Ainsi, bien que le PNV ait perdu 3,83% des voix et 4 sièges par rapport aux élections de 2020, l’augmentation de 0,56% et de 2 sièges du PSE, permet à la coalition PNV-PSE d’atteindre la majorité absolue dans le futur parlement (39 sièges sur 75) et de continuer à gouverner.
Selon le candidat de EH Bildu au Lehendakari (président), Pello Otxandiano, les résultats de dimanche permettent de former deux majorités au parlement basque : d’une part, la plus grande majorité nationaliste (PNV-EH Bildu) de l’histoire du parlement basque (54 sièges sur 75) en faveur du « droit de décider » [1] et d’autre part, une majorité de gauche (EH Bildu, PSE, Sumar, 40 sièges sur 75) pour promouvoir les politiques sociales. Et EH Bildu considère que cette situation ouvre un nouveau cycle politique dans lequel la gauche nationaliste joue un rôle central.
Cependant, si ces chiffres sont réels, la constitution de ces deux majorités ne dépend pas d’EH Bildu mais surtout de l’accord PNV-PSE, tant en termes d’autonomie que de politiques de transition sociale, fiscale ou écologique.
Quoi qu’il en soit, ce qu’il faut retenir, c’est que ces élections montrent la crise du PNV et un EH Bildu en plein essor. Une montée, disons structurelle, non soumise à la conjoncture se consolide depuis quelques années, notamment depuis les élections municipales de 2023 (c’est la première force municipale du Pays basque) et lors des élections au Parlement espagnol de juillet 2023, avec une augmentation de 5,27% en pourcentage face à un PNV qui a perdu 8% de voix par rapport aux élections précédentes.
Quelles sont les raisons du déclin du PNV ?
Les raisons du déclin du PNV sont, d’une part, l’usure produite par la longue période de gestion gouvernementale qu’il a dominée depuis 1980 (bien que sa gestion ait été acceptée par de larges secteurs de la population) et, d’autre part et surtout, une législature particulièrement agressive en matière de politiques sociales (principalement la santé et le logement) et au ton nettement autoritaire, en accord avec l’air du temps.
Au cours de la campagne électorale, la question centrale a été le débat sur le système de santé publique (Osakidetza) qui, après avoir été un système de pointe en Espagne, s’est progressivement dégradé en raison de la privatisation des services, de la réduction des ressources et du manque de personnel. Et alors qu’Osakidetza apparaissait comme le fleuron du pays basque selon le PNV, son candidat a dû reconnaître les faiblesses et annoncer des mesures d’amélioration (en matière de recrutement de personnel, de soins primaires...) que son parti et le gouvernement PNV/PSE avaient jusqu’à présent systématiquement refusées.
Il ne pouvait en être autrement, car pendant la campagne électorale, les mobilisations des usagers et du personnel de santé n’ont pas cessé, pas plus que les mobilisations promues par les groupes de défense d’une santé publique de qualité et les syndicats.
En outre, le PNV a également été confronté aux manifestations d’autres secteurs, tels que les retraités, les femmes travaillant dans les soins à domicile ou le réseau des maisons de retraite...
L’opposition du PNV à la loi sur le logement adoptée en Espagne (avec le soutien d’EH Bildu et de la gauche SUMAR/Podemos) pour tenter de mettre un terme à la voracité des fonds vautours dans le secteur et à la crise aiguë du logement - qui explique l’émergence de syndicats de locataires et la déclaration de certaines villes comme zones de tension- a été très controversée.
A cela s’ajoute la relation étroite que le PNV entretient avec les élites économiques et financières (le président de Petronor - entreprise pétrolière et gazière, pionnière en matière de pollution et de négation de la crise climatique - est un ancien président du parti), qui constitue l’alpha et l’oméga de sa politique économique.
Si l’on ajoute à cela que les temps changent et que des questions comme l’égalité des sexes, les droits LGBTQ, la crise écologique, la démocratie participative... sont peu identifiables à l’image du PNV ;tandis qu’ avec EH Bildu émerge une alternative plus identifiable à celles-ci. L’érosion du PNV est donc compréhensible, même si contrairement à d’autres partis bourgeois, le PNV est un parti avec une base populaire et une base militante.
L’essor d’EH Bildu
Depuis la fin de l’activité armée de l’ETA, EH Bildu développe une politique nationale et sociale alternative à celle du PNV, et son ascension électorale doit être replacée dans les coordonnées suivantes :
• Premièrement, ses racines sociales. Par sa nature et son histoire, EH Bildu n’est pas seulement une marque électorale, c’est une force politique profondément enracinée dans la société basque, tant par une tradition militante dans le mouvement ouvrier (syndicat LAB, plus de 50.000 membres et deuxième syndicat du Pays Basque) que dans les mouvements sociaux (mouvement féministe, mouvement environnemental, etc.), avec un militantisme présent dans les mobilisations sociales et politiques.
• Deuxièmement, il a une forte présence au niveau municipal (première force électorale municipale au Pays basque).
