Le profil du nouveau président ne fait pas l’unanimité. Pour le Hezbollah, le nom ou le profil du prochain président de la République importent peu. L’essentiel c’est son orientation politique et sa volonté de « préserver la Résistance et ses fils ». De garantir leurs droits et de sauvegarder leurs acquis. Aucun soutien ne sera apporté à un président qui s’abstiendrait de renforcer le potentiel de la Résistance, de protéger son existence et son armement ou de refuser qu’on la traite de mouvement terroriste international.
Pour les deux pôles du 14 mars, le député Walid Joumblatt et Samir Geagea, le futur président devra être en mesure de respecter les résolutions internationales, notamment la 1559 que le Hezbollah dénonce. Surtout la clause relative au désarmement des milices libanaises et non libanaises. Une disposition de l’accord de Taëf. Ainsi, ce n’est plus tant le nom qui prime, mais le programme du futur président. L’ambassadeur des Etats-Unis, Jeffrey Feltman, l’a dit explicitement à l’issue de sa visite à Rabié : les programmes sont plus importants que les hommes.
Entre-temps, M. Berry a franchi un nouveau pas. Il a dépêché des émissaires auprès des principaux pôles politiques du pays, en complément du dialogue relancé au cours de la réunion du mardi 25 septembre au Parlement avec le chef du Courant du futur, Saad Hariri.
Ces concertations bilatérales, entamées par des émissaires, notamment avec le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, le général Michel Aoun et le député Walid Joumblatt, ont porté sur le profil du futur président. Mais, malgré quelques bonnes prémices, il existe aussi des signaux annonciateurs de difficultés », comme l’a souligné le député Ghassan Tuéni, dépêché, à la demande de M. Berry, auprès du métropolite de Beyrouth, Mgr Elias Audeh.
Les présidentiables
La majorité a clairement fait savoir que ses deux candidats pour la présidence sont Boutros Harb et Nassib Lahoud. L’opposition n’a pas encore officiellement nommé son candidat. Les députés du Hezbollah se sont montrés optimistes sur les perspectives de la bataille présidentielle. Le parti a noté des « indices positifs » perceptibles dans les tractations en cours. Le député du Hezbollah, Hussein Hage Hassan, est même allé plus loin, en affirmant qu’aucun présidentiable n’est exclu d’un éventuel consensus, « à commencer par Boutros Harb et Nassib Lahoud. Nous ne refusons personne. Tous les noms sont bénis, en attendant de voir sur quoi vont aboutir les concertations », a-t-il déclaré. Il a rappelé que le Hezbollah n’a toujours pas révélé son candidat « officiel » à la présidentielle, précisant que Michel Aoun « n’est pas notre candidat unique, même s’il est en tête de liste. Pour nous, le général Aoun est le candidat le plus en vue, mais pas le seul », a-t-il répété. Il a ensuite révélé que la liste des candidats les plus évoqués comporte « dix noms », et qu’il est « très facile, au cours du mois à venir, d’en choisir un ». Le numéro deux du Hezbollah, Naïm Kassem, affirme que le Hezbollah est prêt à un compromis pour que l’élection présidentielle se déroule conformément à la Constitution.
Pour la majorité, ce trop plein d’optimisme et d’ouverture la rend réticente. Pour elle, il ne faut pas se faire d’illusions, le chemin menant à un consensus est encore long. Elle considère factice l’excès d’optimisme de l’opposition qui vise à inscrire tout échec de compromis à l’actif de la majorité pour lui en imputer la responsabilité totale.
Un appel au secours
Pour la première fois, le député du Metn, Michel Murr, réitérant son soutien « de principe » à la candidature du général Aoun, a admis que « si le salut du pays l’exigeait, un autre candidat pourrait ouvrir la voie ».Les discours des uns et des autres font du consensus une option fondamentale, mais c’est la notion même du compromis qui est objet de différend. Samir Geagea insiste sur le sens du consensus qui ne veut pas dire porter son choix sur un président faible sans positions claires sur les grands problèmes qui se posent au pays. De même que cela ne signifie pas qu’il faudrait élire une personnalité qui était en vue sous la tutelle syrienne imposée au Liban ou qui entretenait des relations étroites avec le régime de Damas. Selon lui, il faut prendre en considération le fait qu’il s’agit d’élire un président et non pas de désigner un ministre ou un directeur général.
Le général Aoun a réaffirmé sa volonté de dialogue, soulignant qu’il était ouvert à des contacts avec toutes les parties en dépit des positions intransigeantes de certains. Mais les préparatifs d’une rencontre entre le chef du Courant du futur, Saad Hariri, et le député Michel Aoun ont buté sur des obstacles invisibles. Une seule initiative timide a eu lieu ; l’ancien député Ghattas Khoury, dépêché par Saad Hariri, s’est rendu à Rabié pour rencontrer le général, mais il s’est contenté d’une réunion avec le responsable politique du CPL, Gebrane Bassil. Deux versions ont été avancées. La première est que Michel Aoun n’a pas voulu rencontrer M. Khoury, estimant que la réunion doit se tenir avec M. Hariri directement. La deuxième est que l’initiative de M. Khoury est personnelle, et qu’il a pris lui-même la décision d’entamer ce dialogue. Ghattas Khoury s’est toutefois contenté de révéler que, pour des considérations de préséance, une réunion prévue entre Saad Hariri et le général Michel Aoun n’a pu se concrétiser et « ne semble pas devoir se réaliser de sitôt ».
Alors que les proches de Nabih Berry et de Saad Hariri affichaient un optimisme croissant et que le ministre de la Santé démissionnaire, Mohammad Khalifé, n’excluait pas la levée du camp du centre-ville, Walid Joumblatt lance un appel au secours, notamment à l’Onu, aux représentants des cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité. Il affirme que « le régime syrien constitue une menace directe pour le Liban. Plus que jamais, le peuple libanais a un besoin urgent de la communauté internationale. » Le chef du PSP refuse tout compromis pouvant conduire à l’élection d’un président qui ne se serait pas clairement engagé à faire respecter les résolutions internationales. Le message du chef du PSP est double : il faut qu’il y ait une élection présidentielle dans les formes constitutionnelles d’abord, mais il ne faut pas élire n’importe quel président. Le prochain chef de l’Etat doit s’engager à respecter les résolutions internationales.
Sur le plan national, la voie semble ouverte à des contacts d’ordre diplomatique. Les visites des ambassadeurs continuent auprès des parties influentes dans l’échéance présidentielle. L’ambassadeur des Etats-Unis, Jeffrey Feltman, a effectué une vaste tournée, notamment, à Rabié et Maarab. Il a indiqué que l’élection présidentielle est une affaire libanaise par excellence, appelant à l’élection d’un président qui préserverait la souveraineté et l’indépendance du Liban et qui appliquerait les résolutions onusiennes. Le chef du Courant du futur a reçu l’ambassadeur d’Iran, Mohammad Reda Chibani, qui a qualifié leur entretien de « très positif ». Une rencontre d’autant plus significative qu’elle survient alors que tout le monde attend l’aboutissement des ébauches de dialogue au niveau régional entre l’Iran et l’Arabie saoudite, et les incidents entre Israël et la Syrie.
L’attitude de Damas concernant la présidentielle reste inconnue. Au cours d’une réunion à Rome, les trois ministres des Affaires étrangères d’Italie, de France et d’Espagne ont envisagé de dépêcher Jean-Claude Cousseran à Damas, dans l’espoir d’amener la Syrie à la raison et de la convaincre de ne pas se mêler de la présidentielle libanaise. L’idée a ensuite été abandonnée.
Dans le collimateur international
La position de Washington reste floue aussi. La visite de M. Hariri, suivie une semaine plus tard de celle de M. Joumblatt, dans le cadre des concertations, comme les ont qualifiées l’ambassadeur Feltman, sont une approche directe de la question, bien que la plupart des observateurs restent sceptiques et pensent qu’un accord sur la présidentielle ne trouvera une solution qu’au cours du dernier quart d’heure. MM. Hariri et Joumblatt seront reçus par les hauts responsables américains avec, à leur tête, le président George Bush. Pour de nombreux observateurs, ces rencontres seraient décisives dans la mesure où elles permettront de mieux connaître les intentions réelles des Etats-Unis au sujet de l’échéance présidentielle libanaise.
Au niveau international, et en marge des travaux de l’Assemblée générale des Nations unies, la crise libanaise est omniprésente. Une déclaration présidentielle du Conseil de sécurité appelle à la tenue d’une élection libre conforme aux normes et aux délais constitutionnels libanais, sans aucune ingérence étrangère, dans le plein respect de la souveraineté du Liban, sur la base de l’unité nationale et dans un climat dénué de toute violence, et souhaite que le Parlement libanais procède, comme il convient, à l’élection du président de la République.
Nabih Berry n’a pas manqué de critiquer « l’ingérence » du Conseil de sécurité, soulignant qu’il « ne relève pas de sa compétence, avec tout le respect qui lui est dû, de s’ingérer dans les affaires libanaises ». Il a précisé que l’élection présidentielle est « l’affaire du peuple libanais. Plus nous imposons des décisions au peuple, plus nous l’épuisons lui et le Conseil de sécurité ».
De son côté, le président de la République, Emile Lahoud, a prononcé un long discours évoquant les problèmes que vit le Liban, déplorant que « certaines parties internationales tentent d’intervenir dans les affaires internes libanaises contrairement aux règles internationales », un discours aussitôt critiqué par le chef de la diplomatie française. Bernard Kouchner a rétorqué qu’« il fallait demander au président Lahoud si le crime commandité de l’autre côté de la frontière est, oui ou non, une affaire internationale. Cette série d’attentats qui bouleversent le pays et qui tuent des Libanais, quelle que soit leur communauté, me paraît également concerner la communauté internationale », a-t-il estimé. M. Kouchner, qui avait donné lecture du communiqué du Conseil de sécurité sur le Liban, avait aussi commenté la réponse de M. Berry, affirmant que ce dernier avait mal lu le communiqué.
Réponse du président Emile Lahoud à Bernard Kouchner : « Si le ministre Kouchner détient des informations sur les attentats « commandités de l’autre côté de la frontière », il ferait mieux alors de prévenir la commission d’enquête internationale, comme prévu par les résolutions onusiennes. »
Une véritable douche écossaise s’abat sur la scène libanaise. Le trop plein d’optimisme comme l’excès de pessimisme sont présents. L’échéance présidentielle constitue un baromètre, non pas seulement pour l’avenir du Liban, mais aussi pour tout ce qui se dessine pour la région. Le Liban n’est-il pas la porte de l’Orient ?