Alors que l’hypothèse Bayrou affole sondeurs, médias et états-majors, il n’est pas inutile, dans un premier temps, de mettre de côté son positionnement général - « et avec la droite et avec la gauche » -, pour revenir sur son programme politique et ses propositions. Et là, c’est sans surprise : rien que du libéral ! La « social-économie » du candidat de centre droit est censée reposer sur trois piliers : la lutte contre la dette, l’aide aux PME, la priorité donnée à la recherche. Sa proposition phare est la suppression du déficit de fonctionnement de l’État en trois ans et l’inscription dans la Constitution de l’interdiction de présenter un budget en déficit.
Comme François Bayrou est un adepte de la « stabilité des prélèvements obligatoires » - ce qui signifie que les recettes n’augmenteront pas - cela veut dire qu’il faut diminuer les dépenses. L’aspect « constitutionnel » de la proposition est effectivement nouveau. En revanche, l’objectif est, lui, on ne peut plus classique : en français courant, cela s’appelle une politique d’austérité ! Parce que, pour l’essentiel, le « fonctionnement de l’État », c’est le coût du service public. Pour ne prendre que les exemples de la santé et de l’éducation, la réalité est qu’il manque des centaines de milliers d’enseignants, de médecins et d’infirmières. Refuser tout à la fois le déficit budgétaire et l’augmentation des impôts conduit fatalement à sacrifier les services publics et la satisfaction de besoins sociaux devenus de plus en plus criants avec le développement du chômage et de la précarité. Sur ce terrain, Bayrou ne présente aucune rupture - sinon, peut-être, en pire -, ni avec les politiques menées depuis 30 ans, ni avec les programmes de Sarkozy et de Royal.
Autre mesure « tarte à la crème » : l’aide aux PME. Autant Bayrou est précis sur les mesures envisagées - simplification des démarches administratives, fiscalité avantageuse, exonération de charges -, autant il se garde bien de définir quelles entreprises pourront en bénéficier. Or, le terme de PME est un concept fourre-tout, qui regroupe aussi bien les artisans, les entreprises unipersonnelles (sans salarié) que les entreprises de plusieurs centaines de salariés, travaillant bien souvent pour un client unique, à savoir une grande entreprise. Avec son « Small Business Act à la française », François Bayrou ne fait rien d’autre que formaliser une très ancienne pratique : celle des cadeaux aux patrons, les plus gros d’entre eux etant toujours les principaux bénéficiaires. Comme toutes les mesures d’exonération, la proposition emblématique de permettre à chaque entreprise de créer deux emplois sans aucune charge ne peut que développer les « effets d’aubaine » : s’ils correspondent à une réelle charge de travail, ces emplois auraient, de toute façon, été créés ; si ce n’est pas le cas, ils ne seront pas créés ! Si ces exonérations ne sont pas compensées par l’État, elles contribueront à fragiliser encore plus les régimes de protection sociale ; si elles sont compensées, elles accroîtront le déficit public, que Bayrou, par ailleurs, veut réduire, puis interdire !
Une variante de Sarkozy
Toujours dans le registre le plus parfaitement libéral, François Bayrou propose également de « libérer le temps de travail », en développant les heures supplémentaires (avec une prime de 35 %), « y compris dans la fonction publique ». Là encore, on n’est pas très loin du « travailler plus pour gagner plus » de Sarkozy. À ceci près que le patron est évidemment le seul à même de décider d’accorder aux salariés des heures supplémentaires, et qu’il ne le fera que si cela lui évite d’embaucher ! Accessoirement, cela lui permet aussi de maintenir les salaires à un bas niveau. Comme Sarkozy, Bayrou s’attaque au contrat de travail en proposant de « supprimer les contrats de travail existants au profit d’un CDI universel [...] à droits progressifs ». En fait, ce projet est carrément décalqué du « contrat unique » cher à Sarkozy et dérivé du contrat nouvelles embauches (CNE) et du défunt CPE. Enfin, concernant les retraites, Bayrou s’indigne de la remise en cause, dans le programme du PS, de la réforme Fillon, alors que « chacun sait qu’elle ne fait que la moitié du chemin » ! D’où son projet de soumettre à référendum une (nouvelle) réforme des retraites, où figurerait en bonne place la liquidation des « régimes spéciaux »...
Comme on le voit, Bayrou incarne une variante guère plus « sociale » que Sarkozy, de l’orientation libérale aujourd’hui partagée par la bourgeoisie européenne. Il a un long passé d’homme de droite : giscardien historique, puis balladurien, plusieurs fois ministre. Sa seule force réelle, c’est la faiblesse de la gauche ! Ce n’est qu’à partir du moment où s’estompent les différences de projet entre la gauche sociale-libérale de Ségolène Royal et la droite autoritaire de Nicolas Sarkozy, que la démarche d’union nationale de Bayrou peut prendre quelque crédibilité et mordre sur les électorats de Royal et de Sarkozy. Mais leurs contre-offensives respectives sont très différentes : alors que Sarkozy contre-attaque en cherchant à rassembler son camp - la droite - et à s’élargir à l’extrême droite, avec son ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, les dirigeants socialistes tentent, avec Dominique Strauss-Kahn, de concurrencer Bayrou sur le terrain qu’il a lui-même choisi. C’est le plus sûr moyen d’accroître la crédibilité de Bayrou !