Des dizaines de milliers de civils syriens et de combattants étaient bloqués, samedi 17 décembre, dans l’ultime quartier d’Alep contrôlé par la rébellion, en proie au froid, à la faim et à la peur d’une attaque des forces progouvernementales.
Le processus d’évacuation, parrainé par la Russie et la Turquie, qui avait permis d’extraire 8 000 personnes, dont 3 000 combattants, de ce réduit durant la journée de jeudi, a été suspendu vendredi, sur intervention de l’Iran et des milices proïraniennes qui épaulent l’armée régulière syrienne, notamment le Hezbollah. Pour cesser de faire obstruction au départ des habitants de la partie est d’Alep, ces forces exigent un allégement du blocus imposé par les rebelles anti-Assad à deux villages chiites syriens de la province voisine d’Idlib, Foua et Kefraya.
« C’est nous qui avons arrêté l’opération [d’évacuation] et ils ne sortiront pas tant que des milliers de personnes ne sortiront pas de Foua et Kefraya, n’en déplaise aux pays qui soutiennent les rebelles, a déclaré vendredi Hussein Mortada, le patron de la chaîne iranienne Al-Alam, se faisant le porte-parole de ces groupes armés chiites de diverses nationalités (irakiens, afghans, libanais) financés par Téhéran. Si les bus n’entrent pas dans Foua et Kefraya, et le temps pour négocier est compté, l’armée syrienne reprendra ses opérations, arrêtera ou tuera les rebelles qui restent. »
Les ONG sommées de retirer leur personnel
Vendredi matin, des tirs attribués à des miliciens chiites, à proximité de l’enclave rebelle d’Alep, ont semé la panique dans la foule qui attendait son transfert par bus vers une zone rurale sous le contrôle de la rébellion. Des vidéos mises en ligne par des militants anti-Assad montrent des familles en train de fuir, au milieu d’une file de véhicules, sur fond de crépitement d’armes automatiques.
Au même moment, un convoi déjà en route pour l’ouest d’Alep, était intercepté par des miliciens qui l’obligeaient à rebrousser chemin. Des sources au sein de l’opposition affirment qu’avant que le bus fasse demi-tour les passagers ont été fouillés, parfois dépouillés de leurs effets personnels, et qu’à la suite d’une altercation avec des combattants chiites, quatre personnes ont été abattues. Ces allégations n’ont pas pu être corroborées de source indépendante.
La Russie a alors annoncé, contre toute évidence, que l’évacuation des assiégés de l’est d’Alep était achevée, donnant l’impression aux opposants syriens que Moscou cherchait à se dédouaner de la faillite de cette opération. Les organisations humanitaires qui la supervisaient jusque-là, comme le Comité international de la Croix-Rouge et l’Organisation mondiale de la santé, ont été sommées de retirer leur personnel, accentuant l’inquiétude de la population candidate au départ.
Déploiement d’observateurs
L’Iran, tenu à l’écart des discussions entre Ankara et Moscou sur l’évacuation des rebelles et des civils de la partie est d’Alep, soutient que l’accord, conclu mardi soir, inclut une sortie des blessés de Foua et de Kefraya. Selon un haut responsable de l’insurrection, les brigades rebelles seraient prêtes à remplir cette exigence. Les deux villages sont assiégés depuis bientôt deux ans par des groupes armés islamistes, dont le Front Fatah Al-Cham, une faction issue d’Al-Qaida. Mais, selon le Hezbollah, une route devant être utilisée pour la sortie des blessés a été bombardée vendredi ; ce qui ferait planer le doute sur les intentions des rebelles.
Au sein de l’opposition armée, on redoute que Téhéran et ses alliés sur le terrain, en accord avec Damas, continuent à parasiter l’évacuation d’Alep, aussi longtemps que le siège de Foua et Kefraya ne sera pas intégralement levé. Le sort de ces deux villages, qui sont ravitaillés par les airs par l’armée syrienne, est lié à celui de deux localités sunnites, Madaya et Zabadani, à l’ouest de Damas, où de nombreux cas de mort par famine ont été signalés. Un accord conclu en 2015, dit des « 4 villes », prévoyait leur désenclavement progressif et parallèle. Mais après quelques livraisons d’aides et des évacuations partielles, cet arrangement s’est effondré.
