« Il nous faut inventer une nouvelle forme d’exercice du pouvoir politique à l’aune de cette situation nouvelle de domination/dilution du pouvoir économique au niveau planétaire »... « La réponse est déjà dans les multiples contre-pouvoirs de la société civile. Ne rien faire seul. Construire des contre-pouvoirs de la société à l’échelle des villages, du syndicat, de l’association, des régions, de l’Europe »... « RE-ANCRER LA POLITIQUE DANS LE REEL »...
Avant de parler de réforme du Parti socialiste et de la Gauche en général, il serait utile de réfléchir sur les causes qui ont fait se creuser un fossé entre la politique, les institutions politiques et les citoyen-nes. Selon les experts autoproclamés de la politique, il faudrait être plus « social démocrate » que « socialiste » pour gagner les élections, c’est à dire être un parti de gauche plus à droite pour séduire nos concitoyens de plus en plus en demande d’ordre et de chef ; ou au contraire être un parti socialiste réaffirmé pour revigorer et rassembler un électorat dispersé, faire flotter bien haut le drapeau rose. Mais surtout demeurer un parti de conquête du pouvoir. Ce débat me semble largement dépassé par la réalité parce que nous vivons en pleine globalisation du monde, fait qui change radicalement l’action politique nationale et les partis qui traditionnellement l’animent.
Le bon modèle
Ce modèle du parti – peu importe son discours - participe d’une vision obsolète de la politique. Pendant près d’un siècle et demi – de la révolution de 1848 à la fin des années 70 -, les militants et partis politiques ont prétendu « avoir un bon modèle pour changer le monde, prendre le pouvoir et appliquer le modèle ». Cette hypothèse historique centrale a buté sur la complexité et s’est définitivement effondrée avec l’échec des guérillas latino-américaines puis la chute du Mur de Berlin en 1989. Cette promesse d’un modèle qui changerait radicalement la vie et les rapports de pouvoir est soudainement apparue dépassée pour tout le monde. Pourtant cette hypothèse avait été maintes fois radicalement critiquée, notamment par Jean-Paul Sartre dans L’Engrenage. La nouveauté de la fin des années 70 c’est que cette idée de l’impossibilité de changer le monde par la prise du pouvoir central, a pris corps dans le peuple. Le pouvoir est un lieu qu’on occupe en voulant tout changer, mais on ne peut pas organiser la complexité du monde à partir du pouvoir. Cette complexité ne peut s’orienter qu’à la base, sinon on établit une dictature.
Un long deuil canaille
Les années canaille 80-90 sont celles d’un deuil, où l’on a assisté à de tristes surenchères de repentir, de retournement de veste. La chute du Mur a vu massivement l’intelligentsia soit se rallier à la seule loi du marché pour organiser les rapports humains, soit avancer la complexité du monde comme excuse théorique à son incapacité à penser l’avenir. Certains cultivaient en silence leur culpabilité d’avoir été marxistes, d’autres du passé faisaient table rase pour devenir communicants, conseillers politiques, boursicoteurs. L’exploitation de l’homme par l’homme, ne pouvait pas être vaincue, il fallait s’y plier. Les intellectuels européens plaidaient coupables d’avoir osé et voulu penser le bonheur à portée de politique. Pour la grande masse des gens ce furent dix années de dépression des possibles. Et le terreau de la désaffection politique.
Regain
Ce deuil prend fin symboliquement en 1994, au Mexique, avec l’insurrection zapatiste, en France avec les grandes grèves de 1995, en Italie, où deux millions de personnes descendent dans la rue après l’assassinat de l’économiste Marco Biagi. Puis les mouvements altermondialistes ont réveillé les projets d’avenir, restauré la dimension collective. Leurs contre-sommets lors des réunions des institutions internationales, les mouvements de Sans-papier, Sans-logement etc … ont plus changé la globalisation que les gouvernements. En peu de temps et à l’échelle planétaire, des mouvements importants mettent en lumière les problèmes de fond que les politiciens ne posent pas et certaines de ces initiatives apportent des réponses concrètes (victoire sur les médicaments génériques, remise en cause des OGM, mise en échec des négociations de l’OMC, mise en échec de l’AMI en Europe). Bref, se sont les pratiques sociales qui s’invitent sur l’agenda politique.
