Quand la crise financière a frappé l’année dernière toute cette économie de gaspillage, la surproduction dans le secteur de l’automobile est devenue évidente.
Dans l’industrie automobile suédoise, cette crise fut particulièrement sérieuse. Elle concerne en effet deux des plus petits parmi les grands constructeurs automobiles mondiaux, les deux appartenant à des sociétés américaines en difficulté, et les deux fabriquant des grosses voitures de semi luxe, grandes consommatrices de carburant. Dans un pays de 9 millions d’habitants, les deux constructeurs automobiles furent en faillite avec les conséquences sur toute la chaîne de sous-traitants, ainsi que deux sociétés de transport en crise à Londres.
Idéologie dominante divisée
La crise automobile en cours est ainsi devenue un enjeu politique important en Suède. Comme partout ailleurs dans le monde, il y eut, parmi les courants d’opinion dominants, deux orientations principales sur ce qui devait être fait.
L’une d’elles se rapportait à la « destruction créatrice », entérinant le fait que le marché avait rendu son verdict, et que certaines sociétés étaient condamnées à mort. Selon cette thèse, le jugement du marché n’a pas à être modifié, car que cela ne ferait qu’empirer les choses. Une variante verte de cette orientation expliquait : « Les voitures sont préjudiciables au climat. Nous n’avons pas besoin d’elles ou des sociétés qui les fabriquent. Il est bon que l’industrie automobile s’en aille »
L’autre orientation préconise le soutien à l’industrie. Pour elle, le gouvernement doit subventionner les entreprises pour les aider à traverser ces temps difficiles et les rendre prêtes à augmenter leur production lorsque les choses reviendront à la normale. Il appartient au gouvernement de fournir des prêts aux entreprises, d’édicter des primes à la casse et des allégements fiscaux. En Suède, cela a été la ligne de la social-démocratie, de l’industrie elle-même, de nombreux analystes économiques et des syndicats. Les dirigeants de mon syndicat y ont apporté leur « contribution » en signant un accord qui a temporairement réduit les salaires et le temps de travail.
Ces deux approches de la crise sont désastreuses. L’hypothèse fondamentale derrière la position de soutien à l’industrie est fausse. Il n’y aura aucun retour à la normale, et en tout cas pas sous la forme d’une expansion sans fin de la production de voitures. Le transport routier est responsable d’environ 20 % des émissions de gaz à effet de serre dans l’Union européenne (UE), le transport étant le secteur où les émissions augmentent le plus rapidement. Même s’il n’y avait pas la nécessité d’arrêter le changement climatique, le temps de la voiture reine est en cours d’achèvement. Le pic maximum de production de pétrole sera atteint dans un proche avenir et cette énergie à bon marché ne sera bientôt plus disponible. En fait, un système de transport basé sur l’utilisation massive de l’automobile ne peut pas continuer sur les moyen et long termes.
Illusoire voiture verte
La réponse de l’industrie — la voiture verte, économe en carburant, et utilisant des carburants renouvelables — est une illusion. Il est vrai que les émissions moyennes de CO2 par kilomètre des voitures neuves sont en baisse, avec sur la période 1995-2002 une diminution de 13 % en moyenne de la consommation de carburant des voitures neuves dans les pays de l’UE. Mais il y a eu une augmentation de la consommation totale de carburant de 7 % en raison de l’augmentation du trafic [1].
Les agrocarburants ne sont pas une solution. Par exemple, dans des forêts riches en Suède, le DME, un diesel synthétique à base de bois est présenté comme l’avenir. Cependant, pour remplacer la consommation de pétrole de nombre actuel de voitures sur la route avec le DME, il serait nécessaire d’exploiter par an six milliards d’hectares de forêt. Les autres types d’agrocarburants alternatifs proposés, comme l’éthanol, demandent trop de terres cultivables et d’eau. En outre, la production d’éthanol à partir du maïs, ou du diesel à partir du soja, entre directement en conflit avec la production d’alimentation pour les populations les plus pauvres de la planète. Qu’en est-il de la voiture électrique ou du moteur à hydrogène ? Ni l’hydrogène, ni l’électricité ne sont une source d’énergie. Au contraire, ils nécessitent un apport d’énergie provenant d’autres sources. Aujourd’hui, les deux tiers de l’électricité mondiale sont produits par des centrales fonctionnant au charbon et au pétrole.
