ISLAMABAD, CORRESPONDANTE EN ASIE DU SUD
De violentes échauffourées opposant la police et les forces anti-émeutes à un groupe d’avocats ont éclaté, samedi 29 septembre, à Islamabad, devant l’immeuble qui abrite la commission électorale du Pakistan. Celle-ci a commencé à examiner 43 candidatures, dont celle du général-président Pervez Musharraf, à l’élection présidentielle prévue le 6 octobre.
Déployés en masse, policiers et commandos anti-émeutes ont fait usage de gaz lacrymogène contre les protestataires. Plusieurs ont été battus. La télévision a montré des images d’avocats en costumes traînés au sol par des policiers munis de bâtons. Les avocats avaient appelé à une manifestation samedi pour protester contre le verdict, émis la veille par la Cour suprême, ouvrant la possibilité au président en uniforme de chef de l’armée d’être réélu.
Acclamé par les partisans du président Pervez Musharraf et décrié par l’opposition, le verdict avait déclenché, dès vendredi, des manifestations d’hostilité des avocats qui n’avaient pas hésité à crier « honte » aux juges de la Cour. Ce jugement de la Cour suprême était attendu dans la mesure où il était devenu évident que plusieurs juges ne voulaient pas prendre le risque d’une crise constitutionnelle qui aurait pu entraîner l’imposition de la loi martiale. Il n’en a pas moins radicalisé les opinions et accentué la pression sur le chef de la commission électorale qui doit à présent se prononcer sur la validité ou non des candidatures.
Sollicités par des pétitions de l’opposition qui contestait le droit du général Musharraf à se représenter en uniforme, les juges de la Cour suprême, par six voix contre trois, avaient déclaré « irrecevables » ces pétitions sans toutefois trancher sur le fond.
Le jugement invoque simplement une question de procédure ouvrant ainsi la voie à des recours qu’ont déjà annoncés les avocats. La décision de la Cour est une victoire pour le président et un revers pour l’opposition et les avocats à la tête du mouvement de contestation du régime militaire. Les avocats, qui ont présenté un candidat à l’élection présidentielle, en la personne d’un ancien juge à la Cour suprême, Wajihuddin Ahmed, ne s’avouent pas battus.
Ce dernier devrait de nouveau contester le droit du général à se représenter en uniforme devant la commission électorale qui n’est pas connue pour son opposition au pouvoir. La Cour suprême pourrait être de nouveau saisie mais à une semaine exactement du scrutin, elle n’aura sans doute pas le temps de se prononcer.
Si le jugement de la Cour suprême permet au général Musharraf de reprendre l’initiative il ne met pas fin, pour autant, à la crise politique que traverse le Pakistan. Les réactions très négatives de l’opposition et des avocats au jugement de vendredi semblent prouver que tout compromis est impossible entre ceux qui continuent de soutenir le général et leurs adversaires.
La radicalisation des positions dans une ambiance déjà tendue par l’insécurité grandissante dans les zones frontalières où les extrémistes islamistes multiplient attaques et attentats contre les forces de sécurité n’augure pas une période de calme pour les élections législatives. Celles ci devraient avoir lieu au plus tard en février 2008.
Entre temps, le général Musharraf, dont le mandat de président expire le 15 novembre, aura, selon ce qu’il a annoncé, abandonné son uniforme et donc son poste de chef de l’armée avec tous les risques que cela comporte dans un pays où les militaires, plus que le président, détiennent le véritable pouvoir.
Françoise Chipaux
* Article paru dans le Monde, édition du 30.09.07.
LE MONDE | 29.09.07 | 15h03 • Mis à jour le 29.09.07 | 15h03
L’idylle entre les patrons de Karachi et les militaires
KARACHI, ENVOYÉ SPÉCIAL
Majyd Aziz est un petit bonhomme rond, jovial, un brin agité, qui adore porter des cravates vert pistache et citer Bertrand Russell et Theodore Roosevelt. Il est surtout un patriote qui essaime les couleurs du Pakistan - croissant de lune et étoile blancs sur fond vert - partout autour de lui, du pin’s épinglé au revers de son veston à sa carte de visite de président de la chambre de commerce et d’industrie de Karachi, la capitale économique du pays. Mais ce qui le définirait le mieux, c’est son légitimisme forcené. Il aime se situer du côté du manche. C’est ainsi. Sur une étagère de son bureau trône une photo le campant aux côtés du général-président Pervez Musharraf, rigolard, lors d’une cérémonie officielle. Il n’a pas résisté à la tentation de l’exhiber.
