« La société contemporaine, qui nourrit l’hostilité entre chaque individu et tous les autres, produit de la sorte une guerre sociale de tous contre tous qui, dans des cas individuels, notamment chez des gens sans éducation, prend inévitablement une forme brutale, violente et barbare – celle du crime. »
F. Engels, Discours d’Eberfeld, 1845
« La fondation de tous les Etats advient dans une situation qu’on peut appeler révolutionnaire. Elle inaugure un nouveau droit, et elle le fait toujours dans la violence. »
J. Derrida, Force de loi.
Aujourd’hui, Sartre serait mis en prison avec Rouillan et Coupat pour avoir écrit : « Le colonisé se guérit de la névrose coloniale en chassant le colon par les armes […] Il faut rester terrifié ou devenir terrible. L’arme du combattant, c’est son humanité, car, en le premier temps de révolte, il faut tuer : abattre un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre. » [1]
Il importe de rappeler le contexte de ces paroles de feu. C’était l’époque des luttes de libération nationale, des guerres d’Algérie et d’Indochine, de la révolution cubaine ; l’époque où le pouvoir était « au bout du fusil » ; où, dans son message à la Tricontinental, Guevara pouvait appeler à se lever pour « entonner des chants funèbres dans le crépitement des mitrailleuses » ; où, avant le génocide cambodgien, la contre-violence libératrice pouvait encore sembler légitime et innocente. Où Sartre écrivait du colonisé révolté : « Nous avons été des semeurs de vent ; la tempête, c’est lui. Fils de la violence, il puise en elle, à chaque instant son humanité. Nous étions hommes à ses dépens, il se fait homme aux nôtres. »
Pourtant, comme le souligne Alice Cherki dans sa préface à la réédition des Damnés de la terre, le colonisé Fanon écrit sensiblement autre chose que ce que croit lire Sartre. Il analyse la violence sans la justifier comme une fin en soi. Certes, « si les derniers doivent être les premiers, ce ne peut être qu’à la suite d’un affrontement décisif et meurtrier des deux protagonistes ». Il faut donc jeter tous les moyens dans la balance, « y compris bien sûr la violence ». Car le colonisé qui décide de s’émanciper « est préparé de tout temps à la violence » : « Dès sa naissance il est clair pour lui que ce monde rétréci, semé d’interdictions, ne peut être remis en question que par une violence absolue. » Sobre constat, qui n’implique aucune mythification lyrique, aucune fétichisation, de cette nécessaire violence face à la violence structurelle coloniale déjà là.
Pendant toute la période coloniale, « cette violence, quoique à fleur de peau, tourne à vide. Nous l’avons vue canalisée par les décharges émotionnelles de la danse ou de la possession. Nous l’avons vue s’épuiser dans des luttes fratricides. Le problème se pose maintenant de saisir cette violence en train de se réorienter. Alors qu’elle se complaisait dans les mythes et qu’elle s’ingéniait à découvrir des occasions de suicide collectif, voici que des conditions nouvelles vont lui permettre de changer d’orientation. » Réorienter la violence, c’est politiser la subjectivation violente du colonisé pour qui elle « représente la praxis absolue » et remplit une sorte de fonction thérapeutique : « Au niveau des individus, la violence désintoxique. Elle débarrasse le colonisé de son complexe d’infériorité, de ses attitudes contemplatives ou désespérées. »