• Troisièmement, tant au Parlement espagnol (où il constitue une force essentielle pour empêcher la droite d’arriver au pouvoir) qu’au Parlement basque, il accorde une attention particulière à la mise en place de politiques sociales en faveur du plus grand nombre avec un discours qui ne s’adresse pas seulement à la population basque, mais à tous les peuples de l’État. Il en va de même pour la défense des droits et des libertés (contre la loi du bâillon...) ou contre la corruption.
• Quatrièmement, sur la question nationale, il se situe loin de la revendication traditionnelle d’indépendance. Comme l’expliquait Oscar Matute à Mediapart en 2023 « Jusqu’à présent, nous avons surtout eu un public réceptif à notre discours sur l’indépendance. Nous essayons désormais de créer un point de connexion avec les gens qui vivent au Pays basque mais ne partagent pas forcément notre projet sur l’indépendance ». D’où son plaidoyer en faveur d’une structure confédérale de l’État.
• Enfin, pour ces élections, son programme constitue une proposition alternative à celle du PNV. « En période de transformation de l’emploi, nous allons opter résolument pour l’emploi de qualité, en nous opposant à la précarité qui conditionne profondément les conditions et les projets de vie. Le salaire minimum de 1 400 euros, la journée de travail de 32 heures sans réduction de salaire, le renforcement intégral de la santé au travail et de l’inspection du travail, la lutte ferme contre l’écart salarial et la signature du Pacte pour le cadre basque des relations de travail et de la protection sociale ... le soutien aux revendications du mouvement des retraités pour un salaire minimum de 1080 euros ». Un programme, disons, antilibéral, qui, bien qu’il comporte des aspects critiquables , répond aux attentes de changement de larges secteurs sociaux.
Et maintenant ?
Ces résultats ouvrent selon EH Bildu un nouveau cycle politique, dans lequel EH Bildu constitue l’axe capable d’articuler deux majorités : une majorité nationaliste pour canaliser les aspirations nationales du peuple basque et une majorité de gauche pour s’attaquer aux politiques sociales. Est-ce possible ?
D’une part, sur la question nationale, il n’est pas du tout évident que le PNV s’appuie uniquement sur EH Bildu pour faire avancer les « Bases consensuelles pour l’actualisation de l’Autogouvernement d’Euskadi » (approuvées en 2018 avec les votes de ces deux partis). D’ailleurs ce document s’est perdu dans les tiroirs et, au cours de cette campagne, la question n’a pratiquement pas été abordée.
D’autre part, il est certain que le PSE (fidèle disciple du PSOE et de la politique gouvernementale en Espagne) ne sera pas disposé à faire partie d’une majorité de gauche pour promouvoir des politiques sociales de grande envergure. Il le sera d’autant moins s’il est en coalition avec le PNV. Il ne faut pas oublier que sur des questions telles que la santé publique, les projets inutiles ou les revendications des retraités, ce parti n’a pas bougé le petit doigt jusqu’à présent. Ce qui explique en partie sa faible progression électorale.
Donc le problème n’est pas dans l’arithmétique parlementaire - ce qui peut être le cas parfois- mais dans le rapport de force social pour faire pencher la situation du bon côté.
Il est un peu inquiétant que pendant la campagne électorale et le soir même du scrutin, la question des mobilisations sociales, de la construction d’un rapport de force pour défendre les revendications sociales , écologiques, féministes... ait été absente. Car sans ce rapport de force, l’arithmétique parlementaire a peu de chance.
Par ailleurs, lorsque EH Bildu affirme dans la présentation de son programme de gouvernement pour ces élections que le point cardinal pour avancer est que chacun commence à réfléchir à la manière de faire pays. Certes si la formule travailler pour le bien-être du pays, signifie travailler pour les 99% et répondre aux besoins de la majorité sociale, alors elle fait sens. Mais le problème est que pour illustrer cette formule de campagne, il cite deux accords (l’un qui a abouti et l’autre qui n’a pas abouti) qu’EH Bildu a signés avec le PNV au cours de la dernière législature. Le premier accord concernait le système éducatif basque (compétence de la Communauté autonome) signé par la gauche nationaliste avec le PNV mais rejeté par une grande partie du secteur : il sacralisait la dualité du système éducatif (public et privé) et renvoyait l’unification du système dans le secteur public aux calendes grecques. EH Bildu ne s’est retiré de cet accord que parce que le PSE a introduit une modification concernant le droit de choisir l’enseignement en castillan si les parents le demandent.
Le second accord concerne la loi sur la transition écologique, un accord très critiqué par les secteurs écosocialistes car, malgré des aspects positifs, il s’accomode d’un verdissment du capitalisme alors qu’au Pays Basque il existe déjà des propositions rééllement alternatives.
Ces deux exemples montrent les tensions liées à cette orientation politique. Cette orientation qui cherche des accords avec des forces politiques dont le modèle de société est aux antipodes est vouée à l’échec d’autant qu’elle n’est pas en position hégémonique et qu’il n’y a pas de rapport de forces sociales.
Par conséquent, la tâche ici et maintenant serait de traduire cette impulsion électorale d’EH Bildu et la demande de changement profond qu’elle reflète en une dynamique de construction de mobilisation et d’organisation sociales ppour faire avancer les droits sociaux et démocratiques.
Josu Egireun