Avec des taux de grève de 50 % ou plus dans l’Éducation nationale (60 à 70 % en Seine-Saint-Denis), de 36 % aux Impôts, avec une moyenne de 30 % dans toute la fonction publique, et plus de 20 000 cheminots à Paris, la journée du 8 est bien « un avertissement » social et politique, alors que la confrontation présidentielle bat son plein. En même temps, elle n’est pas - pas encore ? - au niveau d’acuité et d’exigence que la bataille politique nationale exigerait.
Cette journée est à la confluence de trois secteurs en lutte. D’abord, un vrai regain de combativité dans l’Éducation nationale, avec la grève du 18 décembre (secondaire), puis la manifestation du 20 janvier, et des luttes départementales. Ce qui fait dire à Gérard Aschieri (FSU) qu’il serait fou d’espérer « laisser passer l’orage », car « il ne passera pas ». S’ajoute le ras-le-bol salarial des fonctionnaires depuis des années, redoublé de celui des cheminots, en colère contre des suppressions d’emplois et les menaces proférées sur leur régime de retraite. La question salariale - et des richesses, avec notamment le débat fiscal permanent ces derniers jours - est au premier plan depuis la rentrée. Chaque semaine, des conflits éclatent sur les salaires dans le secteur privé. Mais la question des salaires n’était pas parvenue jusqu’ici à se traduire en luttes d’ampleur nationale. La conférence de Villepin, en décembre, a été une opération de diversion que le syndicalisme a été incapable de déjouer.
La défense du service public est également un support de mobilisation, mais de manière quelque peu indirecte chez les personnels. Pourtant, la SNCF est en train de casser son réseau marchandises (fret), au profit de la route, tout en préparant les trains privés. L’école est toujours au cœur d’une vaste offensive idéologique menée par le ministre de Robien (de la méthode de lecture aux décrets sur les horaires, en passant par la réforme administrative des écoles) et par... Ségolène Royal (carte scolaire). La fonction publique en général est l’une des plus vieilles cibles des libéraux, et de Sarkozy (amaigrissement de l’État, rapport Camdessus), qui « promet » le non-remplacement d’un fonctionnaire en retraite sur deux, anticipé cette année par 15 000 postes supprimés, touchant surtout l’Éducation et Bercy.
Après le 8 février, les syndicats ont prévu de se revoir cette semaine, Il manque cependant à cette journée la portée politique que, par exemple, la grève du 10 mars 2005 annonçait pour le 29 Mai suivant. Et là, la responsabilité est partagée entre l’éclatement de l’offre politique à gauche de Ségolène Royal, et le positionnement attentiste des confédérations syndicales. La CGT a estimé que le 8 février était une « contribution syndicale » au débat électoral. Mais c’est plutôt le minimum syndical, quant au contenu politique. Jean-Daniel Lévy, de l’institut CSA, qui réalise chaque année le baromètre d’audience syndicale, estimait que le syndicalisme devrait se situer « un pas devant » les salariés ; en « aidant les candidats » de par son « expertise », à « influer positivement la campagne » (Le Peuple, de novembre 2006). Or, les syndicats sont plutôt, jusqu’ici, « un pas derrière », et ce n’est pas bon pour leur indépendance authentique. Ce repli, en deçà des enjeux politiques centraux, peut aussi nuire à la hauteur nécessaire de la mobilisation, en émoussant sa portée interprofessionnelle, alors que les salariés sont très conscients de la gravité du moment.
Le 10 mars prochain, la Convergence de défense des services publics organise des états généraux, avec l’appui de plusieurs fédérations syndicales (CGT, FSU, Solidaires) et en interpellant les candidats. C’est une occasion de donner suite au 8 février, en exigeant des réponses claires sur quelques questions dérangeantes concernant les services publics, en France et en Europe.