le PS. Cette question a été au cœur de tous les débats au long du processus (quelle est cette fable que le problème aurait été jugé « risible » ou « ridicule » ?). Donc, si le PCF est condamné à s’allier au PS et à se soumette au social-libéralisme, la recherche même de candidatures unitaires d’un rassemblement antilibéral était une entreprise impossible, voire purement et simplement absurde. Un minimum de réflexion permet de comprendre que, s’il en était ainsi, tous ceux qui se sont engagés, de près ou de loin, dans cette recherche ont fait preuve d’une légèreté frisant l’irresponsabilité totale. Mais, si c’était si simple et évident, pourquoi diable la LCR a-t-elle mis le doigt dans cette affaire ? Ne fallait-il pas mieux ne laisser planer la moindre illusion et dénoncer tout de suite l’inanité de cette recherche de candidatures unitaires ? Bref, n’est-ce pas LO qui a suivi la voie juste ? Car si LO est, à juste titre, jugée par tous étrangère à la recherche des candidatures unitaires, cette situation l’exempte du moindre reproche par rapport à l’échec. Ce qui n’est pas le cas, tout le monde peut également le constater, de la LCR…
Pour la LCR, qui s’est engagée dans l’entreprise pour des candidatures unitaires (cf. le congrès, les prises de positon, la CN de juin…), se trouve posée une autre question, que tu évoques, qui est d’expliquer pourquoi elle s’est trouvée dans l’incapacité de convaincre qu’il fallait écarter clairement la perspective d’une alliance avec le PS si évidemment contradictoire avec une orientation antilibérale. Cette incapacité, tout comme la direction de la LCR, tu ne la nies pas. Au contraire, tu la dramatises : c’est une défaite politique qui aurait été essuyée en septembre, amenant la LCR à se trouver rejetée du processus !
Comment expliquer cela ?
Cette position aurait-elle été minoritaire au sein du rassemblement ? On constate que la direction du PCF a dû faire des concessions politiques importantes dans les textes, parce que c’est elle qui aurait été minorisée si elle avait affirmé une telle volonté d’alliance avec le PS. Au demeurant, nombre de militants ont exprimé avec force un accord avec les exigences mises en avant par la LCR, et on peut penser que la force de l’aspiration à ce que celle-ci réintègre pleinement le rassemblement correspondait précisément à la conscience que la participation de la LCR était une garantie par rapport au risque de glissements possibles du PCF sur cette question.
Quant à la « fragilité » de la LCR du fait de ses divisions, elle non plus n’explique rien, puisque, au sein même du Collectif national et dans le mouvement, les courants minoritaires ont rappelé régulièrement que sur ce point il n’y avait pas de désaccord au sein de la LCR dans son en semble.
Bref, le PCF était bien la force organisée dominante au sein du rassemblement (d’autant plus que la majorité de la LCR ne s’y investissait pas), mais son hégémonie n’était pas telle qu’il était en capacité de bloquer le débat et d’empêcher la clarification politique sur cette question décisive.
Alors ? Deux explications sont envisageables. La première, qu’on ne saurait retenir, serait un manque de pédagogie tel que la LCR ne serait pas parvenue à concrétiser l’accord politique existant au sein du rassemblement. La seconde renvoie à une erreur politique majeure de la part de la majorité de la LCR. Celle-ci n’est pas d’avoir dit qu’il y avait un problème politique décisif sur la question de l’alliance avec le PS, mais d’avoir soutenu contre toute évidence que le PCF était incapable de manifester toute évolution sur cette question, de répéter qu’il préparait clairement une telle alliance, et que c’était exprimé dans ses déclarations et écrit dans ses textes (cf. le feuilleton des articles dans Rouge à propos des différents conseils nationaux du PCF). … Le problème est que les militants des collectifs avaient sous les yeux les textes adoptés, écoutaient et lisaient les déclarations des représentants du PCF et comprenaient que, au moins à cette étape, c’était précisément l’inverse. Même les ambiguïtés entretenues par certaines formules étaient le signe de la gêne du PCF sur ce problème. Dès lors, ce qui était exigence légitime, et largement partagée, est apparu comme un prétexte, et les pseudo arguments mis en avant comme relevant de la mauvaise foi. La LCR n’a pas subi une défaite politique. C’est d’une certaine façon pire : elle est apparue comme pratiquant le double langage, affirmant d’un côté vouloir des candidatures unitaires, et de l’autre faisant tout pour les rendre impossibles.
La question des candidatures unitaires : les vouloir ou pas…
Le problème n’était donc pas d’occulter une question d’orientation politique (celle-ci fut au contraire largement débattue), mais de savoir, dès lors que les candidatures unitaires apparaissaient possibles sur des bases correctes, comme le confirmaient le texte ambition-stratégie et les propositions programmatiques, si dans les faits on les voulait on non.
