L’article paru dans Le Monde du 5 juillet a fait l’effet d’un pavé dans la mare. On y apprend que les dirigeants de La Poste travaillent, dans le plus grand secret, sur un projet de transformation rapide de l’entreprise publique en société anonyme, avec ouverture de son capital. En clair, à sa privatisation. Immédiatement, l’Élysée s’est montré intéressé.
Les arguments pour justifier cette privatisation ne sont pas nouveaux et ils ont déjà servi à justifier le bradage d’autres services publics, en particulier France Télécom. Le poids de la dette de La Poste et son manque de fonds propres réduiraient ses ambitions dans la compétition imposée par la libéralisation. Le statut d’entreprise publique limiterait les partenariats. Enfin et surtout, les autres grands opérateurs européens l’ont déjà fait. Aucun de ces arguments n’est pertinent. La dette est maîtrisée, beaucoup plus que celles des postes allemande et néerlandaise, qui servent de modèles aux libéraux. Le statut de l’entreprise n’empêche nullement les partenariats, comme le montre celui qui a été longtemps conservé avec l’Américain Fedex. Enfin, puisque les autres postes ont déjà goûté à la privatisation, il serait bon de faire un bilan : depuis le début d’en la libéralisation, 300 000 emplois postaux ont été détruits en Europe. La poste allemande, par exemple, est fortement endettée, son patron historique risque la prison et elle a perdu, depuis 1996, 20 % de sa valeur.
Les raisons ne sont donc pas économiques. Depuis quelques années, La Poste est devenue « rentable », avec près de 1 milliard de bénéfices en 2007. L’État, aux abois, a besoin de liquidités pour financer ses cadeaux fiscaux. Il pourra trouver une manne financière dans la vente d’une partie de l’établissement public et la distribution de dividendes.
Mais il y aussi des raisons idéologiques. La Poste reste encore un symbole du service public. Pour les libéraux, c’est cette image qu’il faut détruire. À l’heure où le marché doit régner en maître absolu, une entreprise de près de 300 000 salariés, réalisant 20 milliards de chiffre d’affaires et 1 milliard de bénéfices, mais restant dans le giron du service public, fait figure d’anomalie. Il s’agit donc d’un choix de société.
Dans ce contexte, l’unité des syndicats de postiers sera déterminante, mais elle ne sera pas suffisante. L’avenir du service public postal concerne la société tout entière. Il faut construire une unité des syndicats, des associations (de défense des consommateurs, des exclus, d’élus) et, pourquoi pas, des partis politiques. Des initiatives locales intéressantes se sont opposées à la fermeture des bureaux de poste. Il faut maintenant changer de braquet. Le gouvernement pourrait profiter de la loi de transposition de la directive européenne, probablement début 2009, pour faire voter la privatisation. Il y a urgence.