Alors que la majorité des pays d’Europe se déconfinent, l’Arménie “a toutes les chances de faire partie de ceux qui ont perdu la lutte contre le Covid-19, car le nombre de cas augmente de manière explosive, ainsi que le nombre de cas graves, et le système de santé publique n’a plus de ressources”, constate le site russe Lenta.ru.
Le 12 juin, le nombre de contaminations a atteint 15 281 (contre 5 600 le 20 mai), celui des morts 258, pour un total de plus de 62 000 personnes testées. 70 % de ces décès ont été enregistrés entre le 25 mai et le 10 juin. Un tiers des personnes testées sont positives au Covid-19.
Le 25 mai, le chef de l’État arménien, le Premier ministre Nikol Pachinian (contaminé, selon lui, ainsi que sa famille, mais asymptomatique) a annoncé l’entrée de son pays dans une deuxième vague de l’épidémie.
Le 2 juin, celui-là même qui, à la découverte du premier cas en Arménie le 1er mars, se moquait du virus et demandait “de quel chien c’était le nom”, et qui, le 17 mars, affirmait qu’avoir été malade du Covid-19 était une “vaccination naturelle”, a été effaré par les photos d’attroupements de personnes sans masque dans les lieux publics, postées sur Facebook à son attention par des citoyens.
Pachinian a alors reconnu son erreur de perception du danger et appelé ses compatriotes à “s’éloigner du précipice face à cette catastrophe”, rapporte le site Spoutnik Armenia.
Recourir aux forces de l’ordre pour faire respecter les règles du confinement ? Vaine perspective, estime Pachinian, “même si on multiplie par cinq les effectifs”. En clair, “si personne ne prend individuellement ce problème au sérieux et à cœur”, le gouvernement sera “incapable de résoudre le problème”, dont l’envergure dépasse les ressources de l’Arménie. Pachinian a fini par avouer sur sa page Facebook, le 6 juin :
“Nous sommes arrivés à une situation critique et traversons l’enfer.”
Méfiance de la population
Le pouvoir sermonne la population, qui refuse de respecter les gestes barrières et les règles élémentaires d’hygiène et de distanciation sociale. Mais celle-ci n’est pas “prête à se flageller”, constate Lenta.ru. En effet, depuis le début du confinement, tout le monde a pu constater l’inaptitude des autorités à faire respecter les règles et le manque de sérieux des dirigeants, qui se baladaient sans masque et continuaient à participer à des réunions publiques ou privées.
L’Église n’est pas en reste, qui a appelé à combattre le virus par la prière. Enfin, la majorité de la population adhère aux versions complotistes, “pseudoscientifiques, voire carrément ridicules” concernant l’origine du virus, observe le site.
Bill Gates et la 5G
Parmi les versions les plus populaires, celle d’un virus introduit par Bill Gates pour “asservir l’humanité grâce aux puces qui seront introduites lors de la vaccination obligatoire”, ou encore celle de la 5G, qui serait la cause principale de la pandémie de cette “arme biologique”. Les statistiques de contamination seraient même artificiellement gonflées, pour justifier une future vaccination massive qui, dans l’imaginaire collectif, est porteuse de problèmes de santé.
Véhiculées par certains médias, comme le très populaire Medmedia.am, fondé par le médecin Gevorg Grigorian, “des idées délirantes qu’il serait honteux d’évoquer dans d’autres pays” sont quotidiennement à l’ordre du jour politique en Arménie, où le ministère de la Santé intervient pour démentir les théories du complot.
La gestion de Pachinian mise en question
Alors que, le 12 juin, le gouvernement a décidé de prolonger l’état d’urgence jusqu’au 13 juillet, pas sûr que l’économie arménienne survivra à un éventuel deuxième confinement. “Les conséquences pourraient être irréversibles”, prévient le vice-Premier ministre Mgher Grigorian, cité par Novoïé Vremia.
L’épidémie a mis en exergue la question de la compétence du Premier ministre et de son équipe. L’essayiste Artak Vardanian constate dans les pages du journal arménien Golos Armenii que Pachinian, “se fichant pas mal du pays, de sa population, des perspectives évanescentes de la survie et du développement de l’Arménie, subodore un danger mortel pour son pouvoir et pour lui-même – son seul credo, son unique programme”.
Alda Engoian
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