Pour inscrire ce potentiel dans une stratégie de libération, il faut « réfléchir à cette problématique de la violence » : « Qu’est-ce donc en réalité que cette violence ? C’est l’intuition qu’ont les masses colonisées que leur libération doit se faire, et ne peut se faire que par la force. Par quelle aberration de l’esprit ces hommes sans technique, affamés et affaiblis, non rompus aux méthodes d’organisation, en arrivent-ils, face à la puissance économique et militaire de l’occupant, à croire que seule la violence pourra les libérer ? Comment peuvent-ils espérer triompher ? » C’est parce que cette violence rassembleuse d’énergie fait émerger une conscience collective : « La violence du colonisé unifie le peuple. De par sa structure en effet, le colonialisme est régionaliste et séparatiste. Il ne se contente pas de constater l’existence des tribus, il les renforce, les différencie. Le système colonial alimente les chefferies et réactive les vieilles confréries maraboutiques. La violence dans sa pratique est totalisante, nationale. Elle comporte de ce fait, dans son intimité, la liquidation du régionalisme et du tribalisme. »
Fanon reste cependant parfaitement lucide quant aux possibles expressions, dont « le fanatisme religieux » et « les guerres tribales », de cette violence. A plusieurs reprises, il exprime sa crainte que la libération puisse être confisquée par une bourgeoisie post-coloniale ou par une « tribalisation du pouvoir ». Il redoute de manière prémonitoire une « racialisation de la pensée » : « Cette obligation dans laquelle se sont trouvés les hommes de culture africains de racialiser leurs revendications, de parler davantage de culture africaine que de culture nationale a les conduire à un cul-de-sac. »
Le grand mouvement de contre-réforme des années 1980 et 1990 a amplifié ces tendances au détriment des espérances d’émancipation de la séquence précédente. Vient alors le temps d’une violence rituelle, existentielle, spectaculaire, dépolitisée, où le bûcher des vanités marchandes tient plus du feu de peine que du feu de joie. Si elle est « sauvage, sans objet, informelle », peut alors écrire Baudrillard, « c’est que les contraintes qu’elle conteste sont elles aussi informulées, inconscientes, illisibles ». On assiste ainsi à l’émergence d’une destructivité anomique et autophage : « Certains regretteront le temps où la violence avait un sens, la bonne vieille violence guerrière, patriotique, passionnelle, rationnelle au fond, sanctionnée par un objectif ou une cause ; la violence idéologique, ou encore celle, individuelle, du révolté qui relevait encore de l’esthétisme individuel et pouvait être considérée comme un des beaux arts. » [2]
Depuis les années 1970 et la « déchirure » qu’a pu représenter la découverte des killing fields cambodgiens, l’asymétrie entre la violence des dominants et celle des dominés n’a en effet cessé de se creuser en même temps que s’accentuait une hyper-violence structurelle. Dans les « guerres asymétriques » imaginées par les cerveaux fertiles du Pentagone, les morts se comptabilisent désormais chichement, à l’unité près, chez les vainqueurs, et à la louche, par centaines de milliers, chez les vaincus. C’est ce qu’ont médiatiquement illustré les deux guerres du Golfe.
Les émeutes modernes comme celle de Watts en 1965 pouvaient entrer en résonance avec l’émergence du Black Power et les mouvements de libération. C’est ce qui permettait à Guy Debord de donner instantanément « raison aux insurgés de Los Angeles » en prenant soin toutefois de « leur donner [et d’interpréter librement] leurs raisons ». Ce n’était pas seulement, disait-il, le statut des Noirs qui était en cause, mais celui de l’Amérique. Ce n’était pas des émeutes raciales, mais des émeutes de classe, une révolte contre la marchandise dans laquelle le pillage pouvait apparaître comme l’accomplissement du principe communiste « à chacun selon ses besoins » : « La société d’abondance trouve sa réponse naturelle dans le pillage, car elle n’est pas abondance humaine, mais abondance de marchandises […] La jeunesse sans avenir marchand de Watts a choisi une autre qualité du présent. » Elle a pu ainsi passer de la honte à la fierté « d’être de Watts ».
