Le projet de loi sur les grèves (imposer des niveaux de service minimum), actuellement débattu au Parlement [voir article ci-dessous d’Andrew Fisher], obligerait les personnes travaillant dans les secteurs de la sécurité des frontières, de l’éducation, des pompiers, des transports, du NHS et de l’entretien et du démantèlement nucléaire à maintenir des niveaux de service minimums les jours de grève. Ainsi, certains enseignant·e·s ou infirmières, par exemple, seraient tenus de travailler, qu’ils/elles soient syndiqué·e·s ou non.
Le libellé du projet de loi suggère que des pouvoirs étendus seront accordés aux employeurs pour déterminer quel sera le niveau de service minimal un jour précis de grève, et même qui constitue un travailleur clé et devrait donc être tenu de travailler. Les syndicats seraient censés veiller à ce que leurs membres respectent ces niveaux de service minimaux.
Les syndicats pourraient être traduits en justice et contraints de payer les pertes subies par les employeurs en raison d’une grève. Et si une grève compromet le niveau de service minimum, ceux qui continuent à observer l’action le feraient illégalement. Une personne qui se mettrait en grève dans ces conditions ne bénéficierait donc d’aucune protection juridique, comme celle lors d’un licenciement. Son employeur pourrait le considérer comme ayant violé son contrat et en être personnellement responsable.
Les définitions données aux travailleurs/travailleuses clés et aux niveaux de service minimum dans le projet de loi sont assez larges et donnent aux employeurs la possibilité de décider qui et quoi est admissible. Par exemple, dans un hôpital, outre les médecins et les infirmières, le personnel de nettoyage et d’administration pourrait également être déclaré travailleur/travailleuse clé et être contraint de maintenir des niveaux de service minimum.
Rien n’empêcherait une compagnie ferroviaire de déclarer tous les services réguliers comme essentiels, empêchant ainsi les membres syndiqués de faire grève. Comme les employeurs peuvent décider quels travailleurs individuels ils considèrent comme essentiels, ils pourraient choisir de ne désigner que les membres du syndicat, bien que cela puisse être considéré comme de la répression anti-syndicale, illégale en vertu de la loi de 1992 sur les syndicats et les relations de travail (Trade Union and Labour Relations -Consolidation- Act 1992).
La position du gouvernement
Le gouvernement affirme que la législation met le Royaume-Uni en conformité avec d’autres pays et qu’il est logique d’assurer des niveaux de sécurité minimums dans les services clés durant une grève. Le projet de loi suggère également que si les syndicats disposeront d’un rôle consultatif sur qui et ce qui constitue un service minimum, la décision finale reviendra aux employeurs.
Certains syndicats ont déjà mis en place des accords volontaires avec les employeurs pour maintenir la sécurité. Par exemple, le Royal College of Nursing (RCN) accorde des « dérogations » à certains membres, leur donnant ainsi la permission de continuer à travailler pour « maintenir des soins permettant de préserver la vie », le nombre de dérogations étant négocié directement avec les employeurs.
Le nouveau projet de loi formaliserait cette négociation dans la loi, mais dans des conditions qui favorisent fortement l’employeur. Cependant, aucune loi n’existe pour garantir des niveaux de service minimums les jours de non-grève. Cela suggère que l’objectif du projet de loi est de restreindre davantage le pouvoir des syndicats plutôt que de garantir que les secteurs essentiels continuent de fonctionner ou que les niveaux minimaux de sécurité sont respectés.
Le gouvernement pourrait croire que l’introduction de telles contraintes sur les syndicats permettrait non seulement de mettre en œuvre une ligne dure à l’égard des syndicats en limitant leur capacité à mener des actions de grève perturbatrices, mais aussi de montrer son engagement pour la prestation de services clés qu’ils considèrent comme vitaux pour la population.
Ce nouveau projet de loi ne sert qu’à détériorer davantage les relations entre employeurs et syndicats. Il échoue dans sa mission plus large d’améliorer les niveaux de service globaux, en particulier les jours de non-grève. Plutôt que de répondre aux préoccupations des syndicats concernant les salaires et les conditions de travail, il cherche à les réduire au silence par des menaces juridiques.
Elever une barre d’obstacles déjà inquiétante
En vertu de l’actuelle loi sur les syndicats de 2016, les syndicats doivent déjà respecter certains critères de référence. Il doit y avoir un taux de participation de 50% lors du vote d’un syndicat concernant l’entrée en grève pour qu’un mandat de grève soit valide.
Cela revient à renforcer un type d’indifférence des travailleurs et travailleuses face au syndicalisme. Si 49 membres du syndicat sur 100 votent en faveur d’une grève, mais que les 51 autres ne se présentent pas pour voter, le mandat ne sera pas légal. Les seuils sont encore plus élevés dans les « services publics importants » tels que la santé, l’éducation et les transports. En plus d’atteindre un taux de participation syndicale de 50%, 40% des électeurs éligibles doivent également voter en faveur de l’action. Il faudrait donc qu’au moins 50 personnes sur 100 votent, et que 40 de ces 50 personnes votent également en faveur de l’action.
S’il est adopté, ce nouveau projet de loi imposera une camisole de force encore plus stricte aux syndicats. Même avec un mandat légal pour mener des actions de grève, les employeurs auront le pouvoir légal de déterminer qui compte comme travailleur clé et ce qui constitue un service minimum.
Bien que les syndicats aient un rôle consultatif, les membres et les non-membres pourraient être contraints de travailler les jours de grève, neutralisant ainsi le mandat syndicat et sapant le droit des travailleurs et travailleuses à adhérer à un syndicat et à ne pas travailler. Nombreux sont ceux qui seront contraints de travailler, sous la menace d’un licenciement et de poursuites personnelles s’ils ne le font pas.
Est-ce là ce que souhaite la population ?
Politiquement, la ligne dure de Rishi Sunak à l’égard des syndicats fait écho à celle des conservateurs des années 1970. Cependant, l’environnement politique de l’époque était différent. Une étude a révélé que 80,9% des électeurs et électrices pensaient que les syndicats étaient trop puissants en 1974. Ce pourcentage est tombé à 45,5% en 1987.
Des données similaires de YouGov [société internationale de sondages fondée en 2000] ont révélé que ce pourcentage était « à hauteur » de 25% en décembre 2021, pour atteindre seulement 34% en novembre 2022, même après des mois de tentatives du gouvernement de les dépeindre comme tels. Cela suggère que malgré les efforts de Rishi Sunak pour présenter les syndicats comme étant hors de contrôle, les électeurs et électrices ne sont pas sur la même longueur d’onde.
Steven Daniels est maître de conférences en droit et politique auprès de Edge Hill University (comté de Lancashire).
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