Embourbée dans ses « chamailleries » habituelles, la classe politique n’a pas encore compris que le « logiciel » des terroristes, et donc la réponse à apporter, avaient changé, estime le spécialiste du djihadisme Gilles Kepel, au micro de France Inter ce vendredi 15 juillet au lendemain de l’attentat de Nice.
Le « logiciel » des terroristes a changé, pas celui des politiques. Invité de France Inter ce vendredi 15 juillet au lendemain de l’attentat au camion qui a coûté la vie à 84 personnes à Nice lors des célébrations du 14-Juillet, le spécialiste du djihadisme Gilles Kepel s’est livré à un réquisitoire sur le pouvoir politique, gauche et droite confondues, embourbé selon lui dans ses « chamailleries » habituelles et incapable de faire face au terrorisme contemporain.
Comme l’a de nouveau montré l’attaque de Nice, il n’est plus forcément question pour les terroristes de mener des opérations avec de grands moyens, du type 11-Septembre. « On est dans un mode opératoire qui a évolué vers de plus en plus de simplicité dans l’action », souligne Gilles Kepel : « Si vous préparez un attentat avec des armes, il faut les acheter, il faut aller les chercher ; avec des explosifs, ça ne marche pas toujours, comme on l’a vu au Stade de France ».
« Là, on n’a même plus un couteau, on a un camion, un véhicule utilitaire, qui est simplement lancé sur la foule », insiste l’universitaire, ce qui provoque « un effet d’horreur et un état de sidération qui est incommensurable avec la médiocrité des moyens utilisés ». Dans la « continuité » des tueries précédentes, « c’est la signature de l’Etat islamique et de ce djihadisme de troisième génération », ou de « proximité », porté par des individus qui suivent « la même feuille de route » mais à qui on laisse « une assez grande latitude d’action ». Contrairement, là encore, au 11-Septembre qu’Oussama Ben Laden avait entièrement planifié.
« Notre classe politicienne est nulle face à cela »
Le problème, pour Gilles Kepel, c’est que « le logiciel de ce terrorisme-là n’a toujours pas été compris par le pouvoir politique, quel qu’il soit (...) On est dans une autre dimension, il ne s’agit pas de dire qu’on va faire appel à la réserve, tout le monde sait que les forces de l’armée et de la police sont épuisées. Et c’est du reste l’objectif des textes mis en ligne depuis 2005 par ce djihadisme de troisième génération : il faut épuiser les forces de l’ordre et il faut faire en sorte que la société, qui est totalement déboussolée, se prépare à une logique de guerre civile entre enclaves de confessions différentes ». Une analyse qui rejoint celle du patron de la DGSI Patrick Calvar, qui, auditionné dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats de 2015, avait lui estimé « la confrontation entre l’ultra-droite et le monde musulman inéluctable ».
La solution, pour Gilles Kepel , « c’est la mobilisation de la société. Ce n’est pas seulement l’Etat français qui est attaqué, c’est la société française dans son essence et la pluralité de ses composantes ». Or, revenant sur les politiques, il livre un diagnostic sans concession, fustigeant un « débat minable, pas du tout à la hauteur du défi. Notre classe politicienne est nulle face à cela, elle donne le sentiment de courir derrière l’événement, d’être intéressée surtout par ses chamailleries ».
Magazine Marianne