Sans doute la révolte des banlieues françaises de 2005 a-t-elle aussi pu faire passer une partie de la jeunesse ghettoïsée et stigmatisée de la honte à la fierté « d’être du 9-3 », de Minguettes, ou d’ailleurs. Mais sa violence muette et souvent autodestructrice n’a pas (encore) trouvé à s’inscrire, comme celle de Watts (1965), d’Amsterdam (1966), de Paris (1968), de Montréal (1969) dans un mouvement social d’émancipation ascendant. De sorte qu’elle peut paraître confirmer l’évocation par Baudrillard d’une violence qui n’est plus ni ludique, ni sacrée, ni idéologique, mais structurellement liée à la consommation, même si la privation le dispute désormais à l’abondance : « De temps en temps, dans notre univers clos de violence et de quiétude consommée, cette violence vient réassumer aux yeux de tous une partie de la violence symbolique perdue, très brièvement, avant de se résorber elle-même en objet de consommation. » [3] Raids, rezzous, descentes sporadiques des « quartiers » et « banlieues » (répondant aux « descentes » policières dans les zones réputées dangereuses) vers des centre-ville transformés en temples de la richesse et du luxe, semblent ainsi confirmer le pressentiment de Debord qu’à « l’acceptation béate de ce qui existe » puisse « se joindre, comme un même chose, la violence purement spectaculaire » [4].
Le capitalisme pourrissant secrète de la violence et de la peur à haute dose. Il s’agit de faire en sorte que la colère l’emporte sur la peur et que la violence s’éclaire à nouveau d’un objectif politique, à la façon dont Sorel revendiquait une nécessaire violence de l’opprimé, mais une « violence éclairée par l’idée de grève générale » [5]. A condition d’être liée à un objectif politique, pour lui comme pour Fanon, la violence, celle du prolétaire comme celle du colonisé, peut être constitutive de la subjectivation de l’opprimé : « Je n’hésite pas à déclarer que le socialisme ne saurait subsister sans un apologie de la violence : c’est dans les grèves que le prolétariat affirme son existence. » (Le Matin, 5 août, 1908). De même que la guerre a fourni aux républiques antiques « les idées qui forment l’ornement de notre culture moderne », de même « la guerre sociale peut engendrer les éléments d’une civilisation nouvelle ».
Cette violence assumée est pour Sorel aux antipodes de la force institutionnalisée des vainqueurs, a fortiori de leur cruauté : « J’ai horreur de toute mesure qui frappe le vaincu sous un déguisement judiciaire. ». Cette distinction entre force et violence est le fil conducteur des Réflexions : « Tantôt on emploie les termes force et violence en parlant des actes d’autorité, tantôt en parlant des actes de révolte. Il est clair que les deux cas donnent lieu à des conséquences fort différentes. Je suis d’avis qu’il faudrait réserver le terme de violence pour la deuxième acception ; nous dirions donc que la force a pour objet d’imposer l’organisation d’un certain ordre social dans lequel une minorité gouverne, tandis que la violence tend à la destruction de cet ordre. » [6] Il y aurait donc une différence radicale entre « la force qui marche vers l’autorité et cherche à réaliser une obéissance automatique, et la violence qui veut briser cette autorité ».
Lecteur de Sorel, Walter Benjamin distingue lui aussi une « violence divine », qui instaure un droit nouveau, seule capable de briser « la violence mythique » des dominants, et cette violence conservatrice qui entretient le cercle vicieux de la domination. Pour lui comme pour Sorel, le simple fait de la grève oppose un droit (d’existence) à un autre droit (de propriété). La violence conservatrice d’Etat s’exerce aujourd’hui par les armes de destruction massive, par la banalisation des procédures d’exception, par les exécutions et les détentions « extra-judiciaires », par la tentation de la torture préventive comme corollaire logique de la « guerre préventive » [7].
Marx a bien souligné la dialectique de la violence et du droit. Dès lors qu’il n’y a plus ni tables de loi descendues du Sinaï, ni droit divin, le droit n’est plus absolu. La lutte des classes met en présence des conceptions socialement antagoniques du droit. Et, « entre deux droits opposés, c’est la force (Macht) qui tranche ». La traduction courante par « force » du terme allemand Macht tend à confondre la violence fondatrice de Sorel avec la force (Gewalt) qui en allemand mêle inextricablement puissance et violence, violence légitime et autorité justifiée. Reste qu’il n’y a pas de droit qui ne s’origine dans la force et ne se maintienne par la violence. Ce que souligne fort justement, relève Derrida, l’expression « force de loi » [8] Cette implication de la « force » (pour Sorel de la « violence ») dans le droit est nécessaire « pour réserver la possibilité d’une justice qui non seulement excède ou contredit le droit, mais qui peut-être n’a pas de rapport avec le droit ».
