Faire entrer les statues controversées au musée plutôt que de les envoyer à la casse : la suggestion émane de William Dalrymple. L’historien écossais a émis l’idée, à l’occasion du festival de littérature de Jaipur organisé à Londres du 11 au 13 septembre, de créer un musée du colonialisme, calqué sur le modèle de l’établissement consacré à l’histoire africaine-américaine ouvert aux États-Unis en 2016.
L’objectif est de sensibiliser les Britanniques au traitement que réservait l’Empire aux habitants de ses ex-colonies, à commencer par l’Inde. Il ne s’agirait pas de condamner – et encore moins de célébrer – son héritage ; simplement de recontextualiser certaines figures éminentes de l’impérialisme britannique, le tout dans un but éducatif : informer une population assez ignorante de son histoire, décrit The Times.
Pallier les manquements du programme scolaire
“Comme le souligne Dalrymple, certains péchés coloniaux de l’histoire britannique exigent qu’on les traite de manière réaliste, ce qui n’est généralement pas au programme des manuels scolaires. L’histoire pour le grand public se résume souvent à une succession de tableaux – avec les Tudors, l’abolition de l’esclavage et la bataille d’Angleterre au premier plan –, mais il manque une vision d’ensemble de la colonisation britannique en Inde ou de l’idéologie économique qui a aggravé la grande famine en Irlande [au milieu du XIXe siècle]”, analyse le quotidien conservateur.
“Un musée du colonialisme permettrait aux Britanniques de se considérer dans un contexte global, et pas seulement national.”
Selon Dalrymple, cela permettrait en résumé de pallier les manquements du programme scolaire britannique, qui présente encore son passé impérial sous un jour humaniste et antiraciste.
Cette idée fait suite au déboulonnement de la statue d’Edward Colston, un marchand d’esclaves du XVIIe siècle, à Bristol avant l’été, durant une manifestation du mouvement Black Lives Matter. La statue, repêchée, figurera dorénavant dans un musée, expliquait la BBC en juin.
Enlever les criminels de l’espace public
“Quand on va en Allemagne, on ne s’attend pas à croiser des statues de Hitler, de criminels de guerre nazis ou d’officiers SS. Nous devons de la même manière enlever les criminels de guerre de notre espace public”, a décrété Dalrymple. Dans son dernier ouvrage, paru en 2019, le spécialiste des Indes britanniques identifie trois officiers du Raj “dont les statues pourraient être transférées dans un musée du colonialisme”, rapporte The Times.
Colin Campbell, dont la statue se trouve à Glasgow, a attaché des soldats indiens dissidents à des peaux de cochon, les forçant à “lécher le sang restant” avant de les tuer en les plaçant devant un canon. Henry Havelock, dont une statue a été érigée à Londres, a fait de même. Les deux hommes ont par ailleurs tué plus de 10 000 civils lors de rébellions dans les villes indiennes de Lucknow et Cawnpore.
Le troisième, le général irlandais John Nicholson, était particulièrement violent. Ayant brutalement réprimé une mutinerie en 1857, il écrivit au commissaire de Peshawar : “Je leur infligerai les pires tortures sans que cela ne pèse en rien sur ma conscience”, explique Dalrymple. Sa statue trône toujours à la Royal School à Dungannon, en Irlande du Nord, souligne The Times.
Lucile Crumpton
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