Majyd Aziz lisse avec délectation sa moustache et laisse abruptement tomber : « Les milieux d’affaires ont traditionnellement été enclins au Pakistan à soutenir des gouvernements non démocratiques. » Puis, il se fait plus précis : « C’est vrai, nous nous sentons très à l’aise avec les gouvernements militaires. L’économie s’est toujours mieux portée quand l’armée était au pouvoir. » Majyd Aziz n’abhorre rien tant que les circonlocutions. Quand il avoue sa faiblesse pour M. Musharraf, dont la popularité est au plus bas dans l’opinion, il ajoute aussitôt : « J’en suis un partisan pur et dur. Quand il a pris le pouvoir en 1999, le Pakistan était au seuil de la banqueroute. Il l’a sorti de l’ornière. »
COMMUNAUTÉ DES MEMONS
Bien sûr, il admet que le tableau n’est pas parfait. Il en veut notamment au premier ministre Shaukat Aziz, un ancien de la banque américaine Citibank, de privilégier « les banques et la Bourse » au détriment d’industries comme le textile, « plongé dans la crise ».
Il râle d’autant plus qu’il voue au textile une affection particulière : il y a fait ses premières armes, héritier, avec ses quatre frères, d’une entreprise familiale, avant de se diversifier dans le charbon et les fertilisants. Mais, au bout du compte, il ne boude pas son plaisir de disposer à Islamabad d’oreilles très attentives. « Avec M. Musharraf, les hommes d’affaires ont eu accès aux allées du pouvoir et pu faire passer leurs messages. »
Autant d’acquis qui risqueraient, selon lui, d’être annihilés si Benazir Bhutto ou Nawaz Sharif, les deux ex-premiers ministres en exil, devaient revenir au pouvoir. « Les dirigeants civils versent forcément dans le populisme pour plaire à la population, dit-il, et gaspillent les fonds publics. »
Majyd Aziz est l’archétype de l’homme d’affaires de Karachi. Il l’est d’autant plus qu’il appartient à une communauté - les Memons - qui contrôle une bonne partie de l’économie locale. Originaires de la province pakistanaise du Sind, dont Karachi est le chef-lieu, les Memons ont migré à partir du XIXe siècle à travers tout l’empire britannique des Indes et sillonné le golfe Persique, la mer Rouge et l’océan Indien jusqu’aux côtes de l’Afrique orientale.
Dotés de solides traditions marchandes, ils ont établi des bases prospères au fil de leurs pérégrinations. La famille de Majyd Aziz s’était enracinée à Bombay avant de se replier au Pakistan après la sanglante partition de 1947. « Sans l’apport économique des Memons, le Pakistan n’aurait pas survécu », assure Majyd Aziz, un rien fier. Absents de l’armée et de la bureaucratie du nouvel Etat, les Memons (un demi-million à Karachi) ont focalisé leurs énergies sur l’industrie et le commerce, sans trop se soucier de politique. « Cela nous vaut une réputation de docilité », dit Majyd Aziz. D’où la photo de M. Musharraf en bonne place dans son bureau...
Frédéric Bobin
* Article paru dans le Monde, édition du 30.09.07.
LE MONDE | 29.09.07 | 15h03
Musharraf est autorisé à se représenter à la présidence en restant chef des armée
s
La Cour suprême a autorisé, vendredi 28 septembre, le président du Pakistan, Pervez Musharraf, à participer à l’élection présidentielle du 6 octobre en restant chef des armées. Elle devait se prononcer sur la candidature du président Musharraf à un nouveau mandat de cinq ans. Plusieurs recours avaient été déposés devant la plus haute instance judiciaire du pays pour contester le droit du général-président, au pouvoir depuis le coup d’Etat de 1999, à se présenter à l’élection du 6 octobre.
