A*CR : Le conflit a commencé l’année dernière et les postiers ont fait grève plusieurs jours. Pouvez-vous rappeler à nos lecteurs l’objet du conflit ?
J : L’année dernière, Royal Mail [Royal Mail était un service public jusqu’en octobre 2013, à cette date le gouvernement l’a fait entrer en bourse et s’est défait des actions en deux étapes, c’est donc une entreprise privée] a refusé des augmentations de salaire en reliée à l’inflation, ce qui a abouti en réalité à une baisse de salaire. On ne nous a proposé que 2%.
Nous avons eu droit à un deuxième tour de scrutin [un premier vote, en juillet 2022, a porté sur le salaire, un deuxième en août a inclus le thème de l’emploi : 98,7% ont voté oui pour enclencher des journées de grève, la participation a été de 72,2%] parce que Simon Thompson [PDG de Royal Mail depuis janvier 2021] et les dirigeants de Royal Mail ont alors révélé leurs véritables projets, qui consistaient à dégrader nos conditions de travail, à procéder à des massives suppressions d’emplois (y compris des licenciements collectifs) et à embaucher une main-d’œuvre indépendante avec un autre régime. Leur objectif était de briser le CWU (Communication Workers Union) une fois pour toutes et de mettre fin à Royal Mail en tant que service, en le transformant en une simple entreprise de livraison.
A*CR : D’autres syndicats ont entamé des actions de grève au même moment pour des questions similaires, en particulier les augmentations de salaire pour compenser le coût de la vie. Comment cela a-t-il influencé la motivation des membres du CWU et la stratégie du syndicat ?
J : Il est évident que le fait que d’autres syndicats se battent en même temps que nous a permis de créer un sentiment d’unité parmi les salarié·e·s. Malheureusement, malgré les déclarations occasionnelles émanant des dirigeants syndicaux au sujet d’une action unitaire et de quelques journées d’action communes, il n’y a pas eu de véritables tentatives pour coordonner l’action au-delà de cela. Le CWU, bien qu’il ait créé « Enough is Enough » en tant que mouvement de solidarité et de lutte contre la hausse du coût de la vie, a prévu une journée de grève commune le 1er octobre de l’année dernière. Mais elle a été immédiatement abandonnée. La bureaucratie syndicale craint de perdre le contrôle des conflits en cas d’action commune.
A*CR : Plus de 400 militants du CWU ont été suspendus pendant la grève. Il semble que la direction s’inquiète de la force du syndicat au niveau local. Pouvez-vous nous donner quelques exemples et nous dire ce que fait le syndicat pour défendre ces membres et obtenir leur réintégration ?
J : La majorité des accusations contre les représentants syndicaux étaient incroyablement faibles, des reproches mal fagotés. Il s’agit d’une tentative transparente d’attaque contre le syndicat sur le lieu de travail en expulsant les représentants syndicaux et les grévistes.
La réaction de la direction du syndicat aux suspensions et aux licenciements de représentants et de militants a été décevante et faible. Ils ont refusé d’intensifier les actions de riposte ou d’ajouter la réintégration des syndicalistes victimes aux revendications du syndicat. Ils ont même empêché les bureaux locaux de voter pour une action de grève contre la répression.
A*CR : La dernière offre des employeurs comprend une augmentation de salaire de 10% sur trois ans. Il s’agit en fait d’une réduction de salaire. Quelles sont les autres offres et qu’en pensent les membres du syndicat ?
J : L’accord proposé révèle un recul de Royal Mail sur certains points, comme les licenciements collectifs imposés, mais l’accord fait des concessions à presque toutes les revendications de Royal Mail. Il s’agit d’une dégradation considérable des salaires, des conditions de travail et du volume de travail. L’accord ne garantit pas la sécurité de l’emploi. Il compromet également la capacité du syndicat à se défendre à l’avenir.
L’accord accepte les 2% dérisoires d’« augmentation » de l’année dernière, que les travailleurs ont déjà reçus de toute façon, accorde 6% cette année 2023 et 2% supplémentaires l’année prochaine, ainsi qu’une somme forfaitaire unique de 500 livres sterling. Au total, compte tenu de la flambée des prix, cela équivaut à une baisse de salaire de plus de 10% en termes réels. Les promesses d’attribuer 20% des bénéfices aux salarié·e·s et les programmes visant à « motiver » les travailleurs et travailleuses en les rémunérant pour les colis supplémentaires livrés reposent sur l’augmentation de notre charge de travail.
Cela entraînerait également plus d’heures de travail, en particulier pendant la période de Noël, et accroîtrait le travail physique en extérieur.
Alors que les patrons de Royal Mail se sont versés plus d’un demi-milliard de livres en dividendes, primes et actions l’année dernière, avant d’affirmer que l’entreprise perdait un million de livres par jour, l’accord exige que les travailleurs paient pour « redresser la situation de l’entreprise ».