L’ampleur de la crise provoquée par l’échec est à la mesure de ce qu’était l’enjeu. Si, pour des raisons fondamentales, rien n’était réellement possible, tout aurait dû être réglé rapidement et facilement. C’est ce sur quoi a parié la direction majoritaire de la LCR, répétant semaine après semaine un an durant que MG Buffet était candidate déclarée et que le PCF annonçait une nouvelle alliance avec le PS. Mais rien ne s’est passé ni vite ni facilement ! Parce que les militants des collectifs voyaient la possibilité de concrétiser l’alliance du « non » de gauche par la présentation de candidatures unitaires sur ces bases, et donc de modifier la donne à gauche.
Qu’opposes-tu à ce constat ?
Une vision fixiste : le PCF est le PCF, hier il fut prisonnier de l’alliance avec le PS, il le sera demain… Et ce parce qu’il est déterminé par la défense de ses positions institutionnelles, qui elles-mêmes dépendent du bon vouloir du PS. Mais cela est en grande partie faux ! Certes la direction du PCF est déterminée par ses intérêts de parti, mais elle sait (et explique) que l’alliance avec le PS porte inéluctablement condamnation de ceux-ci, sa survie à l’avenir dépendant de la possibilité de reconquérir des marges de manœuvre par rapport au PS (qui, pour seul cadeau, lui promet la satellisation). C’est pourquoi elle a eu besoin d’explorer une autre voie, qui est celle du choix antilibéral. Et ce avec hésitations, ruses et manœuvres, cherchant à préserver d’éventuels autres choix et surtout de contenir ses contradictions en interne.
Il convient à ce propos de préciser qu’il difficile d’accepter que la LCR raisonne par rapport au PCF comme s’il s’agissait d’un monolithe, animé par une orientation univoque, parce que déterminée par des motivations politiques simples. Et ce à un moment où, avec la campagne du « non », nous nous étions engagés dans une intervention commune avec nombre de ses militants et en discussion directe avec sa direction. Peut-on ignorer qu’il existe au sein du PCF un courant qui est fondamentalement engagé dans la voie antilibérale et disponible pour un dépassement du PC. Un autre qui ne voit d’avenir et de préservation possible de ses intérêts que dans la satellisation par le PS. Un autre encore qui se replie sur quelques bastions et s’accroche à son dogmatisme idéologique (ce qui au demeurant n’exclut ni alliances avec les précédents ni accords avec le PS). Et une direction qui fluctue entre ces diverses options, mais qui dans le cadre du rassemblement antilibéral a envisagé effectivement la possibilité de candidatures unitaires, à certaines conditions…
Mais la direction majoritaire de la LCR n’a pas voulu prendre en compte ces contradictions, afin de peser sur celles-ci pour travailler à construire un font antilibéral. Elle a fait l’inverse : expliquer en permanence que le PCF suivait une orientation implacable d’alliance avec le PS, pseudo constat censé justifier l’impossibilité de rester dans la rassemblement pour y peser positivement. Ce qui a autorisé la direction du PC, de son côté, à expliquer que la LCR, prisonnière de son gauchisme impénitent, récusait par principe toute forme d’accord avec le PS, quelles que soient les conditions et les rapports de forces, et se désintéressait du résultat final des élections.
Si la direction de la LCR a cru pouvoir se désinvestir du mouvement des collectifs, celle du PCF a pensé pouvoir l’instrumentaliser. Mais l’une et l’autre ont commis une double erreur : sous-estimer la puissance et la politisation des collectifs, et donc vivre dans l’illusion qu’il serait possible de dissimuler le fait de privilégier les intérêts organisationnels par rapport aux intérêts d’ensemble.
Oui, l’obstacle du nom
Après les progressions politiques collectives opérées avec le texte ambition-stratégie et le programme, le mouvement est venu s’échouer sur la question du nom possible pour une candidature unitaire. Le constat est calamiteux. Il ne doit pas conduire à raconter n’importe quoi et à agiter des leurres. Il convient au contraire de prendre le problème à bras-le-corps. Il est notable que les directions du PCF et de la LCR, chacune de leur côté, récusent l’idée que le problème pour elles était d’avoir leur candidat à la présidentielle, et donc s’évertuent à expliquer que l’empêchement à l’unité est venu de désaccords d’orientation. La LCR explique que le PCF voulait en fait l’alliance avec le PS. Le PCF explique que la LCR est enfermée dans une logique minorisante, et (théorisation plus récente) que d’autres composantes du rassemblement préparaient la constitution d’une nouvelle organisation et qu’il ne pouvait se laisser entraîner dans cette aventure… Certes ces diverses explications peuvent renvoyer à des logiques politiques qui sont susceptibles de se concrétiser à l’avenir en fonction de futures coordonnées politiques, mais elles étaient alors récusées par chacun pour ce qui le concerne, et tous n’ont rien fait pour les enrayer et proposer des alternatives.
