Une scène et une sono dignes d’un festival de musique, une estrade dégoulinante de photographes braquant leurs objectifs vers la tribune, une foule sans fin agglutinée, en plein soleil, sur un parking. À l’entrée, des bénévoles qui exhibent avec zèle la liste interminable des médias accrédités… Voilà un acte politique qui contient tous les ingrédients d’un show de rock star.
Ce samedi 29 février, le coup de com semble réussi pour le principal protagoniste de ce meeting : l’indépendantiste catalan de droite Carles Puigdemont. Élu eurodéputé en mai dernier et originaire d’Amer (Gérone), à une centaine de kilomètres d’ici, il souhaite montrer qu’il joue ici en terre conquise.
Ici, c’est le parking du parc des expositions de Perpignan (Pyrénées-Orientales). Une cité de tradition catalane, qui jadis eut son importance sur la carte du royaume catalano-aragonais. Un chapitre glorieux encensé par le récit nationaliste catalan. Perpignan est passé côté français lors du traité des Pyrénées (1659) et s’est depuis transformé en une sorte d’impasse géographique (et socio-économique) de l’Hexagone. Coincé entre les Pyrénées, la Méditerranée et la péninsule ibérique, Perpignan représente pour les voisins du « sud » la Catalogne historique tout autant que l’ouverture vers l’Europe.
De quoi comprendre pourquoi, tout au long des discours, les intervenants ont remercié « le réseau de solidarité qui a permis la présence des exilés sur le sol catalan aujourd’hui », selon les mots de la présentatrice. Devant une foule compacte, dépassant les 100 000 manifestants, Carles Puigdemont a développé un discours de rupture, au sein duquel l’indépendance de la Catalogne a été décrite comme « l’unique manière de mettre fin à une monarchie héritière directe du franquisme ».
Pas habituée à recevoir autant de manifestants, la cité de 120 000 habitants n’avait pas hésité à se peindre de « sang et or » (rouge et jaune) le temps d’un week-end pour accueillir cet ex-président de la Generalitat, menacé par la justice espagnole pour la tentative de sécession qui fit suite au référendum du 1er octobre 2017.
Les jours précédant le meeting, tout comme le jour J, la ville saisissait l’opportunité commerciale d’une exhibition identitaire un peu forcée. Comme d’autres éléments du paysage urbain, la passerelle de l’Archipel, du nom du théâtre conçu par Jean Nouvel, affichait exceptionnellement les couleurs catalanes dès vendredi soir.
« Le conflit catalan est celui d’un État autoritaire face à une société qui veut décider de son futur, a scandé Toni Comín depuis la tribune. L’Europe est née pour protéger les peuples des dérives autoritaires et aujourd’hui, en tant qu’eurodéputés, nous pouvons faire comprendre que nous sommes face au même problème que dans le cas de la Hongrie ou de la Pologne. »
Toni Comín et Clara Ponsatí, également présente, sont deux anciens « ministres » régionaux de Puigdemont, également en exil en Belgique et également eurodéputés. Un statut qui les protège d’une extradition vers l’Espagne, en cas d’émission d’un nouveau mandat d’arrêt européen. La garantie était nécessaire à leurs yeux car, jusqu’ici, la France restait le pays européen qu’ils redoutaient le plus, en raison d’un accord bilatéral datant de la lutte contre l’ETA basque et qui permettait des extraditions administratives express, sans passage devant un juge.
L’organisation de ce week-end politique était officiellement coordonnée par l’association « Delegació del Consell per la República », (« Délégation du conseil pour la République », en catalan). Constituée en association de droit français en novembre dernier, le « Consell » poursuit le but d’offrir un relais logistique à l’équipe du « président en exil » ou « président légitime », selon les expressions des fidèles. Faire exister le président de la déclaration d’indépendance, qui œuvre péniblement à l’internationalisation de sa cause depuis sa fuite d’Espagne, voilà le sacerdoce du « Consell ». Résidant à Waterloo depuis plus de deux ans, Carles Puigdemont a oscillé entre des chapitres d’hypermédiatisation et de longs passages d’isolement.