Gouvernement et pouvoir
Il y a une différence fondamentale entre gouvernement et pouvoir. Depuis la chute du Mur, et de ce qu’il est convenu d’appeler la mondialisation économique et financière qui en a découlé, le gouvernement n’est pas le lieu de transformation de la réalité. Quel est le pouvoir d’un gouvernement national aujourd’hui ? A-t-il le pouvoir sur la régulation de l’économie ? Non ! Sur la régulation des jeux boursiers qui peuvent déstabiliser sa monnaie ? Non ! Un gouvernement a-t-il entre les mains les leviers qui lui permettent de répondre à la demande de ses ressortissants sur l’organisation, sur la distribution du travail ? Non ! Un gouvernement peut-il préserver la qualité de la nourriture mise à disposition des citoyens ? Non, on le voit avec la multiplication des alertes sur les pesticides, les importations d’Ogm, de viandes hormonées etc ... Même au niveau local, un maire ne peut pas appliquer sur le territoire de sa commune la décision majoritaire de ses mandants de refuser les OGM ! On peut multiplier les exemples de la perte de pouvoir du politique, c’est-à-dire l’impossibilité pour un élu de mettre en œuvre les désirs des citoyens qu’ils l’ont porté au pouvoir. Alors que reste-t-il comme pouvoir au gouvernement d’un pays d’Europe aujourd’hui ? Il ne lui reste que le pouvoir de police et de guerre, le pouvoir d’encadrement de la société dans les règles (et non des lois) de plus en plus supranationales. La Justice rendue selon « l’esprit des lois » en démocratie, doit de plus en plus se rendre en fonction de règles internationales, qui elles sont sans possibilité d’appel… Mais les politiciens confondent toujours et encore « arriver au gouvernement » et « arriver au pouvoir ». Celles et ceux qui ont la lucidité de leur situation n’ont pas le courage de dire qu’ils ne peuvent quasiment rien faire du lieu du pouvoir. Le tableau ne serait être complet sans la perversion des élu-es qui confondent le pouvoir de représentation du peuple avec le pouvoir de lui dicter des choix de société sortis des fiches d’experts, en particulier économiques, jamais soumis ni à débat ni à évaluation. D’où les blocages, les mouvements sociaux, les actions de désobéissance civique à cause de l’autisme des élu-e-s, à cause des blocages des canaux de transmissions avec le personnel politique. D’où le nombre d’électeurs qui, se sentant trompés, errent d’un candidat à l’autre.
Etat et gouvernement
L’Etat ne se réduit pas au pouvoir des élus. L’Etat c’est la régulation de la société, la répartition des ressources, qui assure le droit aux services de santé, à l’éducation, à la culture. C’est la préservation des ressources naturelles, leur inscription comme biens communs. L’Etat, c’est le tiers symbolique sans lequel il ne peut y avoir de Justice. L’Etat représente l’asymétrie. Sans asymétrie, c’est la porte ouverte à la barbarie. L’asymétrie c’est « au nom de la loi » face au « au nom de ma jouissance ». Les lois changent mais cette asymétrie perdure. En Europe, la démocratie s’est construite sous la forme d’état-nation. Cette forme est dépassée depuis la Chute du Mur et la globalisation, depuis la montée en puissance d’une Organisation Mondiale du Commerce (OMC) au pouvoir de dérégulation supérieur au pouvoir de régulation des états-nation. Quelle est la nature de l’état dans un monde globalisé ?
Consensus
Le printemps électoral de François Bayrou et du Centre exprime deux choses. D’une part la lassitude des électeurs-trices à l’égard de la Ve République, un besoin de dépasser le bipartisme qu’elle a engendré. D’autre part l’aspiration à s’entendre sur l’intérêt collectif, sur le bien commun, sur le vivre ensemble. Une reconnaissance de l’Autre. Une conscience de la transversalité nécessaire pour penser la société, sur fond de péril écologique et social. Cette aspiration n’a pas trouvé d’autre expression rassemblée que dans le vote Bayrou. Il ne faudrait pas la confondre avec un glissement droitier de l’électorat. La dimension transversale, l’aspiration au consensus n’est pas soluble dans un parti. Le consensus est la société. Ce faisant, le consensus ne peut-être d’abord que celui des contre-pouvoirs de la société civile, et sur les plus hauts dénominateurs communs. Et non pas le nivellement par le bas ventre mou social-démocrate bleu ciel ou rose bonbon.
Repenser la politique
Les citoyen-nes acceptaient des élus politiques un discours dirigiste tant qu’ils étaient capables de réaliser au moins une partie de leur promesse. La Ve république faisait alors du Président un monarque éclairé. Et la République vantait son élitisme. Les temps ont changé. Mon propos n’est pas de plaider pour la restauration de l’Etat-nation mais de faire comprendre qu’il nous faut inventer une nouvelle forme d’exercice du pouvoir politique à l’aune de cette situation nouvelle de domination/dilution du pouvoir économique au niveau planétaire. Repenser la politique c’est donc, à la base, penser le « national » dans le cadre mondial. Il n’y a plus de « politique étrangère » quand les frontières sont abolies par la Bourse et le Commerce. Quelle est alors la bonne taille géopolitique pour résister à la révolution conservatrice mondiale qui déferle avec à sa tête le pays le plus puissant du monde et l’armée la plus puissante ? C’est une situation inédite dans l’histoire. La réponse est devant nous, pas dans les vieilles recettes libérales du XIXe siècle. Quant à l’alerte écologique générale, elle nous oblige à repenser le mode de vie et la relation au territoire, ce qui modifie aussi la politique. Quels outils, quelles instances devons nous créer pour reconquérir du pouvoir sur nos vies et par là refonder la politique ? Pour partie, la réponse est déjà dans les multiples contre-pouvoirs de la société civile. Ne rien faire seul. Construire des contre-pouvoirs de la société civile à l’échelle des villages, du syndicat, de l’association, des régions, de l’Europe. Ce qui n’empêche pas d’exiger une réforme démocratique de l’OMC.
Les élus retrouveront une légitimité en s’appuyant sur la mobilisation des citoyen-nes. Le jeu pouvoir de représentation/contre-pouvoir des intérêts collectifs sur des sujets précis peut permettre de ré-ancrer la politique dans le réel à condition que le personnel politique écoute ce qui se dit plutôt que de prêcher ce qu’il faut faire. Personne n’attend plus Godot. Il nous faut penser l’universel concret, ce n’est pas le moindre défi.