Lorsqu’il y a quelques mois, des piliers de l’alliance du 14 Mars ont commencé à
critiquer violemment le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, un proche
du parti s’était exclamé : « Ils ne veulent pas de Nasrallah, ils préfèrent
peut-être Imad Moghniyé ? » Il s’agissait bien sûr d’une boutade car le secrétaire
général du Hezbollah doit forcément être un dignitaire religieux portant le turban
noir du sayyed, mais elle en dit long sur la réputation de l’homme qui a été
assassiné mardi soir à Damas par l’explosion de sa voiture piégée. Terroriste pour
les uns, héros pour les autres, Imad Moghniyé fait pratiquement figure de légende
auprès des militants du Hezbollah. Très peu d’entre eux l’ont rencontré tant l’homme
vit dans la clandestinité depuis de longues années, mais tous l’admirent, voire le
vénèrent, et souhaitent suivre son exemple. Souvent comparé à Carlos, lui aussi
terroriste pour les uns et héros pour les autres, Imad Moghniyé n’a jamais été connu
pour ses frasques ou ses excès, évoluant toujours dans la même sphère consacrée à la
lutte contre Israël et ses alliés. Né au village de Tayr Debba en 1958, Imad
Moghniyé est issu d’une famille de notables qui compte dans ses rangs des
dignitaires religieux chiites, comme Mohammad Jawad Moghniyé, célèbre pour ses
écrits sur l’islam. Mais, dans une sorte de rébellion, le jeune Imad Moghniyé est
d’abord attiré par les groupes de gauche, voire d’extrême gauche. Il commence ainsi
par adhérer à un groupe situé à mi-chemin entre les révolutionnaires socialistes et
les maoïstes, soutenu comme tous les groupuscules du genre à l’époque par le Fateh
d’Abou Ammar. Militant et baroudeur, le jeune homme intègre rapidement le service de
sécurité unifié du Fateh dirigé par Abou Ayad. Entre 1975 et 1978, il était en poste
à Chiyah et c’est là qu’il rencontre ceux qui deviendront pendant quelques années
ses compagnons de route, Abdel-Hadi Hamadé et Ali Dib (ce dernier a d’ailleurs été
assassiné par un hélicoptère israélien en 1999 au Liban-Sud, alors qu’il se faisait
appeler Khodr Salamé et qu’il était devenu un cadre important du Hezbollah). Tous
les trois formaient le noyau de ce qu’on appelait alors le clan chiite du Fateh
établi dans la banlieue sud de Beyrouth.
La révolution islamique d’Iran, un
déclic
C’est d’ailleurs dans cette même banlieue sud que le chemin de Moghniyé croise
celui de sayyed Mohammad Hussein Fadlallah qui prêchait dans la mosquée de Bir
el-Abed. Le jeune combattant découvre ainsi que l’islam défend aussi les droits des
opprimés et il se rapproche de plus en plus de la religion musulmane. En 1978, la
victoire de la révolution islamique en Iran constitue pour lui une sorte de déclic.