Longtemps silencieux sur Alep, le président américain, Barack Obama, a réclamé vendredi le déploiement d’observateurs internationaux dans la ville, pour sécuriser la sortie des rebelles et des civils. La France a présenté le même jour un projet de résolution en ce sens au Conseil de sécurité de l’ONU qui pourrait être mis au vote ce week-end. Samedi matin, un responsable de l’opposition a annoncé qu’un nouvel accord sur la reprise des évacuations avait finalement été trouvé.
Madjid Zerrouky et Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)
* « Téhéran pose ses conditions à l’évacuation de l’est d’Alep ». LE MONDE | 17.12.2016 à 10h51 • Mis à jour le 17.12.2016 à 12h07 :
http://www.lemonde.fr/international/article/2016/12/17/teheran-pose-ses-conditions-a-l-evacuation-d-alep-est_5050605_3210.html
A Alep, des milliers de personnes attendent toujours d’être évacuées
Au lendemain de la suspension des opérations d’évacuation par le régime syrien, il resterait environ 40 000 civils dans la partie rebelle de la ville, selon l’ONU.
C’est dans le froid, et taraudés par la faim, que des milliers de rebelles et de civils attendaient, samedi 17 décembre, la reprise des évacuations des derniers quartiers rebelles d’Alep, a constaté un journaliste de l’Agence France-Presse (AFP) au lendemain de la suspension des opérations par le régime syrien de Bachar Al-Assad.
Un responsable rebelle a assuré qu’un accord pour la reprise des opérations avait été trouvé, mais aucune confirmation n’avait été donnée par le régime. Il resterait environ 40 000 civils dans le réduit rebelle d’Alep et entre 1 500 et 5 000 combattants avec leurs familles, selon l’émissaire de l’Organisation de Nations unies (ONU) pour la Syrie, Staffan de Mistura.
Dans le quartier d’Al-Amiriyah, encore tenu en partie par les insurgés et d’où part le périple des évacués, des milliers de personnes, dont des enfants, ont passé la nuit dans les ruines des immeubles alentour dans l’attente d’une possible reprise des opérations. Les habitants privés d’eau potable et de nourriture, subsistent en mangeant des dattes, alors que la température avoisinait – 6 °C, a souligné le correspondant de l’AFP.
L’armée syrienne a suspendu vendredi les évacuations en accusant les rebelles de « ne pas respecter les conditions de l’accord ». Une source militaire a affirmé que les insurgés avaient « ouvert le feu et voulu sortir des armes moyennes et prendre des otages ».
Forcés de rebrousser chemin
Selon l’opposition et les groupes armés à Alep, ce sont les milices chiites qui se battent aux côtés du régime syrien seraient intervenues pour bloquer les évacuations. D’après leurs témoignages, plusieurs centaines d’Alépins en cours de transfert auraient été brièvement kidnappés par ces milices, qui réclament en contrepartie que le siège imposé à deux villages chiites de la province d’Idlib, Foua et Kefraya, soit allégé.
Depuis jeudi, 7 000 civils ont été évacués selon le chef de la diplomatie turque, Mevlut Cavusoglu. A Moscou, le ministère de la défense évoque pour sa part le chiffre de 6 400 personnes évacuées au cours des dernières vingt-quatre heures, dont 3 000 rebelles, selon des chiffres cités par l’agence de presse russe RIA.
Mais vendredi un convoi de plus de 800 personnes évacuées a été forcé de rebrousser chemin par des miliciens chiites prorégime, les rebelles assurant que le groupe avait essuyé des tirs. Le Comité international de la Croix-rouge (CICR), qui supervise les évacuations, a d’ailleurs précisé qu’il examinait « des informations évoquant des tirs ».
Faisant état de « signalements sur des exécutions de civils », le président américain Barack Obama a réclamé le déploiement d’observateurs impartiaux pour superviser les évacuations. La France a d’ailleurs présenté vendredi un projet de résolution en ce sens au Conseil de sécurité de l’ONU où la Russie, alliée de Damas, s’est montrée sceptique. Un vote pourrait avoir lieu ce week-end, selon l’ambassadrice américaine à l’ONU, tandis que son collègue français faisait état d’une « écrasante majorité » des quinze membres du Conseil en faveur du texte. En presque six ans, les conflits en Syrie ont fait plus de 310 000 morts.
Le Monde.fr avec AFP
* 17.12.2016 à 10h14 • Mis à jour le 17.12.2016 à 11h12 : :
http://www.lemonde.fr/syrie/article/2016/12/17/a-alep-des-milliers-de-personnes-attendent-toujours-d-etre-evacuees_5050597_1618247.html