Actuellement, l’ensemble des syndicats en Europe débattent entre deux orientations opposées. L’une met en avant un pacifisme général, ne distingue pas fondamentalement les agresseurs des agressés et ne considère les Ukrainiens que comme les victimes plutôt que comme l’acteur collectif de leur destin. Cette tendance est généralement hostile aux sanctions contre le régime de Poutine et elle fait pression pour arrêter l’envoi d’armes en Ukraine. Elle défend une politique de non-intervention similaire à celle de la France et de la Grande-Bretagne pendant la guerre d’Espagne. L’autre tendance soutient toutes les formes de résistance, armée et non armée, du peuple ukrainien, elle appuie les organisations syndicales d’Ukraine et elle est solidaire des mouvements anti-guerre en Russie et en Biélorussie.
La fédération syndicale britannique PCS a décidé de définir sa politique en la soumettant à un débat démocratique au cours de sa conférence annuelle. Ce débat a permis aux délégués de discuter amplement des deux orientations et d’adopter une position pour leur syndicat.
Le 25 mai, la Conférence de la fédération des services publics PCS a examiné trois motions différentes sur l’Ukraine. Deux allaient dans le sens d’une solidarité complète et cohérente. La troisième entendait condamner le rôle de l’OTAN dans ce conflit. Cette dernière position était soutenue par des organisations de gauche qui considèrent la guerre d’une point de vue purement géopolitique comme une guerre entre l’OTAN et la Russie. Dans cette perspective, la décision le peuple d’Ukraine de défendre la démocratie, l’indépendance et l’intégrité de son territoire est marginale et il doit se résigner à subir les coûts d’une politique de « non-intervention ».
Voici comment le site de la fédération PCS décrit le débat :
Trois motions - A225, A10 et A227 - ont été débattues tout au long de l’après-midi du 24 mai. Les motions A225 et A10 demandaient un soutien sans équivoque au peuple ukrainien. Elles ont été adoptées à une écrasante majorité. La motion A227, qui décrivait le conflit comme un « conflit par procuration » entre l’OTAN et la Russie, a été rejetée.
La première motion, qui demandait de faire campagne pour des mesures visant à accélérer le retrait de la Russie, l’accès sans restriction au Royaume-Uni pour les réfugiés ukrainiens et l’effacement des dettes de l’Ukraine, a été présentée par John Moloney du NEC (Comité Exécutif National du PSC).
Il a déclaré : « Nous soutenons le droit de l’Ukraine à déterminer ses objectifs de guerre, ses demandes de paix et c’est à elle seule de prendre cette décision, pas aux puissances occidentales, ni aux Etats-Unis, ni au Royaume-Uni. »
Fiona, de la branche SG West and Central Scotland, a présenté la deuxième motion, qui fait écho à la solidarité avec l’Ukraine et soutient les sanctions contre la Russie et les actions visant à contrer la désinformation au sein du syndicat.
Peter, de la branche Birmingham South DWP, a présenté la troisième motion, qui appelle à s’opposer à l’implication de l’OTAN dans la guerre.
Il a déclaré : “Nous devons dire que notre gouvernement et les forces de l’OTAN ont leur propre campagne ici et nous ne pouvons pas simplement l’ignorer et prendre parti dans cette bataille.”
Le secrétaire général du PCS, Mark Serwotka, s’est joint au débat. Il a déclaré : “Il y a un temps pour discuter du rôle de l’OTAN et de l’adhésion du Royaume-Uni à cette organisation, mais le peuple ukrainien est occupé, assassiné et assiégé et nous, en tant que syndicat, devrions envoyer un message clair et sans équivoque de solidarité avec lui.”
Les deux premières motions demandaient également que davantage soit fait pour aider les personnes fuyant l’Ukraine et leur donner un accès illimité au Royaume-Uni.
Mohammed Shafiq, du NEC, a souligné le « deux poids deux mesures » dans la façon dont étaient traités les réfugiés ukrainiens blancs et les étudiants noirs fuyant également la zone de guerre.
Les deux premières motions ont été adoptées à une écrasante majorité. La troisième a été rejetée.
Voici le texte de la motion A225 tel qu’il a été adopté :
La Conférence déclare sa solidarité avec le peuple ukrainien et demande le retrait immédiat des forces militaires russes.
