S’en sort-on mieux face au coronavirus SARS-CoV-2 sans l’OMS ? L’expérience de Taïwan dans sa lutte contre le Covid-19 pourrait le suggérer. L’île avec laquelle l’organisation internationale a coupé presque tout contact depuis 2016 sous la pression de Pékin est l’un des territoires les moins frappés par la pandémie, avec une centaine de cas confirmés et un mort. L’économie taïwanaise est pourtant imbriquée avec celle de la Chine et des centaines de milliers de Taïwanais travaillent sur le continent. Alors comment ont-ils évité le pire ?
Dès le 31 décembre, soit trois semaines avant que les autorités chinoises et celles de l’OMS à leur suite ne donnent l’alerte d’une transmission humaine d’un nouveau coronavirus, Taïwan est le premier Etat à passer à l’action. Pourquoi ? Parce qu’à Taipei, contrairement à Pékin, on écoute les médecins lanceurs d’alerte de Wuhan. Aussitôt, des contrôles de santé sont effectués sur les passagers en provenance de cette ville. Il faut dire que l’île de 23 millions d’habitants a appris à se méfier. En 2003, elle fut l’une des principales victimes du SRAS hors de Chine, avec 37 morts. Un traumatisme qui avait amené les autorités à réorganiser leur système d’alerte sanitaire.
« Commandement unifié »
Dès le 1er janvier, Taïwan se prépare donc à une possible épidémie. Lorsque le premier cas se présente, le 21 janvier, Taipei active son mécanisme de « commandement unifié » pour coordonner son action gouvernementale et le Ministère de la santé tient quotidiennement une conférence de presse. La stratégie des autorités est claire : prévention, information, transparence, dépistage, isolement des cas suspects, production de matériel de protection et recherche. L’île, qui n’a pas accès aux informations de l’OMS et qui, selon ses diplomates, se voit refuser par Pékin la séquence génétique du coronavirus, obtient l’aide du Japon et des Etats-Unis pour y voir clair. Elle teste en ce moment un kit de dépistage qui pourrait déterminer en quinze minutes si l’on est porteur ou non du virus – au lieu de quatre heures actuellement. Taïwan se distingue surtout par le haut degré de confiance de sa population dans ses autorités : la présidente Tsai Ing-wen vient d’être largement réélue et son vice-président, Chen Chien-jen, est un épidémiologiste qui était ministre de la Santé lors de l’épisode du SRAS.
L’expérience de l’île (démocratique) est aux antipodes de la méthode de Pékin. Plutôt que de communiquer, le gouvernement chinois a d’abord censuré l’information sur le virus. Lorsqu’il a été trop tard, Pékin a alors déclenché une mobilisation de masse, n’hésitant pas à emmurer ses concitoyens situés dans les zones les plus sensibles. Alors que Taipei responsabilise sa population, Pékin l’embrigade. La Chine est à ce jour le pays qui enregistre le plus de morts dans le monde avec l’Italie. C’est pourtant les « leçons » de ce « modèle » que mettent en avant non seulement les dirigeants communistes, mais aussi la direction de l’OMS et de nombreux scientifiques – y compris dans les universités suisses – pour lutter contre le virus en Europe.
Quarantaine politique
Il est évident que le rôle de l’OMS est crucial dans le combat mené actuellement contre la pandémie. Il n’y a aucun doute que le partage d’informations entre pays que permet l’organisation basée à Genève est primordial pour freiner la propagation du SARS-CoV-2. Si l’OMS avait bien voulu écouter les autorités taïwanaises, leurs alertes dès fin décembre, partager leur expérience, cela aurait peut-être permis de gagner de précieuses semaines dans la prise de conscience de la catastrophe en préparation. L’intervention de Pékin pour étouffer non seulement la voix de ses médecins mais aussi celle de Taïwan se révèle irresponsable. Le silence de l’OMS sur les données transmises par Taipei n’est pas moins incompréhensible. La mise en quarantaine politique de l’île voulue par la Chine fait partie d’une chaîne de causalités qui vont amener à la mise en quarantaine sanitaire de l’ensemble de la planète. Si l’on cherche des recettes adaptées à nos sociétés pour stopper la progression du virus, c’est du côté de Taipei qu’il faut lorgner plutôt que de celui de Pékin.
Frédéric Koller