Fabien Engelmann, Annie Lemahieu, Franck Pech, Daniel Durand-Decaudin. Point commun : syndiqués ou syndicalistes, respectivement à la CGT, FO, SUD et la CFDT. Et surtout candidatEs sur des listes Front national lors des dernières élections cantonales. Ces candidatures ont à juste titre provoqué l’étonnement : comment peut-on appartenir (depuis excluEs ou en passe de l’être) à des organisations qui défendent des valeurs de solidarité, marquées (plus ou moins) à gauche, et porter les couleurs du FN, formation aux discours et programme racistes, xénophobes et antisociaux ? Basculement de franges entières du mouvement syndical ? Entrisme, ou simple coup médiatique orchestré par le FN ?
Le fait est que ces « coming-out » ne font qu’illustrer un phénomène constant depuis une quinzaine d’années : la porosité croissante du monde du travail, y compris de franges du mouvement syndical, avec les idées les plus réactionnaires incarnées par le FN. Comment s’en étonner, dans un contexte de crise face à laquelle aucun projet de société émancipateur n’apparaît crédible aux yeux des classes populaires, et où la politique raciste d’un gouvernement engagé dans une surenchère vis-à-vis du FN ne fait que le légitimer et le banaliser un peu plus ?
Déjà en 2002, 30 % des ouvriers (et 17 % des salariés), 38 % des chômeurs avaient donné leur voix à Jean-Marie Le Pen. Neuf ans plus tard, l’étude des résultats des cantonales confirme cette tendance. Elle montre aussi que le niveau d’organisation de la classe et l’influence des syndicats joue un rôle immunitaire (relatif) face au vote FN : 3 % des sympathisants SUD, 6 % des sympathisants CGT, 8 % des sympathisants CFDT… mais aussi 15 % des sympathisants de FO ont voté FN [1]. Ce qui pose évidemment question : autant concernant l’orientation et l’affaiblissement des référents idéologiques « traditionnels » au sein de ces organisations ; mais aussi la nécessité de les renforcer comme autant de remparts dans la période réactionnaire actuelle.
L’influence (idéologique) du FN au sein même des organisations syndicales n’est donc pas nouvelle. En quête de « dédiabolisation », il a ici employé une de ses plus vieilles recettes : la victimisation. L’exclusion des « syndicalistes » frontistes, d’autant plus prévisible que le même coup avait été tenté au milieu des années 1990 [2], a permis au FN de crier à la discrimination envers ses militants [3]… et, à travers eux, des travailleurs (français) qui ne seraient plus défendus par leurs organisations, partie intégrante du « système » face auquel le FN s’autoproclame seul opposant et alternative. A défaut de pouvoir intégrer publiquement ces organisations, le FN crée les siennes. Tout d’abord en fondant le Cercle national de défense des travailleurs syndiqués (entendez par là les candidats frontistes exclus de leurs syndicats « en violation des principes démocratiques »), puis en annonçant lors de l’entre-deux tours des cantonales par la voix de Marine Le Pen « d’ici quelques semaines la création, dans tous les secteurs où il sera possible de le faire, des syndicats libres qui accepteront en leur sein des candidats, des électeurs ou des représentants du FN. »
Coup de bluff ? Dans tous les cas, les organisations qui se réclament de la défense des intérêts du monde du travail ne peuvent faire l’économie d’un effort accru dans la lutte contre le FN, dans leurs propres rangs bien évidemment, et au-delà. On ne peut que se féliciter de l’exclusion de la CGT de Fabien Engelmann et de ses comparses, et de la réaction de cette confédération [4]. C’était bien le moins [5]. La déclaration de l’intersyndicale du 17 mars intitulée « La préférence nationale n’est pas compatible avec le syndicalisme » [6] est un premier pas dans le sens d’une remobilisation face à l’extrême droite. Le principe de la préférence nationale (clef de voûte du programme du FN, proposition autour de laquelle s’articule sa xénophobie et son racisme) doit être dénoncé, et le racisme combattu.
Mais la lutte contre le FN ne saurait se résumer à la seule construction d’un indispensable mouvement antiraciste (qui devra avant tout répondre pied à pied à la politique gouvernementale), et dans lequel les syndicats doivent jouer un rôle crucial. L’appel à la mobilisation « D’ailleurs nous sommes d’ici » le 28 mai est une échéance centrale dans cette perspective. En luttant aux côtés des travailleurs sans papiers pour leur régularisation, en luttant contre toutes les formes de racisme (et notamment l’islamophobie actuelle) et les discriminations, en développant les luttes transnationales…
Les révolutions arabes dans lesquelles les travailleurs jouent un rôle important, tout comme les luttes en cours contre les plans d’austérité dans différents pays européens, sont une occasion de construire une solidarité internationaliste qui sape les bases d’un repli nationaliste que le FN appelle de ses vœux. Il s’agit également, tout en défendant un programme et une stratégie anticapitalistes seuls à même de répondre aux attentes de la population dans ce contexte de crise, de dénoncer spécifiquement le FN pour ce qu’il est : un ennemi mortel du monde du travail et de ses organisations, auquel on ne saurait laisser le moindre espace.
Alexandre Timbaud