La Conférence condamne les crimes de guerre contre les civils commis par les forces russes à Bucha et ailleurs.
La Conférence soutient le droit du peuple ukrainien à se battre pour libérer son pays, et estime qu’il est dans l’intérêt de la paix mondiale que l’armée russe soit contrainte de se retirer.
La Conférence s’oppose à l’implication de puissances concurrentes en Ukraine. La Conférence note que dans un discours prononcé le 27 avril, la ministre des Affaires étrangères, Liz Truss, a déclaré une nouvelle politique britannique visant à forcer les forces russes à quitter l’ensemble du territoire ukrainien, y compris la région de Donbas dans l’est de l’Ukraine et la Crimée. Nous prenons également note du discours prononcé par le président américain Joe Biden le 26 mars, qui a appelé à la destitution de Poutine.
La Conférence condamne ces nouvelles positions comme une escalade des interventions des gouvernements britannique et américain. Nous croyons que le peuple ukrainien a le droit à l’autodétermination et que seule l’Ukraine devrait décider des objectifs de sa résistance à l’invasion russe.
La Conférence charge le NEC (comité national exécutif) de :
1. Faire campagne au sein du mouvement syndical et par le biais de notre groupe parlementaire pour des mesures qui accéléreraient le retrait des forces militaires russes d’Ukraine, et pour le droit du peuple ukrainien à déterminer seul son avenir.
2. Soutenir les campagnes et les manifestations qui appellent à la paix et à la fin de l’action militaire de la Russie.
3. Faire campagne pour que les réfugiés ukrainiens aient un accès illimité au Royaume-Uni.
La conférence a décidé d’adhérer à la campagne de solidarité avec l’Ukraine (USC) qui fait partie du réseau européen de solidarité avec l’Ukraine. C’est la troisième fédération syndicale britannique à prendre cette décision après la NUM (mineurs) et l’ASLEF (chemins de fer).
Pendant la conférence, une réunion parallèle (margin meeting) a été organisée par la Campagne de Solidarité avec l’Ukraine à laquelle ont participé Mark Serwotka, secrétaire général du PCS, Yuliya Yurchenko de Sotsialny Rukh, John McDonnell, député, et Christopher Ford de l’USC.
Un message de solidarité d’Olesia Briazgunova, secrétaire internationale de la Confédération des syndicats libres, a été lu au cours de cette réunion :
Chers frères et sœurs,
Au nom des membres de la Confédération des syndicats libres d’Ukraine (KVPU), je tiens à exprimer ma gratitude à la fédération PCS et à ses membres pour leur soutien et leur solidarité. Pendant que vous tenez cette conférence, les membres de la KVPU travaillent sous des missiles ou se cachent dans des sous-sols en raison des frappes aériennes des forces russes. Nos courageux travailleurs médicaux sauvent la vie de civils et de militaires. Nos travailleurs du transport assurent le transport de l’aide humanitaire et l’évacuation des personnes des zones de guerre. Actuellement, les membres du KVPU sont en première ligne car ils servent dans les forces armées ukrainiennes. Ces hommes et ces femmes ont quitté leur travail, leur maison et leur vie paisible et défendent maintenant leur patrie contre les occupants russes. Parallèlement, la KVPU et ses organisations affiliées apportent leur aide aux civils, aux personnes déplacées et aux militaires. Nos dirigeants et nos membres se rendent dans les villes et villages touchés par la guerre pour apporter de l’aide et évacuer les personnes. Nous utilisons toutes nos ressources syndicales pour aider les gens et ramener la paix en Ukraine. Cependant, nous avons besoin de votre aide dans ce combat pour notre indépendance, notre liberté et notre vie. Nous avons besoin de votre aide pour ramener la paix en Ukraine et en Europe. L’Ukraine a besoin d’assistance, d’aide financière, humanitaire et militaire pour combattre le sombre régime russe, pour aider les gens et pour reconstruire les villes et l’économie détruites. Nous appelons à soutenir des sanctions fortes contre la Russie pour arrêter cette horrible guerre. Nous appelons toutes les sociétés démocratiques à s’unir et à agir pour que plus jamais il n’y ait d’atrocités, de destruction, de génocide et de guerre horrible. Nous croyons au pouvoir de la solidarité ! Nous croyons en la victoire de l’Ukraine !
Merci encore pour votre soutien et votre solidarité !
Laurent Vogel
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