POLITIQUE DE SARKOZY : Au-delà des mots
Nicolas Sarkozy, président de l’Union européenne, fait preuve d’un activisme sans limite pour « construire un nouveau monde ». Derrière ce discours, il s’agit bien de faire payer la crise aux salariés.
Après avoir obtenu un accord de principe sur une aide aux banques, Sarkozy l’a aussitôt mis en musique au niveau français et, samedi 18 octobre, s’est accordé avec Bush sur une série de conférences internationales pour « construire le capitalisme de l’avenir ». Cette action lui vaut même des éloges de la gauche, PS et Verts s’abstenant sur le plan de soutien aux banquiers avec l’argent du contribuable.
Certains vont jusqu’à s’interroger sur un nouveau cours de sa politique, qui serait moins libérale. Mais le néolibéralisme des économistes et celui des hommes politiques peuvent avoir des variantes. Certains économistes croient encore que les marchés s’autorégulent et que, non perturbés par l’intervention de l’État, ils aboutissent à la situation la plus favorable. Pour la majorité des dirigeants politiques, ce qui compte avant tout est la libéralisation du marché du travail, livrant le salarié au bon vouloir de son patron. Viennent ensuite la libéralisation du marché des biens et les privatisations, qui permettent aux capitalistes d’investir librement dans les secteurs rentables. Enfin, il y a la libre circulation internationale des capitaux, avec liberté d’action pour les banquiers et autres fonds de placement. Ce troisième étage du libéralisme, central pour les économistes, n’est, pour les hommes politiques, qu’un élément complémentaire aux deux premiers étages.
Le recul des hommes politiques par rapport aux positions les plus dogmatiques des économistes sur les marchés des capitaux est plus fort en Europe qu’aux États-Unis. Cela ne les place pas pour autant plus à gauche, mais renvoie à des histoires différentes des capitalismes nationaux. En 2004, par exemple, Sarkozy, alors ministre des Finances, a volé au secours d’Alstom, plongé dans une crise financière, en rachetant 21,3 % de son capital. L’État n’attendra pas la durée maximale de quatre années imposée par Bruxelles pour revendre sa participation, et un groupe très proche de Sarkozy, Bouygues, le rachète en 2006. De la même façon, cette année, Sarkozy a annoncé la participation de l’État dans les Chantiers de l’Atlantique, à Saint-Nazaire. Par ailleurs, la présence de l’État dans le capital n’empêche pas les directions de délocaliser et de supprimer des postes, comme cela se fait à Renault, dont l’État détient 15 %.
Sarkozy a pris la mesure de la crise du système financier. Pour sauver les banques, il a compris qu’une action résolue était nécessaire et, comme d’autres chefs d’État, il est prêt à s’asseoir sur quelques fétiches néolibéraux, à entrer dans le capital des banques, à endetter l’État et à aller au-delà des 3 % de déficit budgétaire inscrits dans le marbre du Pacte de stabilité. Et cela, avec l’argent des contribuables, car il ne s’agit pas d’argent virtuel. L’endettement supplémentaire de l’État se traduira par des intérêts à payer. Si les prises de participation dans le capital des banques se soldent par des pertes, il faudra soit augmenter les impôts, soit réduire encore les dépenses (Éducation, santé, etc.).
Pour le reste, le noyau dur de sa politique continue, car « la crise appelle à accélérer le rythme des réformes ». 30 600 postes de fonctionnaires vont ainsi être supprimés en 2009. Les dépenses de fonctionnement de l’État doivent diminuer, et il est hors de question d’augmenter les « charges » sur les entreprises. Un nouvel allégement de la taxe professionnelle est programmé. Les contre-réformes du marché du travail vont continuer avec, pour commencer, la libéralisation du travail le dimanche.
« Je veux le dire aux Français : l’anticapitalisme n’offre aucune solution à la crise actuelle. » Eh bien si, justement. Mais aux anticapitalistes d’en faire la preuve, face à un Sarkozy qui essaye de surfer sur la peur du lendemain et use de toutes les ficelles du populisme, comme en témoigne la médiatisation orchestrée des sifflets au Stade de France.
Henri Wilno
Effondrement d’un château en épargne
« Petit événement qui survient » : telle est la définition du Petit Robert pour le mot « incident ». C’est pourtant ce terme qui figure dans le communiqué de la Caisse nationale des Caisses d’épargne (CNCE) du 17 octobre, pour rendre compte d’une perte de 695 millions d’euros réalisée sur les marchés boursiers. Il est vrai que, ces deux dernières années, après avoir rompu le pacte d’actionnaires qui la liait à la Caisse des dépôts et consignation, la CNCE n’a pas été avare pour dilapider les milliards patiemment économisés par ses caisses régionales.
Mais la dernière frasque de l’équipe de pieds nickelés du directoire de la CNCE a suscité la colère de Sarkozy et de sa ministre de l’Économie pour aboutir, dimanche 19 octobre au soir, à la démission de Charles Milhaud, Nicolas Mérindol et Julien Carmona, respectivement président et membres du directoire. La salutaire mise à l’écart de ces individus ne doit pas nous faire oublier l’essentiel : l’urgence, pour les Caisses d’épargne, de renouer avec leurs missions traditionnelles de proximité – la collecte et la garantie de l’épargne populaire (indispensable au financement du logement social), et le financement de l’économie locale publique et privée. Aujourd’hui, il est grand temps de contrôler la finance et de la mettre enfin au service des intérêts de la collectivité, en créant un grand pôle financier public.