Curieusement, Derrida inverse la terminologie sorélienne en s’interrogeant sur la différence entre la force « qui peut être juste » et la violence « qu’on juge toujours injuste ». Sans doute cette distinction est-elle précisément celle du discours dominant que Sorel retourne comme un gant. Reste l’idée, essentielle, qu’il y a toujours « un excès de la justice sur le droit et le calcul », que la politisation oblige à reconsidérer sans cesse les fondements mêmes du droit, et que cette réinterprétation signifie – forcément - une épreuve (de forces) [9].
C’est donc à bon droit que Sorel se demande déjà « s’il n’y a pas quelque peu de niaiserie dans l’admiration de [ses] contemporains pour la douceur ». Et une bonne dose d’hypocrisie ou de faux-culerie, sans doute. Car cette douteuse douceur n’est jamais qu’un nouveau travestissement d’une force victorieuse monopolisée par l’Etat. Ce que Sorel écrit alors de la transformation des mœurs de son temps revêt aujourd’hui une troublante actualité. Il rappelle qu’un édit royal du 5 août 1725 punissait de mort le banqueroutier frauduleux : « On ne peut rien imaginer qui soit plus éloigné de nos mœurs actuelles. » En effet : « Nous sommes aujourd’hui disposés à croire que les délits de ce genre ne peuvent être commis que grâce à une imprudence des victimes et qu’ils en méritent que par exception des peines afflictives ; et encore nous contentons-nous de peines légères. Dans une société riche, occupée de grandes affaires, où chacun est très éveillé pour la défense de ses intérêts, comme est la société américaine, les délits de ruse n’ont point les mêmes conséquences que dans une société qui est obligée de s’imposer une rigoureuse parcimonie ; il est très rare, en effet, que ces délits puissent apporter un trouble profond et durable dans l’économie ; c’est ainsi que les Américains supportent sans trop se plaindre les excès de leurs politiciens et de leurs financiers […]. Depuis que l’on gagne suffisamment d’argent en Europe, des idées analogues à celles d’Amérique se sont répandues parmi nous. De grands brasseurs d’affaires ont pu échapper à la répression parce qu’ils avaient été assez habiles, aux heures de leurs succès, pour créer de nombreuses amitiés dans tous les mondes ; on a fini par trouver qu’ils serait bien injuste de condamner des négociants banqueroutiers et des notaires qui se retireraient ruinés après de médiocres catastrophes, alors que les princes de l’escroquerie financière continueraient à mener joyeuse vie. Peu à peu, la nouvelle économie a créé une nouvelle indulgence extraordinaire pour les délits de ruse dans les pays de haut capitalisme. » [10]
Autres temps, autres mœurs. Hier encore, les banquiers faillis se défenestraient par dizaines. Aujourd’hui, avec un sens du confort inversement proportionnel à celui de l’honneur, ils se munissent de parachutes – dorés, de préférence. Cette impunité entretient une violence structurelle omniprésente et ce que Pierre Bourdieu appelle « une loi de circulation de la violence ». La violence visible ou physique n’est en effet qu’une part restreinte de multiples violences sociales banalisées. De sorte que, « si l’on veut faire diminuer véritablement la violence la plus visible, crimes, vols, viols, voire attentats, il faut travailler à réduire globalement la violence qui reste invisible, celle qui s’exerce au jour le jour, pêle-mêle, dans les familles, les ateliers, les usines, les commissariats, les prisons, ou même les hôpitaux ou les écoles, et qui est le produit de la violence interne des structures économiques et sociales et des mécanismes impitoyables qui contribuent à les reproduire ». A commencer par « la violence inerte » dévastatrice de la souffrance au travail, des harcèlements, brimades, licenciements, du chômage, de la précarité et de la pauvreté.
