“La Palestine est notre boussole, et sa couronne est Jérusalem”, titre le quotidien jordanien Al-Dustour jeudi 12 octobre, en citant le “discours du trône” tenu par le roi Abdallah II, la veille, devant le Parlement jordanien. Les grands titres de tous les journaux en retiennent les affirmations de l’attachement au “camp de l’arabité”, de la fidélité aux “frères” et à la “cause juste” des Palestiniens.
Mais la monarchie jordanienne craint avant tout d’être entraînée dans le conflit. Il faut “protéger notre pays de toute évolution qui pourrait menacer notre sécurité, surtout si l’étincelle devait arriver jusqu’en Cisjordanie. Dans ce cas, il faudra employer toute notre énergie” pour en contenir les effets, écrit l’un des commentateurs du même journal.
Concrètement, le point de passage du pont Roi-Hussein, anciennement Allenby, le seul destiné aux Palestiniens entre la Jordanie et la Cisjordanie, a été fermé mardi 10 octobre par la Jordanie, selon le journal panarabe Asharq Al-Awsat. C’est donc une “punition collective” visant spécifiquement les Palestiniens, aussi bien ceux de Cisjordanie que ceux qui sont réfugiés en Jordanie, s’émeut Daoud Kuttab, journaliste palestinien.
“Appels à s’armer”
Il s’agit en effet d’une question hautement sensible pour ce pays dont près de la moitié de la population de 11 millions de personnes est d’origine palestinienne. Plus de 2 millions sont enregistrées comme réfugiés par l’office de secours onusien UNRWA, et une partie non négligeable vit toujours dans des camps de réfugiés.
Aussi la politique de désescalade prônée par le roi est-elle loin de faire l’unanimité. Non seulement “la rue vibre d’un soutien inébranlable à la cause palestinienne”, selon The Jordan Times, avec des manifestations qui ont déjà eu lieu, notamment devant l’ambassade israélienne d’Amman, et d’autres qui pourraient se tenir le 13 octobre à la sortie de la prière du vendredi.
Mais il y a également eu des “appels ouverts, y compris de la part de certains anciens responsables, à armer” la population jordanienne pour “lutter contre l’expansionnisme” israélien, indique un éditorialiste du journal Al-Ghad.
“C’est peut-être la première fois qu’il y a ce genre d’appels, alors même que l’on sait les conséquences que cela pourrait avoir.”
L’“élite politique jordanienne” serait en effet divisée sur le sujet, entre les adeptes de la prudence et d’autres plus prompts à vouloir embrayer sur les actions du Hamas, écrit Mohammed Abu Rumman, lui-même ancien ministre jordanien, sur le site qatari Al-Araby Al-Jadid.
Réaffirmer le rôle régional
Et puis il y a un troisième groupe, qui dépasse les clivages habituels, selon l’auteur, et qui estime que l’actualité offre à la Jordanie une “chance historique” de faire valoir son point de vue dans la région.
Amman avait en effet le sentiment d’être marginalisé depuis le processus de normalisation des relations israélo-arabes qui s’était concrétisé par les accords d’Abraham, signés en 2020 par les Émirats arabes unis et Bahreïn, puis par le Maroc et le Soudan, expliquait le 2 octobre l’analyste Zvi Barel dans le quotidien israélien Ha’Aretz.
Et puis, l’Arabie saoudite semblait sur le point de conclure elle aussi un accord de normalisation avec Israël. Amman craignait notamment d’y perdre son statut de gardien de l’esplanade des mosquées à Jérusalem au profit des Saoudiens.
“La Jordanie n’abandonnera pas son rôle pour sauvegarder les sites sacrés musulmans et chrétiens à Jérusalem”, a souligné le roi dans son discours, selon la une de Jordan Times.
Quant au rôle régional, un premier signe de réhabilitation est la rencontre prévue vendredi 13 octobre avec le chef de la diplomatie américaine, Anthony Blinken, arrivé la veille à Tel-Aviv, et qui devrait se rendre à Amman pour s’entretenir avec le roi Abdallah et avec le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, lui aussi en déplacement à Amman.
Courrier International
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