La confusion est venue de l’incapacité des partis à expliciter et justifier les déterminants des choix politiques qui s’imposant à eux les amenaient à s’accrocher à leur candidature. Il semble bien que, pour la direction de la LCR, sa compréhension de la situation la conduisait à considérer qu’un font antilibéral n’était pas possible, et que dans ces conditions la seule réponse adéquate était de jouer l’atout de la candidature Besancenot. Quant à la direction du PCF elle a parié sur la possibilité que MG Buffet soit acceptée (avant de vouloir l’imposer !) comme candidature du rassemblement. La direction de la LCR s’est retirée la première. Celle du PCF, constatant que le périmètre du rassemblement se réduisait (retrait de la LCR, retrait de Bové, puis de PRS…), et que la candidature de MG Buffet n’était pas acceptée par les collectifs, a engagé sa propre campagne. Et, finalement, s’est affirmée la candidature de recours de Bové prétendant exprimer l’unité d’un mouvement en voie de dispersion…
Le désastre auquel conduit l’absence de candidature unitaire antilibérale témoigne des erreurs commises par les uns et les autres, et dans l’appréciation de la situation, et dans la défense d’intérêts organisationnels ayant leur légitimité. C’est cela qu’il faut analyser et débattre, pour enrayer les confusions et ressentiments qui conduisent à l’heure actuelle certains militants des collectifs et certains courants à considérer que les organisations en tant que telles, par essence en quelque sorte, sont animées par des logiques perverses et qu’il faut s’arracher à leur influence.
Cher Pierre, la « défense du principe d’organisation », qui te préoccupe, et auquel nous sommes tous attachés, elle passe aujourd’hui par là !
Mais, pour cela, il faut en finir avec les explications mystificatrices sur les déterminations des uns et des autres, cesser le jeu des rumeurs continuelles sur les manœuvres aussi obscures que malhabiles (2) censées avoir proliféré de tous côtés. Car si l’on discute sérieusement de ce qui s’est passé, des désaccords qui nous opposent, il est possible d’ouvrir de nouvelles perspectives, mais à entretenir les faux procès et les fables on ne fait que remplir la bouteille à l’encre où tout se corrompt.
Notes
(1) : Ainsi l’ignorance vaudrait autorisation à être péremptoire dans les jugements portés. Par exemple, en ce qui concerne le CIUN, ou plus précisément les composantes non PCF du CIUN (« l’aéropage » !). Le traumatisme de l’échec essuyé, puis les divisions autour de la candidature Bové, ont provoqué un flot d’attaques contre cet ex CIUN que tu relaies allègrement, prêtant à celui-ci des pouvoirs et une capacité de manœuvre qui relèvent de la pure fantasmagorie. Puzzle de représentants d’organisations, de courants, de personnalités diverses, où le PCF représentait la force principale, mais où la LCR pesait de sa présence-absence (d’abord « observatrice », puis se retirant…), il lui a fallu avec plus ou moins de bonheur assurer bien des travaux et trois réunions nationales des collectifs… Et, surtout, assumer, les contradictions de ce rassemblement improbable.
Une chose est sûre : on ne peut à la fois l’accuser d’inféodation au PCF et d’être responsable de la crise lors de la réunion de Saint-Ouen, ou d’avoir capitulé après le retrait du PCF tout en appelant à la réunion de Montreuil, qui allait proposer la candidature de Bové…
En fait, disons que, compte tenu de ses faiblesses et de l’acuité des problèmes auxquels il s’est trouvé confronté, l’ex CIUN ne mérite ni les excès d’honneur ni les indignités que d’aucuns, n’ayant jamais participé à la moindre de ses réunions, lui distribuent généreusement.
(2) : Pourquoi ne pas admettre plus simplement que c’était un problème difficile, qui s’est avéré insoluble en l’état des rapports de forces ? Il n’y avait pas de nom qui s’imposait comme apte à faire trait d’union (la multiplicité des candidatures proposées s’est maintenue jusqu’à la fin, sans que cela mérite ironie excessive). M.G. Buffet, secrétaire nationale du PCF, ne pouvait être ce nom, ce qui fut dit par le courant unitaire de la LCR dès le début (et publiquement, par écrit, lors de la Fête de l’Humanité !). L’hypothèse fut évoquée lors et après la réunion de Saint-Ouen d’une candidature issue du PCF autre que Buffet, sans qu’il y ait une « opération Wurtz », relayée par tel ou tel courant, mais des ballons sondes plus ou moins contrôlés. Là encore l’ironie facile ne fait pas office d’explication du problème de fond, à savoir pourquoi cette question est restée le talon d’Achille de la démarche engagée…
Note
1. Pierre Rousset, Après le « Bovéthon » : en défense du principe d’organisation, 6 février 2007.