« Le partenariat nouveau que nous voudrions définir et mettre en place avec vous, doit reposer sur une parfaite connaissance des besoins et des problèmes de chacun ». Ces mots ne datent pas d’aujourd’hui : ils ont été prononcés par Lionel Jospin il y a 25 ans à Dakar, au moment d’officialiser la création du dispositif de renforcement des capacités des armées africaines (RECAMP) [1]. Aujourd’hui, en expliquant que « notre partenariat n’a de sens que s’il est véritable et qu’il répond à des besoins explicites des armées africaines » [2], le président Emmanuel Macron réinvente l’eau tiède. Mais cela ne suffira pas à faire cesser l’ébullition populaire au Sahel, où la présence militaire française est de plus en plus décriée.
En officialisant la fin de l’opération extérieure Barkhane, qui a pris la suite en 2014 des opérations Serval (2012) au Mali et Épervier (1986) au Tchad en s’étendant également sur le Burkina Faso, la Mauritanie et le Niger, l’Élysée procède à un enterrement en catimini sans que son bilan soit mis en discussion. Un tel débat public risquerait de révéler que cette opération militaire au Sahel, qui prétendait rompre avec la tradition interventionniste de la France en se parant des atours de la « lutte contre le terrorisme », a contribué à aggraver la situation sur place. Les « victoires tactiques » dont se targue l’état-major n’ont en effet en rien empêché les groupes armés de prospérer, aidés par les bavures et exécutions arbitraires (« neutralisations ») de l’armée française et les humiliations dont elle s’est régulièrement rendue coupable en opération [3].
L’instrumentalisation de certains groupes armés [4] enrôlés aux côtés de Barkhane dans la « guerre contre le terrorisme » a même contribué à ethniciser le conflit et à le rendre plus meurtrier. La diplomatie française s’étant toujours opposée à l’ouverture de négociations avec certains groupes armés, contribuant à enkyster la situation, l’occupation militaire française a alimenté une hostilité populaire légitime à l’égard de Paris. Neuf ans après la liesse populaire pro-française à Bamako, fondée sur un mensonge [5], il est triste mais nullement étonnant que ce ressentiment ouvre un boulevard aux impérialismes concurrents et en particulier aux bouchers du groupe mercenaire Wagner. C’est bien ce bilan global, incluant la marginalisation d’autres voies maliennes que le tout-militaire (qui profite aujourd’hui à la Russie), qu’une démocratie saine devrait être capable de discuter.
Par les décisions annoncées aujourd’hui, l’exécutif n’empêche pas seulement ce bilan : il prive le Parlement français de ses maigres prérogatives en matière de contrôle de la politique de défense, puisqu’il ne sera plus possible à l’Assemblée nationale et au Sénat de débattre et de voter au sujet de la prolongation de la présence militaire française au Sahel, comme le prévoit depuis 2008 l’article 35 de la Constitution.
Comme l’explique Pauline Tétillon, co-présidente de Survie, « Il n’y a rien de nouveau au plan militaire par rapport à ce qui a été annoncé depuis l’an dernier. La seule nouveauté du jour est la forme poussée que prend la communication macronienne, puisqu’on nous explique que le maintien dans la région de 3000 soldats français se fera en dehors de tout dispositif d’opération extérieure : l’Élysée cherche en fait à invisibiliser institutionnellement le déploiement militaire français au Sahel. Mais les mêmes causes produisant les mêmes effets, on continuera à voir des manifestants brûler des drapeaux tricolores. La France devrait engager un véritable plan de retrait au lieu de chercher de nouveaux vêtements à sa présence militaire en Afrique. »
Survie
Noties
[1] Déclarations de M. Lionel Jospin, Premier ministre, Dakar les 19 et 20 décembre 1997.
[2] Emmanuel Macron, présentation de la Revue nationale stratégique, Toulon, 9 novembre 2022.
[3] C’est le cas notamment avec le MNLA dès 2013, puis avec le MSA et le GATIA. Hannah Armstrong, chercheuse au sein du think tank International Crisis Group (ICG), expliquait par exemple en décembre 2019 dans les colonnes de Libération (12/12/2019) : « la coopération de Barkhane avec le MSA et le Gatia, qui a duré jusqu’à l’automne 2018, a renforcé les djihadistes. Ils ont pu recruter en mobilisant des communautés menacées ».
[4] Voir Jean-Dominique Merchet, « Mali : les « colonnes jihadistes fonçant sur Bamako » en 2013, une légende ! », L’Opinion, 12 février 2021,
[5] Au vu des précédents dramatiques en Irak et en Afghanistan, il n’est d’ailleurs guère étonnant qu’une ingérence militaire étrangère n’apporte aucun remède aux maux qui permettent aux djihadistes de prospérer.