Lundi prochain, le 15 avril 2024, est une date sombre : celle de l’anniversaire de la guerre qui a éclaté au Soudan il y a un an. Après des mois de combats, de morts et de destructions, Paris accueille une conférence internationale dédiée à la crise humanitaire en cours au Soudan et dans les pays voisins.
La France est à l’origine cette conférence qui vise à « trouver des solutions à la crise humanitaire dramatique qui ravage la région », d’après les informations relayées par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE). Le matin, une réunion politique rassemblera plusieurs des acteurs impliqués dans la résolution du conflit : les États-Unis, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis mais aussi l’ONU, l’Union africaine, l’Union européenne et l’IGAD. Au total, une vingtaine de pays et d’organisations internationales participeront aux échanges. L’après-midi, des acteurs soudanais, dont l’ancien premier ministre Abdallah Hamdock, interviendront.
Vidéo d’annonce de la conférence humanitaire sur le Soudan, Ministère des Affaires étrangères.
La tenue de cette conférence intervient à un moment critique, alors que des millions de Soudanais ont été contraints de quitter leurs foyers pour fuir les conflits et chercher refuge, que ce soit à l’intérieur même du Soudan ou à l’étranger, dans des camps où la situation humanitaire est extrêmement précaire.
Pourtant, l’annonce de cette conférence a suscité des réactions mitigées, voire franchement critiques, au sein de la diaspora soudanaise en France. Dans une déclaration collective, un grand nombre de membres de cette diaspora expriment leur désapprobation quant à la manière dont la conférence a été organisée.
Les critiques portent sur la manière dont la conférence a été organisée et sur la liste des invités. Des personnalités controversées seront présentes, en particulier des individus affiliés aux forces de soutien rapide (RSF), une milice qui affronte l’armée soudanaise dans la guerre depuis avril 2023 et qui est accusée de crimes contre l’humanité au Darfour. Omar Polo, un militant actif de la diaspora soudanaise, souligne dans une interview à Sudfa Media le fait que : « la France semble avoir privilégié la présence d’individus liés aux forces contre-révolutionnaires, hostiles au peuple soudanais. Il s’agit d’un changement de cap par rapport à la première conférence sur la transition démocratique au Soudan organisée par la France en 2021, où les véritables acteurs de la révolution avaient été conviés. » A l’époque, en effet, le président Emmanuel Macron avait reçu les Forces de la Liberté et du Changement et l’ancien premier ministre Hamdock, qui incarnaient alors l’espoir d’un changement civil et démocratique après 30 ans de dictature militaire. Il y a plusieurs mois, Hamdock s’est compromis en s’alliant avec Hemedti, le chef des RSF, ce qui a provoqué la colère des Soudanais-e-s.
Abdalla Hamdok lors d’une session du sommet de soutien au Soudan, lundi 17 mai 2021 au Grand Palais Ephémère à Paris. CHRISTOPHE ENA / AP
Plusieurs membres de la diaspora soudanaise reprochent également à la France de ne pas avoir invité les personnes directement concernées pour témoigner de leur vécu et de leurs besoins, ainsi que les véritables acteurs de terrain, en particulier les organisations de la diaspora soudanaise qui ont été activement impliquées dans la solidarité avec le peuple soudanais depuis le début des conflits. Par exemple, l’association Darjeel basée à Paris, et l’association Durmongaa Education, qui mènent des actions de solidarité auprès des enfants déplacés du Darfour et dans les camps de réfugiés au Tchad, ont été ignorées. Ahmed, un membre actif de Darjeel, estime que : « l’absence d’invitation pour ces acteurs clés est paradoxale, étant donné que nous sommes les premiers concernés et directement impliqués sur le terrain ». Il remet ainsi en question la légitimité remettant en question la légitimité et la pertinence d’une conférence sur la crise humanitaire au Soudan si les véritables acteurs locaux ne sont pas pris en compte.
L’association Darjeel envoie des colis humanitaires au Darfour et au Tchad. Photo : Darjeel, mars 2024.
L’ensemble de ces critiques a engendré un vif débat au sein de la communauté soudanaise en France. Nombreux sont ceux qui observent avec méfiance, voire avec indignation cet événement qui exclut les voix les plus directement concernées.
Ainsi, la Conférence de Paris sur la crise humanitaire au Soudan, censée être une opportunité pour trouver des solutions à une crise dévastatrice, est elle-même devenue l’objet d’une crise de légitimité et de représentativité. Elle met en lumière les complexités de l’intervention internationale dans les situations de conflit et de crise humanitaire.
Les Soudanais de France s’inquiètent également du risque que cet événement marque un tournant dans la politique étrangère française au Soudan. Inviter des membres d’une milice génocidaire (RSF) revient à légitimer celle-ci et donc à étouffer les aspirations démocratiques du peuple soudanais.
Pourtant, le soutien et la solidarité internationale au peuple soudanais sont plus nécessaires que jamais. Chaque jour qui passe, cette guerre destructrice – financée et soutenue par des acteurs étrangers – éloigne l’horizon d’un gouvernement civil, pour lequel les Soudanais se sont battus à corps et âme pendant des années de mobilisation.
Manifestation contre la guerre au Soudan à Paris, mai 2023. Photo : Sudfa Media.
Collectif Sudfa Media
Note : Une manifestation organisée par les collectifs soudanais qui luttent pour la paix et contre la guerre est prévue lundi pour protester contre la tenue de cette conférence. Nous vous tiendrons informé-e-s sur nos réseaux sociaux de la date et l’heure de l’événement.