Il bascule alors dans le clan des religieux. Entre-temps, pendant ses années au
Fateh, il avait rencontré un certain Rafic Dust venu aider l’organisation
palestinienne à entraîner les jeunes combattants. Rafic Dust deviendra plus tard le
chef des gardiens de la révolution iraniens et à travers lui, Imad Moghniyé nouera
des liens très étroits avec les responsables iraniens. En 1982, lorsque l’armée
israélienne envahit le Liban, il a déjà choisi sa voie : il sera l’un des premiers
Libanais à entrer en résistance contre les Israéliens avec l’aide des Iraniens. Le
Hezbollah n’existait pas encore ; c’est pourquoi on a tendance à le considérer comme
l’un de ses fondateurs.Depuis lors, son nom a commencé à apparaître dans plusieurs
actions spectaculaires. Cela commence avec l’attentat contre le QG israélien à Tyr
en 1982, qui avait fait 75 morts parmi les soldats israéliens. Ce fut ensuite
l’explosion du QG des marines et l’attentat contre le Drakkar en 1983 ; les
Américains et les Français sont convaincus qu’il en est le cerveau. D’ailleurs, ils
ne cesseront de réclamer son arrestation aux autorités libanaises. Un peu plus tard,
son nom est mêlé à l’enlèvement d’otages occidentaux au Liban et même aux
négociations visant à leur relaxation. Selon certaines informations, il aurait même
été arrêté à l’aéroport d’Orly au cours d’une de ses missions secrètes pour négocier
la libération des otages occidentaux et c’est l’intervention d’Abou Ayad auprès des
autorités françaises qui aurait permis sa libération. D’ailleurs, dans des
témoignages à l’AFP, certains anciens otages français au Liban ont affirmé qu’il
venait les visiter dans leurs cellules et bien qu’ils avaient les yeux bandés, ils
auraient reconnu sa voix entre mille.En 1985, le nom de Imad Moghniyé apparaît dans
l’enlèvement de l’avion de la compagnie américaine TWA. Avec Hassan Ezzeddine et Ali
Atoué, Imad Moghniyé formait le commando en charge de l’opération. L’avion qui
devait effectuer la liaison Athènes-Rome avait été contraint à atterrir à
Beyrouth... Après cette opération, Ezzeddine et Atoué avaient choisi la discrétion
et personne n’aurait plus parlé d’eux si les Américains n’avaient ressorti leurs
noms les classant parmi les 22 terroristes les plus recherchés du monde dans une
liste publiée en 2001. Par contre, Imad Moghniyé avait poursuivi sa carrière dans la
résistance, multipliant les allers-retours Beyrouth-Téhéran. Un militant à la
retraite ou le chef militaire du Hezbollah ?Recherché par les services secrets de
plus de 40 États, son nom avait été cité dans les attentats visant des Israéliens en
Argentine et au Kenya, en 1994. Mais aucune preuve de son implication n’avait été
fournie. L’homme était pourtant considéré comme l’un des « cerveaux » du Hezbollah.
Il vivait dans la clandestinité la plus totale et changeait souvent d’apparence pour
rester méconnaissable. Nul ne savait où il se trouvait, ni quelles étaient ses
fonctions réelles. Mais Israël et les États-Unis n’ont jamais cessé de réclamer son
arrestation. En 1995, une voiture a explosé dans la banlieue sud de Beyrouth devant
la boulangerie de Fouad Moghniyé, le frère de Imad, qui est mort dans l’attentat.
Selon les informations du Hezbollah, c’est Imad qui était visé et il a fallu
attendre quelques mois pour que les autorités libanaises arrêtent Ahmad Hallak, qui
a fait des aveux complets avant d’être jugé et condamné à mort.Se déplaçant dans le
plus grand secret entre Beyrouth, Damas et Téhéran, Moghniyé n’a cessé de cultiver
le mystère, devenant ainsi, pour les militants du Hezbollah, un symbole de la lutte
et pour certaines parties occidentales une grande figure du terrorisme. Pour la
petite histoire, le célèbre auteur de romans d’espionnage Gérard de Villiers l’a
placé au cœur de l’intrigue dans deux de ses ouvrages. C’est dire combien Moghniyé
était au cœur du monde des renseignements.Alors que, depuis 1995, beaucoup d’experts
estimaient qu’il était à la retraite, d’autres au contraire le considéraient comme
le chef militaire du Hezbollah, l’un des cerveaux des dernières opérations
d’enlèvements de soldats israéliens en 2000 et en 2006, et même l’un des principaux
stratèges de la guerre de juillet 2006. Mort dans l’explosion de sa voiture à Damas
lundi soir, Imad Moghniyé emportera ses secrets avec lui. Mais aujourd’hui pour les
militants du Hezbollah, il ne restera de lui que l’image d’un héros, qui a vécu et
qui est tombé en martyr pour la même cause.Scarlett HADDAD