« Il est déplorable que le monde ait abandonné l’Afghanistan à un groupe fondamentaliste tel que les Taliban, dont le bilan catastrophique en matière de droits humains est fort bien documenté - en particulier, lorsqu’ils sont au pouvoir, leur pratique de l’apartheid de genre, leur utilisation de punitions cruelles et leur destruction systématique de l’héritage culturel », a déclaré Karima Bennoune, Rapporteure Spéciale auprès des Nations Unies en matière de droits culturels.
« Protéger les vies et les droits des Afghans doit être la plus haute priorité. Il faut aussi faire des efforts pour garantir la mise en sécurité de toutes les formes de culture et d’héritage culturel qui sont essentiels à la jouissance de ces droits, et de protéger ceux et celles qui sont en première ligne pour les défendre ».
« Tous les gouvernements et la communauté internationale doivent agir d’urgence, aujourd’hui, pour prévenir un massif désastre humanitaire et culturel en Afghanistan ».
Elle a déclaré que la priorité immédiate est d’ouvrir l’aéroport de Kaboul à l’aviation civile et de garantir le passage sécurisé des personnes à risque. L’expert a demandé avec insistance que les Etats leur fournissent des visas.
Bennoune a imploré les institutions culturelles et éducationnelles partout dans le monde de fournir des invitations aux artistes afghans, aux travailleurs culturels et étudiants, en particulier aux femmes et aux membres des minorités, de façon à leur permettre de continuer leur travail dans la sécurité. Elle a rappelé aux 171 Etats-parties signataires de la Convention Internationale sur les Droits Economiques, Sociaux et Culturels l’importance de la coopération internationale dans la protection des droits culturels.
“Les droits humains, y compris la non-discrimination, doivent être au centre de toute prise de décision concernant l’Afghanistan en ce moment critique« , a dit Bennoune. »Il ne suffit pas que les gouvernements étrangers assurent la sécurité de leurs propres ressortissants. Ils ont l’obligation légale et morale d’agir pour protéger les droits des Afghans, y compris le droit d’accès à l’éducation et au travail, sans discrimination, ainsi que le droit pour chacun de participer à la vie culturelle".
La Rapporteure Spéciale a déclaré qu’elle était gravement inquiète devant les rapports qui parviennent au sujet des violations des droits par les Taliban, notamment des attaques contre les minorités, le kidnapping d’une femme défenseure des droits humains, l’assassinat d’un artiste et l’exclusion des femmes de l’emploi et de l’éducation. Toutes les tentatives pour justifier de tels abus au nom de la culture afghane doivent être fermement repoussées et dénoncées, a-t-elle dit.
Bennoune a rappelé que les propres officiels culturels des Taliban en 2001 avaient attaqué non seulement les Bouddhas de Bamiyan mais aussi le musée national du pays, détruisant par milliers les pièces les plus importantes, ainsi que bannissant de nombreuses pratiques culturelles, comme la musique.
« Les défenseurs afghans des droits culturels ont depuis travaillé sans relâche et à grands risques pour eux-mêmes, pour reconstruire et protéger cet héritage, ainsi que pour créer une nouvelle culture. Les cultures afghanes sont riches, dynamiques et syncrétiques, et elles sont totalement opposées à la terrible vision du monde des Taliban », a-t-elle dit.
« Les gouvernements qui s’imaginent pouvoir vivre avec la ‘Pax Talibana’ vont découvrir que c’est une grave erreur qui détruit les vies, les droits et les cultures afghanes, et qui vide de tout contenu les avancées importantes qui ont été faites dans la culture et l’éducation au cours de ces deux dernières décennies avec le soutien international et au travers d’efforts locaux incommensurables ».
Bennoune a déclaré que non seulement une telle politique fera un tort énorme aux Afghans, mais qu’elle fera également reculer la lutte contre le fondamentalisme et l’extrémisme et leurs effets néfastes sur les cultures partout dans le monde, menaçant ainsi les droits et la sécurité de tous.
Karima Bennoune
Genève, 17 août 2021
Karima Bennoune a été nommée rapporteuse spéciale des Nations unies dans le domaine des droits culturels en octobre 2015. Mme Bennoune a grandi en Algérie et aux États-Unis. Elle est professeur de droit et Martin Luther King, Jr. Hall Research Scholar à la faculté de droit de l’Université de Californie-Davis, où elle enseigne les droits de l’homme et le droit international.
Cette déclaration est approuvée par : Fionnuala Ní Aoláin, Rapporteuse spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans la lutte contre le terrorisme ; Mary Lawlor, Rapporteuse spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme ; Irene Khan, Rapporteuse spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression ; Ahmed Shaheed, Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction ; Melissa Upreti (Présidente), Dorothy Estrada-Tanck (Vice-présidente), Elizabeth Broderick, Ivana Radačić, et Meskerem Geset Techane, Groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles ; Tomoya Obokata, Rapporteur spécial sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs conséquences ; et Cecilia Jimenez-Damary, Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays.