Au travers de villages autogérés, de débats, de concerts, de blocages, de manifestations quotidiennes, organisés du 28 mai au 1er juin à l’occasion du contre-G8, le mouvement pour une autre mondialisation a une fois encore montré sa diversité, sa vitalité et sa capacité de mobilisation.
Les deux villages alternatifs et internationalistes - le village alternatif, anticapitaliste et antiguerre (Vaaag) de tonalité plutôt anarco-libertaire (3 000 participants) et le village intergalactique (Vig), plus divers et ouvert (plus de 5 000 participants) - constituent l’expérience la plus originale de ces quatre jours. Loin d’être de simples campings militants, ces villages correspondaient à de véritables projets alternatifs, avec l’idée de s’opposer au G8, mais aussi de rendre concret le slogan « un autre monde est possible ». Ne voulant pas choisir entre les deux villages, le Point G, espace non mixte et féministe, s’était installé, de même que le Mib et AC !, entre les deux villages. Le village intergalactique fonctionnait selon le principe de l’autogestion avec un partage du village en barrios (quartiers) selon une logique de pôles d’affinité : désobéissants (le plus important), Reve (rassemblement européen pour un village écologique, animés par les jeunes Verts), Biozone (écologistes radicaux), Chill out (« keep cool »), espace féministe et lesbigaytrans, solidarité Nord-Sud (avec des ONG), antiguerre. Chaque barrio décidait de son fonctionnement, de ses activités et ateliers en assemblée générale. Des délégués se réunissaient chaque jour pour gérer la vie collective, les décisions étant prises au consensus. La logique qui a prévalu n’était pas celle d’un cadre unitaire traditionnel mais d’un projet collectif avec la volonté d’éviter que le village se transforme en « foire aux militants » où il est impossible de faire un pas sans être interpellé par un vendeur de presse militante. Le débat politique n’était pas exclu pour autant, un espace forum étant réservé aux débats centraux et aux tables des organisations et associations. C’est dans ce cadre qu’a eu lieu samedi en fin d’après-midi une rencontre avec Olivier Besancenot à laquelle ont participé 800 altermondialistes enthousiastes et disponibles pour discuter des propositions défendues par la LCR. Voilà qui constitue un cinglant démenti pour les organisations absentes qui considèrent que le mouvement altermondialisation n’aurait pour seul horizon qu’un aménagement du capitalisme.
Les débats ont constitué également un des points forts de la mobilisation. Annulation de la dette, assemblée des mouvements sociaux, mobilisations contre la guerre et l’occupation de l’Irak, mobilisations contre le plan Fillon sur les retraites en France, défense des services publics, tous ces thèmes ont été débattus passionnément témoignant là encore de la volonté des altermondialistes d’avancer dans la recherche d’une alternative à la mondialisation capitaliste. Les partis politiques ont eux aussi organisé leurs propres initiatives. La salle était comble samedi soir, malgré son éloignement et la fatigue, lors de la réunion publique de la LCR avec Roseline Vachetta, Olivier Besancenot, Antoine Pelletier des JCR, les suisses Paolo Gilardi du Mouvement pour le socialisme et Marie-Eve Tejedor de Solidarité.
Les blocages pacifiques
Parce qu’ils considèrent les réunions de l’OMC, du FMI, de la Banque Mondiale ou du G8 illégitimes, les altermondialistes s’efforcent depuis Seattle, à juste titre, d’empêcher leur tenue ou au moins de les perturber. Avec une certaine efficacité d’ailleurs puisque pour tenir ces réunions, les grands de ce monde sont obligés de se barricader, de créer des zones rouges où toute forme de manifestation est totalement interdite. Pour le G8, plusieurs opérations de blocage étaient prévues à Annemasse, Genève et Lausanne avec comme objectif de perturber le transfert des participants au G8 (traducteurs, secrétaires, etc.) de l’aéroport de Genève à Evian.
A Annemasse, partant du village intergalactique à quatre heures du matin, 2000 manifestants se sont dirigés vers la seule nationale permettant du côté français de relier l’aéroport à Evian afin de bloquer deux carrefours stratégiques. Si les forces de l’ordre ont d’abord laissé les manifestants progresser, un dispositif policier conséquent empêchait l’accès au deuxième carrefour. Une ligne de front tentait d’approcher les CRS, d’élever des barricades hétéroclites, tandis que d’autres contournaient le barrage. Un groupe plus spécifique, composé d’une cinquantaine de volontaires, organisait une chaîne afin de permettre un reflux sans panique face à la pluie de gaz lacrymos. Ceux qui ne souhaitaient pas s’approcher de la police restaient derrière la chaîne et, en faisant masse, renforçaient son efficacité.
A Genève, dès cinq heures et demie du matin, les manifestants avaient rendez-vous au pont du Mont-Blanc. L’objectif était de bloquer les ponts reliant les deux parties de la ville de Genève. A sept heures, sur la rive gauche, tous les ponts étaient bloqués sans problèmes sauf pour l’un d’entre eux où les forces de police interdisaient le blocage sous prétexte de laisser passer les ambulances, ce qui a donné lieu à quelques affrontements.
A Lausanne, les opérations de blocage ont donné lieu à de très sévères affrontements avec les forces de police qui n’ont pas hésité à encercler un camping où se trouvaient les altermondialistes et à effectuer des centaines d’arrestations.
Les deux manifestations
L’inquiétude était grande du côté genevois. L’incroyable campagne de presse annonçant que les altermondialistes allaient tout casser, les graves incidents qui s’étaient passé dans la nuit du samedi au dimanche dans la vieille ville (voir ci-dessous) allaient-ils décourager nombre d’opposants au G8 à manifester ? Dès 10 h 30, soulagement, le pari était gagné. Des masses de manifestants rejoignaient les différents cortèges. Le caractère internationaliste de cette manifestation était très important. En tête, les délégations des pays du Sud, suivis des cortèges d’organisations d’Italie, de Catalogne, d’Euzkadi, de Grande-Bretagne et de France, les organisations suisses constituant la deuxième partie de la manifestation. Des dizaines et des dizaines de personnes se pressaient sur les trottoirs ou les ponts, marquant ainsi leur solidarité avec les manifestants. Genève venait de connaître la plus grande manifestation de mémoire de militant ou peut-être même de son histoire. Le cortège de la LCR, dont l’essentiel des militants se trouvaient du côté d’Annemasse, a naturellement fusionné avec celui de Solidarité. Résultat probant, près de 2 500 manifestants enthousiastes reprenant les slogans et chansons de deux camions sono dont l’un était animé par le groupe de musique toulousain « les touristes ». Pas un seul temps mort jusqu’à la douane, là où les deux manifestations convergeaient. Moment émouvant, symbolique pour celles et ceux qui réclament le droit à la libre-circulation des personnes.
Les grévistes de l’Education nationale ouvraient la manifestation partie d’Annemasse qui elle aussi allait réunir 50 000 personnes. Le refus du plan Fillon, l’appel à la grève générale reconductible étaient bien présents, au travers d’une multitude de slogans, dans beaucoup de cortèges, ce qui démontre, une fois encore, que le mouvement altermondialiste n’est pas à côté ou en dehors du mouvement social, de la résistance face à l’offensive contre les acquis sociaux menée par les gouvernants, Chirac en tête. Parmi les cortèges les plus remarqués, celui d’Attac, le plus important numériquement, celui du pôle anarchiste et libertaire regroupant pour la première fois, dans un cadre commun, différentes organisations de cette mouvance, celui du groupe des 10 et de la FSU dont des drapeaux se retrouvaient par ailleurs tout au long de la manifestation. Le cortège de la LCR, très dynamique, a regroupé 900 manifestants avec comme épilogue cette scène un peu surréaliste sur l’autoroute, dans une chaleur étouffante, où les deux cortèges de la LCR se sont retrouvés face à face et ont fusionné.
Le bilan de l’ensemble de la mobilisation est extrêmement positif, témoignant des capacités d’initiatives du mouvement altermondialiste. Une fois encore, les grands de ce monde ont dû se barricader, mettre en place une zone rouge très étendue, transformer Genève et surtout Lausanne en camps retranchés. Une fois encore, les altermondialistes ont su montré que les grands de ce monde sont indésirables et que leurs conciliabules, plus que jamais, sont totalement illégitimes.
Sylvain Pattieu et Léonce Aguirre
« Black Bloc », violences et intoxication
A quelques exceptions près, la presse a centré ses reportages et ses commentaires sur les actes de violence plutôt que sur les objectifs et revendications des altermondialistes et sur l’ampleur de la mobilisation. On ne peut aborder la question des violences sans commencer par dire que les huit plus grands casseurs n’étaient pas à Genève ou à Lausanne mais à Evian ! On ne peut que faire nôtres les propos de l’éditorialiste du quotidien romand Le Courrier qui fait remarquer que « les dégâts occasionnés ne représentent pas un millième des frais engagés pour divertir, loger, transporter, protéger, servir, nourrir... ces messieurs du G8 », ajoutant que « surtout, ce ne sont là que des objets. Jamais ils ne doivent masquer les milliards de victimes silencieuses que le capital transnational et ses instruments exploitent pour le seul profit de quelques privilégiés. Les vitrines cassées valent-elles tant d’apitoiement lorsque 250 000 personnes sont mortes de faim et d’injustice durant le même laps de temps ». Ceci étant dit, il ne s’agit pas non plus d’adopter une position démagogique à l’égard des événements qui se sont déroulés pendant le week-end. En ce qui concerne les violences enregistrées à Genève dans la nuit du samedi au dimanche, qui n’avaient aucun objectif politique crédible et qui ont mis en danger la vie de plusieurs personnes (incendie), nous ne pouvons que condamner des actes qui s’apparentent plus à des exactions qu’à des actes politiques. Autres choses sont évidemment les opérations de blocage comme celles décrites ci-dessus que nous revendiquons haut et fort même si elles sont illégales. Quant aux manifestants se réclamant du « Black Bloc » qui étaient présents lors de la manifestation du dimanche et qui s’en sont pris à des stations d’essence de BP et de Shell, ils expriment à la fois une radicalité et une impuissance face à des gouvernements qui développent une guerre militaire et sociale tous azimuts sans que le mouvement ouvrier, ses organisations politiques et syndicales soient capables, pour l’heure d’offrir une réponse crédible. Sans tomber dans le piège des gentils manifestants d’un côté et des méchants casseurs de l’autre, nous devons critiquer sans concession le fantasme d’une possible confrontation « militaire » ultra minoritaire avec l’appareil d’Etat ainsi que cette manière de squatter des manifestations et de leur faire assumer un type de confrontation dont elles ne veulent pas.
L. A.