La Cour suprême s’est réunie après avoir entendu les ultimes plaidoiries des avocats. Elle a pris sa décision à une majorité de six juges contre trois. L’arrêt de la Cour pourrait avoir des conséquences considérables pour le pays qui vit depuis des mois dans l’incertitude. Les opposants de Musharraf estimaient qu’il ne pouvait cumuler les fonctions de président et de commandant en chef des armées. Ils lui contestaient également le droit de se présenter « en uniforme » aux suffrages des députés de l’Assemblée nationale et des assemblées provinciales, qui élisent le président pakistanais.
D’autres recours ont été déposés. Ils reposent sur le fait que ces assemblées seront renouvelées lors d’élections générales attendues d’ici la mi-janvier et soutiennent qu’il convient d’attendre ces scrutins-là pour procéder au scrutin présidentiel. Si la Cour suprême donne raison aux plaignants, Musharraf pourrait être tenté d’imposer la loi d’urgence ou de dissoudre le Parlement, avancent des analystes. Pervez Musharraf s’est engagé à quitter l’armée, base principale de son pouvoir, s’il est réélu.
LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 28.09.07 | 13h09 • Mis à jour le 28.09.07 | 13h31
Au Pakistan, l’opposition annonce le boycottage du Parlement
ISLAMABAD CORRESPONDANTE
La tension est encore montée d’un cran au Pakistan dans l’attente, vendredi 28 septembre, de la décision de la Cour suprême sur la validité de la candidature du président Pervez Musharraf à l’élection présidentielle du 6 octobre. Cette même Cour vient d’obtenir la libération de quelque 200 opposants arrêtés ces derniers jours et a exigé des autorités des explications sur le blocus d’Islamabad.
C’est en effet dans une capitale en état de siège, quadrillée par la police et les forces paramilitaires, que le premier ministre, Shaukat Aziz, accompagné des dirigeants du parti présidentiel, a déposé, jeudi, devant la commission électorale, la candidature du président Musharraf.
Celui-ci aura comme principal adversaire un ancien juge de la Cour suprême, Wajihuddin Ahmed, présenté par l’ordre des avocats qui lutte contre la perpétuation du régime militaire. M. Ahmed, dont la candidature vise à soulever des objections constitutionnelles à celle du général Musharraf, est l’un des six juges de la Cour suprême qui, en 2000, avait préféré démissionner plutôt que d’entériner le coup d’Etat du général Musharraf. Celui-ci avait, en octobre 1999, renversé le premier ministre élu, Nawaz Sharif.
Le Parti du peuple pakistanais (PPP) de l’ex-première ministre Benazir Bhutto a aussi présenté un candidat : son vice-président, Makhdoom Amin Fahim. Celui-ci ne maintiendra toutefois sa candidature qu’en cas de disqualification du général Musharraf, Mme Bhutto étant à la recherche d’un accord avec ce dernier.
GESTE DE DÉFIANCE
Dans un autre geste de défiance à l’égard du président Musharraf, une alliance des partis d’opposition - à l’exception du PPP -, a décidé, jeudi, que ses membres démissionneraient du Parlement et des assemblées provinciales avant le scrutin présidentiel du 6 octobre. Ces démissions, qui pourraient entraîner la dissolution de l’assemblée de la Province frontalière du Nord-Ouest, à Peshawar, et sérieusement compromettre le fonctionnement de l’assemblée au Baloutchistan, visent à retirer toute légitimité à une éventuelle réélection du général Musharraf. Le président du Pakistan est en effet élu à la majorité simple par un collège électoral composé des membres du Parlement fédéral et des membres des quatre assemblées provinciales.
Saisie pour savoir si le président Musharraf, toujours chef de l’armée, peut se représenter pour un mandat de cinq ans en uniforme, la Cour suprême semble hésiter sur la conduite à tenir. Les avocats qu’elle a sollicités divergent et les juges laissent entendre qu’ils ne souhaitent pas se substituer aux partis politiques et au Parlement. Depuis la réinstallation, le 20 juillet, de son président, Iftikhar Mohammad Chaudhry, que le président Musharraf avait tenté d’écarter, la Cour suprême apparaît comme le recours d’une classe politique divisée et incapable de s’accorder sur une stratégie d’opposition au régime militaire. Les débats se déroulent dans une atmosphère viciée par les menaces d’imposition de la loi martiale au cas où la candidature du président serait déclarée inconstitutionnelle.
