Le syndicalisme était plutôt en retrait du premier tour de l’élection présidentielle, alors que « le social » était au cœur de la confrontation. Il y a à cela des raisons stratégiques et d’autres motifs, liés à une confusion générale sur le rapport aux questions politiques, depuis les années 1980-1990. Au deuxième tour, aucune dynamique syndicale globale et convergente n’apparaît non plus, ce qui est très inquiétant au cas où Sarkozy l’emporte.
Pour la CFDT par exemple, il n’est plus question de « diaboliser la droite », choix stratégique fondamental. François Chérèque explique : « La CFDT ne veut pas entrer dans une démarche de mobilisation contre tel ou tel candidat. » Et il se félicite que les deux candidats « reconnaissent l’économie de marché » (Les Echos du 27 avril). Avec Sarkozy comme avec Royal, la CFDT veut avant tout faire reconnaître sa fonction d’intermédiaire dans la régulation du libéralisme. Pour FO, c’est la neutralité bien traditionnelle qui prévaut : pas d’avis, pas de consigne ! Donc, pas d’unité non plus au 1er Mai, sauf localement.
CGT, FSU et Solidaires ne sont pas sur ces orientations. Le débat qui a traversé leurs rangs est celui de l’appel ou non à battre la droite et son candidat, qui veut « tourner la page de Mai 68 ». La déclaration CGT « alerte à nouveau les salariés » sur le risque que s’installe un « gouvernement totalement acquis à une vision totalement libérale de la société », dans le sillage du Medef. Mais elle se refuse à se dire « contre la droite » ou à appeler à voter « pour » ou « contre » quelqu’un. La NVO du 1er mai fait cependant une vigoureuse dénonciation du programme Sarkozy. À l’évidence, des débats vifs ont eu lieu en son sein. Certains militants, insatisfaits de ce qu’ils perçoivent comme une « neutralité », en sont d’ailleurs revenus au soutien explicite, au premier tour, à des candidats (Buffet), ce qui ne fait pas avancer le débat.
La direction CGT demeure dans une logique de prise de distance avec les projets politiques. Heureusement, la base militante CGT et des structures ont repris l’initiative contre la direction. Mais, alors même que Bernard Thibault affirme avec raison que la « démocratie sociale n’a pas à s’effacer devant la démocratie politique », la CGT reste collectivement incapable de marquer son indépendance par une confrontation exigant des projets, dont les résultats pourraient être portés sur la place publique. Et justifier ainsi qu’on peut et qu’on doit battre le candidat du Medef, sans cautionner Ségolène Royal et en préparant les échéances suivantes en toute clarté.
La FSU, dans sa position officielle, est encore plus filandreuse, même si l’interview de Gérard Aschieri, dans l’Humanité (30 avril), est plus vigoureuse, en ne voulant pas « d’une politique qui donne la priorité à la répression sur l’éducation ». Des syndicats de la FSU (lire page 5) [et ci-dessous] prennent une position plus tranchée. L’Union syndicale Solidaires est la plus claire, en regrettant, au premier tour, « l’éclatement de la gauche antilibérale et écologiste », et en constatant qu’au deuxième tour, le programme de Sarkozy « est en totale contradiction avec les revendications qu’elle porte ». Solidaires signe, par ailleurs, un appel de mouvements sociaux [1] à « œuvrer » pour que Sarkozy soit « battu dans les urnes ».
Le syndicalisme de lutte sociale peine à redéfinir les termes de son rapport avec les enjeux politiques, alors que la campagne contre le traité constitutionnel avait permis des avancées sans que quiconque ne renonce à son indépendance.
Note
1. Voir sur ESSF : Appel de mouvements sociaux et de citoyens
SNU-FSU, premier syndicat de l’ANPE
« [...] Le SNU-FSU veille scrupuleusement à son indépendance. Nous savons d’expérience que, quels que soient les résultats électoraux, nous devrons compter sur la force des salariés [...] et de leurs luttes. [...] Le SNU-FSU a questionné directement les candidats. Ségolène Royal présente un projet prévoyant une régionalisation de l’ANPE [...]. Nous sommes en désaccord avec cette orientation [...]. Nicolas Sarkozy n’a pas daigné répondre. Mais il est vrai qu’il s’est largement exprimé sur les sujets ayant directement trait à la vie de l’Agence [...]. Nous avons la conviction que l’accession de Sarkozy à la présidence de la République constituerait un grave danger pour ce pays [...]. C’est pourquoi, en fidélité avec nos valeurs et actions syndicales, nous appelons à battre Sarkozy en votant Ségolène Royal le 6 mai. »