● Peux-tu décrire tes conditions de travail ?
Mariam Traore – Je fais du nettoyage de chambres dans différents hôtels. Je ne passe presque jamais dans les locaux de mon entreprise : la plupart du temps, l’un de mes supérieurs m’appelle et m’indique l’hôtel où je vais travailler et où je trouverai mon emploi du temps. Je travaille entre cinq et sept jours par semaine. Sur mon planning, il y a toujours une heure de début de service, mais jamais une heure de fin… Le patron ne s’en préoccupe pas : nous avons un nombre de chambres à traiter, et il fait ensuite la conversion en temps de travail. Ainsi, 3,5 chambres égalent une heure de travail. Peu importe si le nettoyage nous a pris plus de temps ! Normalement, comme je suis à temps partiel, pour 78 heures de travail, je dois toucher 665 euros par mois. Mais je ne touche jamais cette somme, même quand je fais beaucoup plus de 78 heures. En fait, chaque mois, je gagne entre 300 et 450 euros. C’est de l’exploitation et un véritable esclavage.
● Difficile de vivre avec une telle somme… Comment fais-tu ?
M. Traore – Je vis chez mes parents et je participe au paiement du loyer. Le reste de mon argent va à la carte de portable et au titre de transport. Pour manger, je n’ai jamais d’endroit fixe : une fois, c’est chez ma mère, l’autre, chez une copine…
● Ton patron savait-il que tu étais sans papiers ?
M. Traore – Bien sûr ! Je me suis d’abord présentée avec la carte de séjour de quelqu’un d’autre. Mon employeur m’a dit que cela n’allait pas, car la personne était plus âgée que moi, et il en a profité pour me payer la moitié du mois qu’il me devait. Ensuite, je lui ai amené une fausse carte de séjour sur laquelle il y avait ma photo. Dès le début, il savait donc que j’étais sans papiers. Il y a quelques semaines, je suis tombée dans l’escalier et je me suis foulé la cheville. J’ai demandé à être arrêtée, mais un inspecteur [cadre de l’entreprise, NDLR] m’a répondu : « Tu n’as pas de papiers et tu nous emmerdes. À chaque fois, tu as un problème. Déjà qu’on t’arrange en t’embauchant… Si tu ne viens pas travailler demain, tu es licenciée ! » Texto !
● Qu’est-ce qui t’a poussée à lutter ?
M. Traore – Le 15 avril, j’ai vu les travailleurs de Chez Papa, qui s’étaient mis en grève. Cela m’a intéressée, mais j’ai demandé pourquoi il n’y avait pas de femmes. Les gens de la CGT m’ont dit qu’ils souhaitaient que des femmes s’impliquent dans le mouvement et ils m’ont encouragée. À partir de ce moment-là, j’ai été en contact permanent avec la CGT. Mais dans l’entreprise, c’est moi qui ai préparé la grève, avant d’être épaulée par mes copines.
● Les « femmes de chambre » ne travaillent pas toutes au même endroit. Comment as-tu fait pour sortir de l’isolement ?
M. Traore – Nous n’avons pas de lieu de travail fixe, mais il nous arrive de travailler dans le même hôtel. Dans ces cas-là, on échange nos numéros de téléphone. Comme bon nombre d’entre nous sont maliennes, c’est facile d’entrer en contact. L’idée de départ était d’obtenir des papiers pour pouvoir être mieux payées. Beaucoup avaient peur de se mettre en lutte. Le premier jour, le 23 mai, nous n’étions donc que trois femmes – Fanta, Hawa et moi – à débuter la grève.
● Mais d’autres vous ont rejointes…
M. Traore – Dans la journée même, nous avons été rapidement rejointes par quatre filles – une autre Fanta, Mariam, Sally et Baptiste – et un seul garçon – Toumane. Celui-ci faisait des lits, comme nous, et je me suis dit qu’un garçon qui faisait ce travail-là n’avait certainement pas de papiers : je l’ai contacté.
● Comment se déroule votre grève ? Qui la soutient ?
M. Traore – Nous occupons jour et nuit les locaux de l’entreprise. On y dort, on y mange, mais on laisse passer les gens qui travaillent, car on n’a pas le droit de les en empêcher. Pour nous rendre la vie impossible, le patron a condamné les toilettes. Heureusement, au bout de quelques jours, la porte a été forcée. Nous recevons aussi de nombreux soutiens, matériels, financiers, moraux. La mairie du 11e nous a apporté matelas, couvertures et nourriture. Des gens passent nous voir. Et, bien sûr, la CGT est toujours présente.
● 150 personnes travaillent à Manet et vous n’êtes que huit. Comment votre mouvement est-il perçu par les autres employés ?
M. Traore – Jeudi 12 juin, c’était la remise des salaires. Nous avons donc croisé beaucoup de monde. Ceux qui ont des papiers nous soutiennent. En revanche, nous nous sommes fait insulter par d’autres employés sans papiers, qui craignent qu’après cela, le patron fasse le tri et licencie les sans-papiers…
● Où en est votre demande de régularisation ?
M. Traore – Notre patron a rempli six promesses d’embauche en bonne et due forme pour l’obtention des papiers. Il ne l’a fait ni pour Baptiste, qui a démissionné juste avant le début du mouvement, à cause d’un bras cassé qui l’empêchait de travailler, ni pour Sally, prétextant qu’elle travaillait avec les papiers de quelqu’un d’autre et qu’il ne la connaissait pas. Dans un premier temps, il a sorti le même argument à Fanta Sidibé. Sauf que là, des journalistes présents sont allés voir l’hôtel où travaillait Fanta, et il leur a été répondu qu’elle venait de partir… Tout a été filmé et diffusé sur France 2 ! Sur les six dossiers déposés en préfecture, seules deux convocations nous sont parvenues, celles d’Hawa et de Toumane, pour une autorisation provisoire de séjour d’un mois. Mais ils sont toujours à nos côtés. Notre ligne est claire : personne ne bouge tant que tout le monde n’a pas de papiers.
● Quel message comptes-tu transmettre aux autres femmes sans papiers ?
M. Traore – En tant que femme sans papiers, tu dois te montrer. Il est temps de te dire : je suis une femme sans papiers et je veux pouvoir travailler correctement. Beaucoup de femmes sans papiers pensent qu’elles sortiront de la galère avec un mariage blanc ou en faisant un enfant. Mais ce n’est pas bien, car tu te prives de liberté. Au contraire, il faut que ton enfant puisse se dire : « Ma mère s’est battue. Je vais me battre à mon tour. »