Dans sa douzième Thèse sur le concept d’histoire, Walter Benjamin invoque la classe opprimée comme la classe « combattante et vengeresse qui, au nom des générations vaincues, mène à son terme l’œuvre de libération ». Il accuse la social-démocratie d’avoir « énervé ses meilleures forces » et de lui avoir désappris « la haine et le sacrifice » qui s’alimentent « à l’image des ancêtres asservis et non point à l’idéal des petits-enfants libérés ». Dans sa Théorie de la violence, Georges Labica semble lui faire écho quand il revendique un « devoir de haine » : « La haine n’est qualifiée d’aveugle que pour être écartée et anathèmisée, alors que, nourrie de la connaissance du système et des rapports de forces qui le structure, elle sait faire preuve de lucidité et se révéler habile stratège. Le devoir de haine rend productives les colères que le système suscite de toutes parts contre lui. » [11]
C’est que, dit-il, diffuse et confuse, tantôt libératrice, tantôt asservissante, « la violence n’est pas un concept » mais « une pratique inhérente aux rapports sociaux dont elle exprime les diverses formes ». Comme il l’illustre tout au long de son livre, l’histoire, l’art, la vie en sont tissés, et ils « marchent à la violence ». A partir de l’expropriation originelle superbement évoquée par Marx dans Le Capital, la modernité capitaliste n’a fait qu’en généraliser et perfectionner les techniques, au point de donner naissance à « une industrie du massacre » et au point qu’il faille inventer les catégories du génocide et du crime contre l’humanité pour caractériser juridiquement la nouvelle pratique du crime social en série.
On en est aujourd’hui, avec la robotique militaire, à mécaniser le meurtre et à exclure réciprocité du risque suprême qui fit de la guerre la forme limite et paroxystique du conflit. Déjà, plus de 5000 robots sont déployés en Irak et en Afghanistan. Leurs créateurs envisagent désormais de formaliser les bases d’un sens moral pour rendre leurs automates aptes à prendre des décisions dans des situations imprévues. Un rapport de l’US Navy note que « le sens moral ainsi développé doit pouvoir amener les robots à tuer les mauvais humains (les ennemis) et pas les bons (les alliés) ». Le même rapport affirme sans le moindre humour « qu’avoir des robots combattants à nos côtés réduira dramatiquement le nombre de morts », de sorte que « cette arme pourrait devenir suffisamment redoutée pour que la guerre cesse enfin d’être une opération désirable pour résoudre les divergences entre Etats-nations » [12]. Que la guerre robotisée à 0 morts d’un côté soit au contraire le moyen de la faire accepter par une opinion publique traumatisée par le décompte des body bags est une hypothèse bien plus plausible.
A quoi s’ajoute le fait que, contredisant la définition webérienne de l’Etat moderne par la détention du monopole de la violence légitime, la mondialisation capitaliste s’accompagne d’une reprivatisation de la violence aux conséquences incalculables. Sa dissémination entre les officines mercenaires, les maffias, les bandes, les églises et autres sectes, annonce une dialectique nouvelle de la force et du droit.
Sans doute peut-on s’attaquer aux multiples formes de souffrances sociales dont il est largement démontré qu’elles sont étroitement corrélées aux manifestations violentes. Mais si, comme le démontre Labica à partir d’un vaste examen des récits historiques, des mythes religieux, des œuvres d’art, la violence est avant tout une pratique inhérente aux rapports sociaux, il est illusoire de prétendre l’éradiquer en prêchant les bons sentiments et la bonne volonté. Et il s’avère que le recours à la violence et à la contrainte physiques ne sauraient être considéré comme une forme de lutte banale de parmi d’autres. Il met en mouvement en chacun une part d’ombre que nul n’est certain de maîtriser. C’est pourquoi, si l’on peut espérer qu’une culture de la violence puisse, à la manière dont s’y efforcent certains arts martiaux, parvenir à en maîtriser l’usage personnel – après tout, on peut apprendre à boire sans devenir alcoolique –, la maîtrise sociale de son usage collectif implique de la réguler stratégiquement « par la connaissance du système et des rapports de forces ».
Autrement dit, à la politiser.
C’est aussi ce, qu’en d’autres termes, écrivait Fanon.