C’était une scène parfaitement chorégraphiée, conçue pour remettre en mémoire la « grandeur coloniale » française du passé. Le 6 août, le président français, Emmanuel Macron, s’est tenu debout au milieu des ruines de la terrible explosion à Beyrouth, promettant aide, responsabilité, et de ne jamais abandonner l’ex-colonie française.
Une jeune femme libanaise s’est approchée du président français, l’implorant en larmes : « Monsieur le Président, vous êtes dans la rue du général Gouraud ; il nous a libérés des Ottomans. Libérez-nous des autorités actuelles ».
Tout ce cinéma est peu convaincant : la visite soudaine, les appels à l’aide, la foule émue qui entoure Macron, étaient autant d’événements improvisés pour illustrer l’amour indéfectible du Liban et sa confiance inconditionnelle à la France.
Macron aurait pu facilement évaluer à distance les dégâts causés par l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth. Si les milliers d’images et les interminables flux vidéo n’étaient pas suffisants pour rendre compte des dégâts sans précédents infligés par l’explosion semblable à celle d’Hiroshima, les images satellites et aériennes l’auraient certainement permis.
« Le Liban devrait être conscient que sa tragédie actuelle est l’occasion rêvée pour ses anciens maîtres coloniaux d’organiser un retour, qui ne sauverait guère le Liban et son peuple de leurs continuels déboires. » – Ramzy Baroud
Nécessité d’un nouveau pacte
Certes, le Liban a un besoin urgent d’un nouveau pacte, mais pas d’un pacte conçu par la France. En effet, la France n’a jamais été une source de stabilité au Liban. Même la fin du colonialisme français officiel en 1946 n’a pas vraiment libéré le Liban de l’influence toxique et de l’ingérence constante de Paris.
Hélas, le Liban aujourd’hui dévasté est maintenant réceptif à un autre « capitalisme de désastre » : l’idée qu’un pays doit être à genoux comme condition préalable à une prise de contrôle économique étrangère, à une intervention politique et, si nécessaire, militaire.
Si les mots de la femme qui a supplié Macron de « libérer » le Liban de son leadership actuel n’ont pas écrits par un plumitif français un peu retors, ils représentent alors l’une des plus tristes manifestations de la politique moderne du Liban – cette femme, représentant une nation, appelant son ancien colonisateur à la soumettre une fois de plus, afin de la sauver d’elle-même.
C’est le cœur du « capitalisme de catastrophe ».
Dans les moments de crise, les gens sont prêts à céder une grande partie de leur pouvoir à quiconque prétend avoir un remède magique – que la crise soit une crise financière ou… une attaque terroriste », a écrit l’auteur canadienne Naomi Klein dans son ouvrage incontournable : « The Shock Doctrine » : The Rise of Disaster Capitalism » (La doctrine du choc : la montée du capitalisme de catastrophe).
Un moment de stabilité ardemment souhaité
Les retombées politiques de l’explosion – quelles qu’en soient les causes – ont été parfaitement exploitées du point de vue de ceux qui veulent s’assurer que le Liban n’atteindra jamais le moment tant attendu de stabilité et d’harmonie entre les communautés.
Sans précédent dans l’histoire moderne, la crise économique que traverse le pays est devenue sans fin, tandis que les classes dirigeantes semblent ne pas avoir de réponses ou ne sont pas, pour la plupart, désireuses d’en trouver.
Le 7 août, un tribunal mandaté par les Nations unies devait rendre son verdict final concernant l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri. L’assassinat d’Hariri, également par une explosion massive à Beyrouth le 14 février 2005, a déchiré le pays et, dans une certaine mesure, placé le Liban sous la férule d’entités étrangères.
La question de savoir si le verdict, maintenant reporté, allait diviser davantage la société libanaise ou l’aider à se rétablir est sans objet. L’explosion du port va certainement renouveler de fait le mandat occidental imposé par la France sur le pays.
Enquête internationale
Le 6 août, quatre anciens premiers ministres libanais ont appelé à une « enquête internationale » sur les causes de l’explosion, espérant ainsi gagner en influence politique sur leurs opposants politiques, ouvrant la voie à une nouvelle crise sectaire et politique.
Les forces locales s’empressent de se positionner derrière une stratégie politique gagnante. « Nous n’avons aucune confiance dans cette bande au pouvoir », a déclaré Walid Joumblatt, un des principaux responsables politiques druzes du Liban. Lui aussi exige une enquête internationale.
Les périodes de crise nationale conduisent souvent à l’unité, même temporaire, entre les différentes communautés, car les tragédies de masse nuisent souvent à tous les secteurs de la société. Au Liban, cependant, l’unité demeure hors de portée car la plupart des camps politiques ont des allégeances qui transcendent les intérêts du peuple et de la nation.
Les gens s’accrochent souvent à leurs clans et à leurs sectes en raison de leur manque de confiance dans le gouvernement central. Les hommes politiques, au contraire, sont redevables aux puissances régionales et internationales – comme à la France de Macron.
Mais la France ne doit pas être la dernière bouée de sauvetage pour le peuple libanais, malgré sa colère désespérée et son sentiment de trahison.
Le Liban devrait être conscient que sa tragédie actuelle est l’occasion rêvée pour ses anciens maîtres coloniaux d’organiser un retour, qui ne sauverait guère le Liban et son peuple de leurs continuels déboires.
La dangereuse mise en scène de Macron dans les rues de Beyrouth devrait fortement inquiéter les Libanais.
Ramzy Baroud
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