Présidentielle au Tchad : la France et l’Union Européenne soutiennent la dictature Déby sous couvert de démocratie
Le parti d’Idriss Déby, arrivé au pouvoir il y a 21 ans par un coup d’Etat, a remporté les législatives du 13 février dernier au terme d’un scrutin entaché de fraudes manifestes. Les résultats ont pourtant été cautionnés par l’Union Européenne et la France. Dans ce contexte, les principaux candidats de l’opposition ont annoncé qu’ils ne participeront pas à l’élection présidentielle du 25 avril prochain.
La diplomatie française, qui a désavoué les dictateurs tunisien et égyptien, continue au Tchad à soutenir le régime criminel d’Idriss Déby. Pourtant les Tchadiens eux-aussi ont droit à la démocratie.
Les élections législatives du 13 février dernier ont été l’objet de nombreuses irrégularités dénoncées par la Coalition des Partis politiques pour la Défense de la Constitution (CPDC) : bureaux de vote fictifs, bourrage d’urnes, encre non indélébile fournie par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), ou encore cartes d’électeurs non distribuées, non conformes, manquantes ou surnuméraires, sont autant de fraudes qui ont entaché le scrutin. A cela il faut ajouter la corruption de certains chefs traditionnels, des agressions multiples, et le fait que des moyens considérables de l’État ont été mis à la disposition du parti au pouvoir pour mener sa campagne. Enfin, l’opposition a également remis en cause l’indépendance de la CENI mise en place par le régime.
L’ensemble des requêtes sur ces irrégularités, portées devant le Conseil Constitutionnel par les principaux représentants de l’opposition ayant été rejetées, plusieurs d’entre eux, dont Wadal Abdelkader Kamougué et Ngarlejy Yorongar de la Fédération Action pour la République (FAR), et Saleh Kebzabo de l’Union Nationale pour la Démocratie et le Renouveau (UNDR) porte-parole adjoint de la CDPC, ont annoncé qu’ils ne participeront pas à l’élection présidentielle prochaine et ont appelé au boycott du scrutin. Seuls deux ministres de son propre gouvernement restent en compétition face à Idriss Déby.
Malgré les nombreuses fraudes, le Ministère français des Affaires étrangères a salué, le 17 février dernier, « le bon déroulement des élections législatives ». L’Union Européenne en a fait de même. Catherine Ashton, Haute Représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de Sécurité, s’est « [félicitée] du bon déroulement des élections législatives au Tchad et du climat apaisé et serein qui a marqué la campagne électorale et le scrutin. ». Louis Michel, le chef de la Mission d’Observation Electorale (MOE) de l’Union Européenne, a même parlé de « tournant historique », alors que les conclusions préliminaires de sa mission soulignent nombre d’irrégularités.
La MOE permet ainsi, comme ce fut le cas pour la présidentielle au Togo en 2010, à un dictateur de conserver le pouvoir par des élections truquées. Il est en effet désormais aisé pour Idriss Déby de gagner la présidentielle du 25 avril qui s’annonce comme une inévitable mascarade. L’Union Européenne confirme son absence de politique réelle de soutien à la démocratie et le rôle de paravent qu’elle joue en faveur de la France historiquement omniprésente au Tchad.
En place de manière permanente depuis 1986 avec l’opération Épervier (opération à l’origine provisoire), l’armée française entraîne, équipe et conseille l’armée tchadienne. Elle participe ainsi clairement à la perpétuation d’un pouvoir répressif et dictatorial. L’incohérence de la diplomatie française face aux dictatures, révélée en Tunisie, est d’autant plus évidente que le régime tchadien soutient actuellement Mouammar Kadhafi, notamment par l’envoi de mercenaires.
En 2001 déjà, Survie dénonçait un scrutin présidentiel frauduleux, suivi de l’arrestation des principaux candidats de l’opposition et de nombreux militants. En 2006, après avoir révisé la constitution pour pouvoir à nouveau se présenter, Idriss Deby remportait la présidentielle boycottée par l’ensemble de l’opposition. Toutes ces mascarades électorales furent soutenues financièrement et logistiquement par les autorités et l’armée françaises.
En février 2008 encore, c’est grâce au soutien militaire français qu’Idriss Déby fut sauvé in extremis d’un renversement par une coalition de mouvements de l’opposition armée. Il en profita pour réprimer l’opposition démocratique et procéder à l’enlèvement puis à l’élimination de l’opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh, porte-parole de la Coalition des partis politiques pour la Défense de la Constitution (CPDC). Le rapport de la Commission d’enquête internationale chargée d’enquêter sur ces événements a clairement mis en cause la Garde présidentielle du dictateur tchadien dans l’enlèvement de l’opposant et évoque le rôle d’officiers français. Aucune suite judiciaire n’a toutefois été donnée à ce rapport.
L’actuel processus électoral est présenté comme étant dans la droite ligne des accords politiques du 13 août 2007, signés entre le gouvernement et l’opposition tchadienne. Ces accords, contestés alors par diverses organisations de la société civile exclues des négociations, furent signés à l’instigation de la diplomatie française et avec la « facilitation » de l’Union Européenne. Ils devaient déboucher sur la mise en place d’un processus démocratique et d’élections libres et transparentes. Cependant le régime s’est depuis évertué à empêcher leur application, plongeant le Tchad dans un cycle de violence, de rébellions et de répression, dans lequel s’inscrit clairement la disparition d’Ibni Oumar Mahamat Saleh.
Aujourd’hui, c’est pourtant en référence à ces accords que la France soutient un processus électoral qui est bien loin de donner la moindre garantie démocratique. Ainsi, les Tchadiens, qui aspirent à la démocratie, restent prisonniers d’un régime largement soutenu par les diplomaties française et européenne.
Pour toutes ces raisons, l’association Survie demande :
• aux autorités françaises et européennes de ne pas cautionner l’élection présidentielle du 25 avril qui n’offre aucune garantie démocratique ;
• au gouvernement français de cesser de soutenir le régime dictatorial d’Idriss Deby à travers sa coopération diplomatique, militaire et technique et de retirer l’armée française présente depuis 1986 au Tchad ;
• la déclassification des documents diplomatiques et militaires français relatifs à la disparition de l’opposant Mahamat Saleh ainsi que l’audition des fonctionnaires civils et militaires français présents au Tchad en février 2008, conformément aux demandes répétées du député Gaëtan Gorce et du sénateur Jean-Pierre Sueur ;
• à l’Union Européenne de mettre fin aux Missions d’Observations Electorales quand les garanties démocratiques ne sont pas suffisantes et que celles-ci renforcent les dictatures au lieu de les affaiblir.
Survie, 19 avril 2011