La condamnation de 12 dirigeants sociaux et politiques indépendantistes – dont 9 à des peines de prison allant de 9 à 13 ans – est perçue comme la punition collective de tout un peuple ayant osé affronter le régime politique de la transition post-franquiste et le système institutionnel de la Constitution de 1978. Il s’agit d’une condamnation injuste et illégitime, faisant suite à une longue procédure judiciaire truffée d’irrégularités et au cours de laquelle les magistrats ont fait régresser la législation en vigueur avec une logique de « guerre judiciaire ». Le « processus indépendantiste » s’explique dans une large mesure par la radicalisation de très larges secteurs de la population catalane à la suite de la dénaturation complète par le PSOE au Parlement espagnol de la tentative de réforme du Statut d’autonomie en 2006. Plus tard, cette tentative a été portée devant les tribunaux par la droite réactionnaire représentée par le PP. Tout cela a été perçu, bien au-delà des courants nationalistes traditionnels, comme une véritable humiliation collective et une remise en cause de la démocratie. Les conséquences à long terme de la récente condamnation et les scénarios qu’elle pourrait ouvrir à l’avenir sont imprévisibles.
Il faut prendre en considération que cette peine, après deux ans de détention provisoire, condamne l’ensemble des détenu·e·s à 104 ans de prison, les déclarant coupables de sédition et de détournement de fonds publics. Sa sévérité (au total plus d’années de prison que pour ceux jugés et condamnés pour leur participation directe au coup d’État militaire du 23 février 1981) ainsi que la nature politique du procès ont généré un climat de profonde indignation populaire en Catalogne. Le contenu principal de ce jugement, c’est la condamnation de mobilisations citoyenne en septembre et octobre 2017, considérées comme troublant l’ordre public. Cela implique la criminalisation du droit à la protestation collective et à l’exercice des droits fondamentaux, tels que les droits d’expression, de réunion, d’association et de manifestation. C’est la désobéissance civile et collective qui a été condamnée par cet arrêt, qui constituera désormais un précédent à appliquer largement à toute forme de protestation ou de résistance pacifique contre les décisions, les lois et les jugements des autorités de l’État.
Un nouveau bond en avant dans l’involution politique
La régression antidémocratique de la monarchie espagnole post-franquiste n’est pas nouvelle. Le durcissement répressif de l’État espagnol a été marqué par une loi destinée à arrêter la décentralisation de l’État après l’échec du coup d’État de 1981 (LOAPA), par le terrorisme d’État pratiqué par les gouvernements du PSOE dans les années 1980 contre l’ETA, par la « loi bâillon » (approuvée par Rajoy pour contenir les luttes des Indigné·e·s après le 15 mai 2011, qui limite sévèrement la liberté de manifestation, de réunion, de grève et d’information), ainsi que par la répression sauvage du référendum du 1er octobre 2017 en Catalogne. Bien que, du fait de la crise d’hégémonie du néolibéralisme et du durcissement autoritaire qui l’accompagne, cette dynamique se produise déjà au niveau international, il n’est pas moins vrai que la nature de la transition post-franquiste, qui a renoncé à juger les crimes des partisans du régime précédent et à « nettoyer » les appareils étatiques issus de la dictature, renforce cette dynamique. Néanmoins, l’arrêt de la Cour suprême constitue un véritable tournant, une menace très grave pour les mouvements sociaux et la gauche et un précédent très dangereux pour l’avenir de la démocratie dans l’ensemble de l’État espagnol.
Dynamique de mobilisation et d’auto-organisation
Après des années de mobilisations massives en faveur de l’indépendance et avec un large soutien (plus de 80 % dans les sondages) de la population catalane pour la revendication du droit à l’autodétermination (appelé également « le droit de décider »), l’arrêt de la Cour suprême a entrainé une dynamique de mobilisation plus militante et plus forte, encore très largement pacifique (désobéissance civile et blocages des voies de communication dont le point culminant a été l’occupation de l’aéroport de Barcelone le 14 octobre, s’inspirant des luttes des protestataires de Hong Kong). La grève générale du 18 octobre, qui a convergé avec les marches pour la liberté, a été la mobilisation la plus massive jusqu’à présent, se terminant par une manifestation de plus d’un demi-million de personnes.
Halte à la répression, solidarité avec le peuple catalan !
D’importants affrontements entre des minorités et les forces répressives ont cependant eu lieu – ce qui n’avait pas de précédent. Ces affrontements ont été utilisés par les forces répressives pour généraliser une répression de plus en plus dure et aveugle, en particulier contre les jeunes, répression à laquelle la police catalane a participé activement. Dans un contexte préélectoral, ces incidents ont ouvert la voie à une vaste campagne – qu’il faut absolument dénoncer – de criminalisation de l’indépendantisme et de la dissidence en général. Des méthodes répressives sortant de l’ordinaire ont conduit jusqu’à présent à 194 arrestations (dont 16 % sont des mineurs), à la détention provisoire de 28 manifestants (le Parquet général a ordonné la détention provisoire de toutes les personnes arrêtées au cours des troubles), à 576 blessés (dont 4 ont perdu un œil du fait de l’utilisation de matériel antiémeute) et même les médias ont été victimes de nombreuses attaques de la police. Des agressions des groupes d’extrême droite (parfois avec la complicité manifeste des forces répressives) contre des manifestants ont également été observées, tant en Catalogne que dans d’autres territoires où des mobilisations de solidarité ont eu lieu.
Face aux mobilisations en Catalogne, le gouvernement espagnol n’a pas d’autre politique que la menace de renforcer la répression et il affirme – sous la pression de la droite et de l’extrême droite, trois semaines avant les élections générales – qu’il ne renonce à aucun scénario répressif, y compris l’application de la loi de sécurité nationale (qui lui permettrait de contrôler directement la police catalane), de l’article 155 de la Constitution (qui entraînerait la suppression de l’autonomie catalane) ou même la proclamation de l’état d’urgence.
Nous appelons à la solidarité avec les forces qui, en Catalogne et dans l’ensemble de l’État espagnol, luttent pour les droits et les libertés, contre l’escalade de la répression, et nous réitérons notre soutien à une solution démocratique du conflit politique en cours, qui ne peut être réduit à un problème dit d’ordre public.
• Liberté pour les prisonniers politiques ! Amnistie !
• Libération de l’ensemble des manifestant·e·s arrêtés et emprisonnés !
• Pour le droit du peuple catalan à l’autodétermination !
• Arrêt de la répression policière et fasciste !
Le 21 octobre 2019
Bureau exécutif de la IVe Internationale