A*CR : Les patrons de Royal Mail ont menacé de liquider l’entreprise si l’accord n’était pas accepté. Cela ressemble à une menace visant à effrayer les membres du CWU pour qu’ils acceptent un accord pourri. Est-ce l’une des raisons pour lesquelles l’exécutif du syndicat recommande l’acceptation de l’accord lors du vote [qui doit se dérouler du 25 mai au 14 juin] ?
J : En partie. La bureaucratie syndicale agira toujours pour garantir ses propres intérêts. Bien sûr, aussi bien la bureaucratie que les simples travailleurs et travailleuses ont intérêt à ce que le syndicat survive, mais la bureaucratie sera toujours plus disposée à accepter un compromis qui, bien que très préjudiciable pour les membres, garantit au moins le maintien du syndicat sous une forme ou une autre, en particulier son lien avec la base par l’intermédiaire des représentants sur le lieu de travail. La direction du CWU semble avoir accepté l’idée que l’entreprise et la main-d’œuvre seront transformées et que les salaires ainsi que les conditions de travail seront moins bons. Mais elle craint qu’une guerre totale entre le syndicat et les patrons n’aboutisse à la faillite de Royal Mail et à sa reprise par les Tories, qui imposeraient des coupes sombres. Nous devons lutter contre ce chantage, et non y céder.
A*CR : Le scrutin sera ouvert dès le 25 mai. Vous, ainsi que d’autres membres du CWU, vous opposez à l’accord. Comment vous organisez-vous pour remporter le vote ?
J. : Un groupe de délégué·e·s et de militant·e·s a lancé une campagne intitulée « Postal Workers Say Vote No ».
Elle vise à mettre en place un réseau de militant·e·s au sein du CWU pour faire campagne contre l’accord. Il y a différents représentants qui ont des références politiques différentes, ou qui n’en ont pas dans la plupart des cas. Je pense qu’il y a là un potentiel pour que se développe un mouvement de base au sein du syndicat, à condition qu’il parvienne à s’enraciner largement.
Nous prévoyons de faire campagne en contactant des syndicalistes du CWU partageant les mêmes idées et des travailleurs directement dans les dépôts et les bureaux de livraison, ainsi qu’en diffusant autant d’informations que possible sur la véritable nature de l’accord et en contrant les inexactitudes répandues par la direction du syndicat et les mensonges colportés par Royal Mail. Les délégué·e·s et les travailleurs et travailleuses peuvent contacter leurs sections locales pour exiger qu’une assemblée des membres se prononce sur chaque proposition concernant le refus ou l’acceptation de l’accord. Cela afin que nous puissions construire un mouvement aussi large que possible.
A*CR : Selon vous, quelle pourrait être la stratégie à adopter permettant de repousser les attaques de Royal Mail et de gagner ?
J. : Si l’accord est rejeté, nous devrons adopter une nouvelle approche de la grève. Cette démarche doit être rendue possible par le renforcement de l’organisation sur le lieu de travail, la mise en place de comités de grève dans chaque bureau et chaque dépôt, et de comités de base capables de pousser à l’action maximale, avec ou sans les dirigeants syndicaux. La nature limitée des grèves jusqu’à présent et la suspension de l’action lorsqu’un accord est proposé par Royal Mail ont sapé l’élan et le militantisme. Pour gagner, nous devons intensifier l’activité et maintenir la pression. Il est peu probable que les dirigeants syndicaux y parviennent, c’est pourquoi les membres doivent prendre les choses en main.
A*CR : Royal Mail et Parcel Force [service de messagerie et de logistique créé en 1990, comme branche de Royal Mail avant d’en être séparé] sont des entreprises privées distinctes depuis 2013. Il semble que la direction veuille les transformer complètement en sociétés comme les autres sociétés de livraison privées. Quel devrait être l’avenir du service de la poste et des colis ? Et que disent les syndicats à propos de ce conflit et de l’avenir ?
J. : La revendication évidente, qui aurait dû être soulevée dès le début et que la direction du CWU s’est efforcée d’exclure, est la renationalisation complète de Royal Mail. La raison pour laquelle les dirigeants du syndicat n’ont pas soulevé cette revendication est qu’ils ont accepté la privatisation il y a longtemps et qu’ils veulent conclure un accord avec la direction, et non pas ajouter un domaine de lutte supplémentaire. Ils attendent qu’un gouvernement travailliste nous donne un coup de pouce, même si Keir Starmer s’est battu bec et ongles pour se démarquer du radicalisme des années Jeremy Corbyn [de septembre 2015 à avril 2020].
En tant que socialiste, je pense que le simple fait de ramener Royal Mail dans le giron public n’est pas suffisant pour nous. Les travailleurs postaux sont tout à fait capables d’organiser le service postal sans que des parasites comme Simon Thompson, ou des fonctionnaires issus du Eton College, ou d’ailleurs, ne nous disent quoi faire. La nationalisation sous le contrôle des travailleurs et des consommateurs, avec un réseau de bureaux et de dépôts gérés démocratiquement par les travailleurs et travailleuse eux-mêmes au profit de tous les salarié·e·s, devrait être l’objectif ultime.