Tout cela signifie que le volume du transport, et plus particulièrement du transport routier, doit s’adapter à un niveau compatible avec les exigences d’une consommation durable sur le long terme. Et ce sera la fin de l’industrie automobile que nous connaissons.
Reconversion
Enfin, la crise économique, qui est loin d’être terminée, va restructurer l’industrie automobile d’une façon dramatique. L’orientation, qui autorise les productions automobiles non compétitives à fermer, est en fait la pire d’un point de vue pratique, social et politique.
En Suède, les industries se sont succédées. Dans les années 1960 quand l’industrie textile a été délocalisée, et dans les années 1970 et 1980 lorsque la même chose est arrivée aux chantiers navals, d’autres secteurs ont connu une croissance. Cela a concerné l’industrie automobile et plus particulièrement les services publics. Ce « changement structurel » a été la politique officielle des syndicats et du parti social-démocrate.
Cependant, aujourd’hui, il n’y a pas d’autres industries qui soient en croissance, et le secteur public doit lui aussi faire face à des compressions en terme de budget et d’emplois. Dans une économie comme celle de la Suède, la destruction immédiate de l’industrie automobile serait un désastre.
D’autre part, une industrie comme l’industrie automobile, n’est pas un tas de machines et de bâtiments. C’est avant tout une organisation d’êtres humains. Alors que l’humanité est confrontée au plus grand défi qu’elle a connu jusqu’à présent — changer l’économie et la production qui depuis 250 ans sont fondées sur l’utilisation d’énergies fossiles — nous avons besoin de toutes les ressources mobilisables pour y répondre. Ce serait un gaspillage complètement irresponsable que de détruire complètement un complexe industriel qui a été construit et développé depuis près d’un siècle.
L’industrie automobile a une expertise dans la logistique, l’ingénierie de production et de la conception à la production, et le contrôle de qualité qui pourrait être appliquée à tout autre type de production. Et une production de masse efficiente est exactement ce dont nous avons besoin si nous voulons remplacer l’économie fondée sur l’énergie fossile. Les processus complexes et économes mis en œuvre aujourd’hui dans l’industrie automobile pourraient être appliqués à la production d’éoliennes et d’autres équipements pour la production d’énergie renouvelable, de tramways, de trains, d’autres véhicules et de systèmes pour des organisations de transport durable.
Les travailleurs de l’automobile sont régulièrement mis à contribution dans les changements et les transformations des outils de production. Dans les dernières décennies, de nouveaux modèles ont été introduits à une vitesse absurde : maîtrise de nouveaux outillages et formations accélérées sont devenues partie intégrante de la vie quotidienne des ouvriers.
Il y a des précédents historiques pour la reconversion des industries. Dans les mois qui avaient suivi l’attaque de 1941 sur Pearl Harbor par les Japonais, le gouvernement américain a interdit la production de voitures privées et a ordonné à l’industrie automobile de se mettre au service de la production de guerre. Ford et les autres constructeurs ont obéi (et gagné à l’occasion beaucoup de dollars) en appliquant leurs connaissances de la production de masse à celle de chars et de bombardiers. La même chose s’est produite en Grande-Bretagne.
Pour résumer : l’industrie automobile est un outil fantastique et polyvalent qui n’est pas fatalement lié à la fabrication d’automobiles. Elle pourrait jouer un rôle important dans la conversion des entreprises en entreprises respectueuses de l’environnement et neutres en ce qui concerne l’effet dioxyde de carbone.
