Mortaza Behboudi est enfin libre. Après neuf mois dans les geôles des fondamentalistes talibans, notre cher ami et confrère, a recouvré la liberté mercredi 18 octobre. Il a quitté ce jour la prison de Pul-e-Charkhi, à Kaboul, peu après l’audience de la cour criminelle où les juges ont prononcé son acquittement de toutes infractions, incluant l’espionnage, le « soutien illégal à des étrangers » et l’aide au franchissement de frontières vers l’étranger. La cour a alors annoncé sa décision de libérer Mortaza Behboudi.
Neuf mois qu’il attend ce jour, que sa famille, son épouse, que nous, ses collègues, amis, attendons ce jour.
Mortaza Behboudi revient de l’enfer, des geôles d’un des pires régimes au monde. Il a été emprisonné par les talibans parce qu’il est journaliste, parce qu’il documente la violations des droits humains, l’oppression des femmes, parce qu’il refuse que l’Afghanistan, son pays natal, devienne un trou noir de l’information. Il symbolise la liberté de la presse et il nous rappelle combien celle-ci est menacée à travers le monde et combien nous devons nous battre pour la sauvegarder.
Mortaza Behboudi à Lorient le 16 octobre 2020. © Yves-Marie Quemener / Ouest-France via MAXPPP
Depuis neuf mois, nous nous battons pour sa libération aux côtés de sa femme Aleksandra Mostovoja, de la journaliste Solène Chalvon-Fioriti et d’Antoine Bernard de l’ONG Reporters sans frontières autour d’un comité de soutien qui a fédéré des milliers de personnes.
« Avec la libération de Mortaza, la lumière est revenue dans mon monde et la vie peut désormais recommencer, a réagi son épouse, Aleksandra Mostovaja. Je suis reconnaissante pour tout le soutien reçu, pour avoir pu voir comment la personnalité de Mortaza a brillé même dans les moments les plus sombres. Personne ne devrait subir de détention arbitraire ni la douleur de ne pas savoir ce qu’il est advenu d’un être cher. Je le répète : le journalisme n’est pas un crime. »
L’ONG Reporters sans frontières a salué l’heureuse nouvelle par la voix de son secrétaire général Christophe Deloire : « C’est un immense soulagement pour son épouse Alexandra, pour ses amis et ses collègues, et pour tous les défenseurs de la liberté de la presse. C’est la fin d’une épreuve douloureuse et d’une inquiétude permanente pendant plus de neuf mois ».
Arrêté le 7 janvier 2023 en Afghanistan, deux jours après son arrivée à Kaboul, alors qu’il effectuait les démarches pour obtenir une accréditation, sans laquelle aucun journaliste ne peut exercer son métier en Afghanistan, Mortaza Behboudi a été détenu de longs mois dans une prison de la Direction générale du renseignement (GDI) des talibans où il a subi de multiples abus, dont la torture, avant d’être transféré cet été dans la prison de droit commun de Pul-e-Sharki.
Enfant de l’exil (ses parents ont dû se réfugier en Iran avec son frère et lui alors qu’il était âgé de 2 ans), il a commencé sa carrière comme photoreporter en immortalisant le soulèvement iranien de 2009. Il a 15 ans. En 2012, il rallie son pays natal, l’Afghanistan, où il étudie et se passionne pour le journalisme.
Mais à partir de 2015 – « les talibans et l’État islamique ont créé des “trous noirs” d’information dans tout le pays » – il doit fuir Kaboul. Après un parcours migratoire éprouvant où il endure la rue, les soupes populaires, le racisme, il trouve refuge à la Maison des journalistes, en France. Il obtient le statut de réfugié puis la nationalité française.
Cofondateur du média Guiti News qui défend la cause des exilés, Mortaza Behboudi n’a jamais arrêté le journalisme. Depuis le retour des talibans à la tête du pays en août 2021, il a effectué de nombreux reportages en Afghanistan (ici son premier publié par Mediapart – Survivre sous le régime des talibans, le 21 août).
Il a ensuite accompagné des équipes de reportages de France Télévisions, Arte, TV5 Monde ou « Quotidien ». Pour Mediapart, il a co-réalisé avec Rachida El Azzouzi une série de grands reportages (« À travers l’Afghanistan sous les talibans », récompensé en 2022 par le prix Bayeux des correspondants de guerre et le prix Varenne de la presse quotidienne nationale). Ensemble, Mortaza et Rachida ont également réalisé en janvier 2022 le documentaire « Ils ne nous effaceront pas. Le combat des femmes afghanes ».
La rédaction de Mediapart
ESSF s’associe au soulagement de la rédaction de Mediapart, suite à la libération (enfin !) de Mortaza Behboudi dont nous avons pu apprécier la qualité des reportages.