Avocat plaidant l’inconstitutionnalité de la candidature d’un officier, Aitzaz Ahsan a qualifié de « chantage » les déclarations de l’avocat général affirmant que, si M. Musharraf n’était pas réélu, il resterait chef de l’armée. Le président s’est engagé à abandonner l’uniforme dans le seul cas où il serait réélu.
Françoise Chipaux
* Article paru dans le Monde, édition du 29.09.07.
LE MONDE | 28.09.07 | 15h34 • Mis à jour le 28.09.07 | 15h34
Une centaine d’opposants à Pervez Musharraf libérés au Pakistan
Arrêtés le week-end dernier alors qu’ils s’apprêtaient à manifester contre une nouvelle candidature du général Musharraf à la présidence pakistanaise, des dizaines d’opposants ont été relâchés, vendredi 28 septembre, conformément à une décision de la Cour suprême pakistanaise en ce sens.
Les autorités avaient justifié ces interpellations en expliquant qu’il s’agissait d’arrestations « préventives » destinées à empêcher des « troubles à l’ordre public » et la « pression » de la rue sur les juges de la Cour suprême, qui examinaient cette semaine la validité de la candidature de M. Musharraf au scrutin du 6 octobre. L’opposition conteste le droit pour le président sortant de participer à l’élection s’il ne renonce pas, au préalable, à ses fonctions de chef des armées, qu’il détient toujours depuis son coup d’Etat du 12 octobre 1999.
« UNE GÊNE IMMENSE »
La libération des opposants « provoque une gêne immense dans les rangs du gouvernement », a estimé Javed Hashmi, l’un des détenus libérés, président par intérim du parti de l’ancien premier ministre en exil Nawaz Sharif. Certains des détenus n’auraient pas bénéficié de l’ordre de la libération des juges et demeureraient en prison. La police continuait par ailleurs, vendredi matin, de bloquer les principales artères d’Islamabad, empêchant les manifestations promises d’avoir lieu.
LEMONDE.FR avec AFP | 28.09.07 | 09h18 • Mis à jour le 28.09.07 | 10h34
La Cour suprême pakistanaise demande la libération d’opposants à Pervez Musharraf
La Cour suprême pakistanaise a ordonné, jeudi 27 septembre, la libération d’une centaine d’opposants arrêtés ces derniers jours pour éviter, selon la police, qu’ils ne troublent l’ordre public en manifestant contre la candidature du président sortant, Pervez Musharraf, à la présidentielle.
Une centaine de membres des partis de l’opposition, mais aussi les principaux dirigeants de certains d’entre eux, avaient été interpellés, le week-end dernier, « préventivement » selon la police. Celle-ci invoquait des risques de « trouble à l’ordre public » parce qu’ils appelaient à manifester contre la candidature du général Musharraf à la présidentielle du 6 octobre.
NOMBREUX RECOURS CONTRE LA CANDIDATURE DE M. MUSHARRAF
Le premier ministre pakistanais, Shaukat Aziz, a déposé les documents nécessaires à la candidature du chef de l’Etat sortant, Pervez Musharraf, au scrutin du 6 octobre. « C’est un jour historique pour le Pakistan », a dit M. Aziz à la presse au siège de la Commission électorale. « Le président Pervez Musharraf est le candidat de la Ligue musulmane du Pakistan et de ses alliés et nous avons bon espoir qu’il l’emportera, ce qui sera très important pour le Pakistan et la région », a continué M. Aziz.
Le quartier où se trouve la commission électorale, en plein centre d’Islamabad, avait été bouclé par des centaines de policiers. La Cour suprême, elle, continue d’étudier les nombreux recours des partis d’opposition et de l’ordre des avocats contre la candidature de M. Musharraf : ils estiment que la Constitution lui impose de démissionner de son poste de chef des armées, qu’il occupait déjà au moment de son coup d’Etat le 12 octobre 1999, pour se présenter à la présidentielle. La Cour doit se prononcer incessamment sur la validité de la candidature de M. Musharraf.
LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 27.09.07 | 12h40 • Mis à jour le 27.09.07 | 12h48