Choix politique
Mais en fin de compte la question du climat n’est pas une question de technologie. Il s’agit de politique, c’est-à-dire de la lutte des classes. Et c’est pour cela que les travailleurs de cette industrie menacée doivent intervenir. Nous devons nous unir et nous battre pour nos emplois, mais c’est un très dur combat et presque impossible à gagner. C’est pourquoi il faut se tourner vers la société en général pour qu’elle nous soutienne et intervienne. Nous devons expliquer que les dirigeants d’entreprise, qui font de la mendicité pour obtenir de l’aide auprès de l’État, ont abdiqué de leur droit à diriger l’industrie automobile. L’État ne devrait pas subventionner leur gestion responsable d’une production destructrice, mais devrait plutôt nationaliser l’industrie et la reconvertir pour créer des emplois sûrs et une production qui nous aide à sortir de l’économie fossile. Voilà une plate-forme pour une large alliance sociale, à la fois pour sauver les emplois et la planète.
Est-il possible de construire cette alliance pour mettre en avant, à l’atelier et au-delà, des demandes de production alternatives ? Si oui, comment ?
La première étape est de donner confiance en eux aux travailleurs, en apprenant à lutter collectivement pour toutes les revendications, même les plus immédiates. Si nous nous contentons de parler de grands projets sans nous engager dans les combats de tous les jours, nous serons considérés comme des bavards traçant des plans sur la comète.
Une deuxième étape devrait être d’élaborer des plans concrets indiquant comment convertir les différents secteurs de l’économie. En 1980, nous avons eu un référendum sur l’énergie nucléaire en Suède et une des choses les plus importantes que le mouvement pour l’environnement réalisa fut de proposer une plan énergétique alternatif, montrant en détail comment l’énergie nucléaire pourrait être supprimée et remplacée par des énergies renouvelables. Ce fut un outil très important dans la campagne pour la formation des militants et pour donner confiance en soi à la population engagée dans le mouvement. En mai 2009, des militants de l’environnement, des groupes de citoyens, des chercheurs et des représentants syndicaux de différents pays européens (y compris Bob Crow du RMT en Grande-Bretagne) se sont réunis à Cologne, en Allemagne, pour discuter d’un système de transport durable. La conférence a publié la Déclaration de Cologne contre la privatisation du rail et pour le transport durable. Un plan concret, « RailEurope2025 » a été avancé pour transformer en 15 ans les transports européens afin de réduire les émissions de CO2 de 75 %, ce qui réduirait le total des émissions de moitié. Ce type de plan pourrait être utilisé par les syndicats et d’autres mouvements sociaux pour exercer des pressions politiques.
La troisième étape la plus importante serait de relier ces plans alternatifs à ce qui peut se préparer dans les lieux de travail, et à la production effective d’autres solutions alternatives, comme cela avait été mis en pratique dans les années 1970 en Grande-Bretagne à Lucas Aerospace. Même si cette lutte fut finalement défaite, elle eut des répercussions importantes à travers le monde entier et en a encore aujourd’hui. A la fin des années 1970, il y eut une crise en Suède dans la construction navale, la sidérurgie, et les derniers restes de l’industrie textile. Pendant cette période, la demande d’une production alternative était devenue largement répandue et porteuse d’espoir. Mais presque toutes les tentatives de sauver des emplois sous ce mot d’ordre ont échoué parce que pour presque tout le monde une production alternative signifiait une autre production rentable. La façon dont nous pouvons utiliser la notion de production alternative doit souligner que nous voulons utiliser nos compétences pour produire des biens nécessaires et socialement utiles, indépendamment du fait qu’ils soient rentables au sens capitaliste du terme. Ce fut la force du Plan Lucas. Un autre aspect séduisant de l’expérience Lucas a été de montrer ce qui peut arriver lorsque les travailleurs sortent des habitudes de tous les jours. À la fin du XVIIIe siècle Thomas Paine avait résumé cela comme suit : « Les révolutions créent le génie et le talent, mais ces événements ne font que les mettre en avant. Il y a, dans l’homme, des potentialités enfouies et endormies, et qui, à moins que quelque chose ne les excite pour l’action, vont sombrer avec lui, dans cet état, jusqu’à à la tombe » [2].
La conférence syndicale qui s’est tenue en 2009 dans le cadre de la campagne contre le changement climatique a décidé de former un comité afin de commencer à élaborer un plan de reconversion à partir de participations locales. Voilà une voie à suivre.
Lars Henriksson