L’association est coordonnée par une poignée de militants, activistes et personnalités catalanistes locales de Perpignan, d’influence marginale, autour de figures comme le chanteur Lluis Llach, symbole de l’anti-franquisme passé à l’indépendantisme.
Aucun des membres de l’association n’est présent sur les listes aux élections municipales et, pourtant, leur action aura peut-être eu des répercussions sur la campagne. Car, faisant fi du profil peu consensuel de Carles Puigdemont et sans aucune donnée fiable quant à l’efficacité électorale de la fibre catalaniste, plusieurs candidats à la mairie de Perpignan n’ont pas hésité à se mouiller. À commencer par le maire sortant, Jean-Marc Pujol. D’abord gêné par la perspective d’une affluence qui promettait de tutoyer la population de sa ville, le maire a finalement cherché à tirer vers lui la couverture médiatique.
« Si des personnalités nous rendent visite, c’est parce qu’il y a Louis Aliot en face »
Samedi matin, quelques heures avant le meeting, le tapis rouge est donc déployé à l’hôtel de ville, où l’ex-président catalan est fait citoyen d’honneur de Perpignan. Juste avant son arrivée, alors qu’une centaine de manifestants indépendantistes crient « Independència ! » devant des élus affichant l’écharpe tricolore, le maire de Perpignan se justifie auprès de Mediapart : « Oui, je sais que ça gêne certaines personnes. J’ai des amis qui me reprochent de recevoir Puigdemont. Notamment des Espagnols. Mais je m’en fous complètement. Je me positionne là comme je le ferais en dehors d’une campagne électorale, c’est-à-dire en faveur des libertés fondamentales et en soutien aux exilés. »
Favorable à un référendum dans toute l’Espagne sur le sort de la Catalogne, le premier édile, natif de Mostaganem (Algérie), poursuit : « Il y a une tradition de l’exil à Perpignan, comme le prouve le poids de la Retirada dans notre société. Mais pas uniquement, je suis moi-même un exilé… Un exilé d’Algérie, une terre d’où je suis parti pour des raisons politiques. »
Quant à son ancien adjoint Romain Grau, aujourd’hui candidat LREM à sa succession, il a laissé dire toute la semaine qu’il aurait eu une influence dans la décision de la préfecture de ne pas interdire le meeting.
Un peu plus tôt dans la semaine, jeudi 27 février, le sujet catalan s’était invité dans le meeting de lancement de la campagne officielle de la liste de gauche « Alternative ». Le duo de candidats, Caroline Forgues et Jean-Bernard Mathon, recevait plusieurs personnalités politiques venues leur apporter leur soutien. De Manuel Bompard à Gérard Filoche, en passant par Philippe Poutou et Marie-Pierre Vieu, tous ont eu un petit mot pour les prisonniers catalans.
Nicolas Caudeville, blogueur et citoyen engagé, était présent à cette soirée. Il résume ainsi la manière dont la Catalogne s’invite (ou pas) à Perpignan : « Si des personnalités nous rendent visite, c’est parce qu’il y a Louis Aliot en face. Ce n’est ni le sujet catalan ni Puigdemont qui les fait venir ici, bien sûr. Cela reste un sujet secondaire et globalement lointain des préoccupations des Perpignanais. Mais tout le monde en profite pour se positionner en faveur de l’autodétermination. »
Le débordement du « fait » catalan est tellement omniprésent dans l’échiquier politique perpignanais que le candidat d’extrême droite Louis Aliot, d’origine ariégeoise et souvent absent (hors campagne électorale) de la cité franco-catalane, s’est fendu en décembre d’une question au ministre Le Drian. Il y exprime sa préoccupation face à un « conflit […] qui a tendance à déborder du côté français sans pour autant provoquer de troubles dans le département ».
La missive concernait précisément l’association « Delegació del Consell per la República ». Le député du Rassemblement national s’y éloignait un peu de la doctrine jacobine pour interpeller le ministre, en lui demandant de préciser « la position de la France sur les peines de prisons prononcées à l’encontre des élus indépendantistes catalans ».
FABIEN PALEM