Correspondant (Au jour le jour)
En finir avec le capitalisme
Alors que les chefs d’État et de gouvernement des principales places financières mondiales multiplient les réunions internationales pour faire croire qu’ils maîtrisent la situation et agissent contre la crise, le Bureau international du travail (BIT) a indiqué, le lundi 20 octobre, que le chômage pourrait toucher, d’ici à la fin de 2009, 20 millions de personnes supplémentaires dans le monde. Le nombre de ceux qui vivent avec moins de 1 dollar par jour pourrait augmenter, toujours selon les prévisions du BIT, de 40 millions, et ceux vivant avec moins de deux dollars par jour, de 100 millions. Et encore, ces chiffres ne seraient qu’un minimum !
Un minimum aussi, les 1 700 milliards d’euros que les États européens, emmenés par Sarkozy, Gordon Brown et Angela Merkel, se disent prêts à garantir, sur le dos des contribuables, pour « sauver » le système bancaire. « Il faut refonder le système, bâtir un nouveau capitalisme sur des valeurs qui mettent la finance au service des entreprises et des citoyens et non l’inverse », déclarait, sans rire, il y a quelques jours, Sarkozy, à qui la crise et les hasards de la présidence tournante de l’Union européenne offrent une occasion inespérée de se poser en moralisateur du capitalisme. Lui, le grand ami des Bolloré et autres Bouygues ! Mais ne vient-il pas de faire voter, à une écrasante majorité des députés et des sénateurs, un plan de 360 milliards d’euros pour les banques, jugé par tous les partis politiques représentés à l’Assemblée, à l’exception du PCF, « nécessaire » ? Nécessaire, mais « pas suffisant », a indiqué le premier secrétaire du PS, François Hollande, pour justifier l’abstention du groupe socialiste.
Car, au-delà de plates objections, le Parti socialiste n’a pas cru bon de rompre l’union sacrée en s’opposant au colossal détournement de fonds qui s’opère en faveur de la finance. Il accrédite, lui aussi, la fable d’une intervention salutaire des États quand ceux-là ne font que parachever leur fusion avec les prédateurs financiers qui parasitent l’ensemble de l’économie. Certes, les dirigeants des Caisses d’épargne, qui viennent de perdre 695 millions d’euros dans des spéculations hasardeuses, ont été contraints à la démission. C’était le moins que pouvait faire le gouvernement pour tenter d’étouffer le scandale. Mais un Daniel Bouton, président de la Société générale, la première banque française à avoir fait endosser à un de ses traders une perte de 4,5 milliards d’euros, reste, lui, à son poste, alors même qu’il a réalisé 1,3 million de plus-value, en pleine crise, en vendant une partie de ses stock-options. Les grands discours contre les « parachutes dorés » et les « paradis fiscaux » ne sont qu’un baratin destiné à anesthésier l’opinion publique.
À tenter de le faire du moins. Car les faits sont là. D’un côté, 360 milliards pour les banques, 26 milliards pour racheter 30 000 logements devenus invendables aux grandes sociétés de construction immobilière, 22 milliards pour les PME, en attendant d’autres milliards que réclament les constructeurs automobiles pour la « voiture verte ». De l’autre, les sanctions pour les chômeurs, les 30 000 suppressions de postes programmées dans la fonction publique, la fermeture des hôpitaux, la privatisation de La Poste, 1000 licenciements à Renault-Sandouville, 300 à Peugeot-Mulhouse, 600 chez Adecco, pour ne citer qu’une partie des derniers annoncés… Et, comble du cynisme, ce que le gouvernement présente comme un effort sans précédent qu’il « faudra faire en faisant des économies par ailleurs », a précisé Fillon, la création de 60 000 contrats aidés supplémentaires – 768 euros pour un CAE, par exemple –, qui coûtera seulement… 150 millions d’euros !
Oui, il y a urgence et nous avons pleine légitimité à nous organiser pour refuser de faire les frais de la crise et de leur politique, pour imposer nos propres exigences, la garantie d’un emploi par le partage du travail entre tous, un salaire qui permette de vivre décemment... Les moyens existent largement, les profits qui ont été extorqués par l’exploitation de notre travail sont colossaux, les capacités de produire sont là.
La bourgeoisie et son État s’arrogent le droit de piller les richesses créées par notre travail, mais les seuls titres dont ils peuvent se prévaloir pour le faire sont leurs titres de propriété, la propriété privée capitaliste. Les travailleurs, avec ou sans emploi, les jeunes, la population n’ont aucune raison de craindre de mettre en cause ce prétendu droit. Si l’on veut sauver l’économie, c’est-à-dire les capacités de produire ce dont les Hommes ont besoin, il ne faut pas craindre d’imposer le contrôle sur les moyens de crédit, les banques, d’opérer une purge radicale, l’expropriation des gros actionnaires, du capital financier spéculateur.
Au-delà, c’est la question du pouvoir qui est posée, de qui contrôle le fonctionnement de la société : une poignée de parasites dont le seul critère est la rentabilité de leurs capitaux, ou les travailleurs et la population organisés démocratiquement en vue d’assurer la satisfaction des besoins de tous ?
Galia Trépère
LUXE. Les actions d’Hermès International ont augmenté de 10 % depuis le début de l’année, et elles ne semblent pas affectées par la crise, comme d’ailleurs tous ceux qui peuvent se payer ses produits de luxe.