Le président Hassan Rohani parle « de complot de l’ennemi pour semer la panique », assure que l’épidémie de Covid-19 est sous contrôle, et promet qu’elle sera résorbée d’ici samedi. Mais dans la cité sainte de Qom, qui est aussi le cœur battant du régime islamique, le député ultra Ahmad Amirabadi Farahani a affirmé devant le Parlement, le 23 février, que le chiffre des décès atteignait déjà cinquante morts, un bilan d’ailleurs repris par l’agence semi-officielle IRNA, mais réfuté catégoriquement par le vice-ministre de la santé.
La plupart des séminaires théologiques de Qom ont cependant fermé et le directeur de son centre hospitalier universitaire, le docteur Mohammad Reza Qadir, a fait savoir qu’il était malade alors que, la veille, il prétendait encore le contraire.
Officiellement, le coronavirus a provoqué la mort de vingt-six personnes – soit le chiffre le plus élevé de décès après la Chine – et infecté une centaine de personnes tandis qu’un millier d’autres font l’objet d’examens. Mais comme en Iran, la politique se mêle de tout, il est difficile de démêler ce qui relève ou non de la propagande. D’où des situations qui à la fois angoissent profondément les Iraniens – au point que nombre des plus riches d’entre eux cherchent à quitter le pays –, et suscitent leur hilarité. Ils ont ainsi pu voir à la télévision d’État le porte-parole du gouvernement affirmer, lors d’une conférence de presse, qu’il n’y a pas de quoi s’inquiéter et, se tenant à ses côtés, le vice-ministre de la santé, Iraj Harirchi, secoué par des quintes de toux et transpirant abondamment, visiblement malade.
Le lendemain, lors d’une interview à la télévision, Iraj Harirchi reconnaît être effectivement contaminé. À la journaliste qui s’inquiète de le voir expectorer sous son nez, il répond, joignant le geste à la parole, qu’il devrait effectivement « cacher sa bouche ».
Député réformiste de Téhéran, très respecté pour son franc-parler mais battu aux dernières élections, Mahmoud Sadeghi a fait aussi savoir, dans une vidéo largement diffusée sur les réseaux sociaux, qu’il était positif au coronavirus et n’était pas sûr de pouvoir « rester en vie dans ce monde ». Il a en même temps demandé à l’autorité judiciaire la libération des prisonniers politiques pour les sauver de l’épidémie, ce qui indique que certains centres de détention sont désormais touchés.
Pour le pouvoir iranien, le seul problème dû au Covid-19 tient à la faible participation (de l’ordre de 42 % d’après les chiffres officiels) des électeurs aux législatives du 21 février, comme l’a affirmé le ministre de l’intérieur, Abdulreza Rahmanifazli, lors d’une conférence de presse.
Au-delà des démentis officiels, il semblerait que le nombre des personnes victimes du coronavirus soit très largement sous-évalué par les autorités du pays. Si on compte dix-neuf décès pour une centaine de cas alors que le chiffres de l’OMS donnent partout ailleurs une mortalité aux environs de 2 %, soit dix fois inférieure, cela signifie que Téhéran cache l’ampleur de l’épidémie. Ou qu’il ne l’a pas détectée, ce qui semble moins probable.
À l’évidence, Qom en est l’épicentre. Ville d’environ un million d’habitants, située à 130 km de Téhéran, elle reçoit quelque 20 millions de visiteurs par an. Et ce sont des pèlerins de retour de cette cité ou de celle de Mecched, autre grand centre de pèlerinage, qui ont apporté le virus au Liban, à Bahreïn, au Koweït, en Irak, aux Émirats arabes unis et en Afghanistan. Nombre des États voisins de l’Iran ont d’ailleurs fermé leurs frontières, y compris des pays avec lesquels les relations sont étroites, comme l’Irak et l’Arménie.
Ce qui gêne aussi les autorités, c’est qu’une large partie du clergé de Qom se refuse à fermer les lieux de pèlerinage et à annuler les cérémonies. Il y a quelques jours, Mohammad Saidi, le responsable du grand sanctuaire de Fatima Massoumeh, avec ses trois dômes et ses six minarets, prétendait encore qu’il s’agissait d’un complot américain. « Le sale, le scélérat, le méchant Trump veut frapper la culture et la réputation de Qom au prétexte du coronavirus, a-t-il déclaré. En utilisant cette méthode, l’ennemi veut étendre la terreur, dépeindre Qom comme une cité dangereuse et prendre sa revanche sur elle pour les défaites qu’il a subies. Le traitre Trump et ses mercenaires emporteront leur désir dans leurs tombes. »
Depuis peu, le clergé a commencé à céder, notamment sous la pression du Conseil de sécurité de la province. Les prières collectives et autres cérémonies ont été annulées. Mais certains religieux continuent de faire de la résistance. « Plusieurs séminaires croient qu’ils sont exemptés des règles prononcées par le département de la santé de Qom et le bureau du gouverneur et obligent donc leurs professeurs, dont la plupart sont âgés, à assister aux cours », écrit le site @Qomnews, dont le rédacteur en chef a demandé la mise en quarantaine de la ville, estimant la situation « très grave » et les hôpitaux manquant des moyens adéquats.
Un autre constat, déploré à nouveau par le député Ahmad Farahani, qui apparaît comme le lanceur d’alerte numéro un, est celui de la fuite des médecins de la ville. À celle-ci s’ajoute encore la pénurie des approvisionnements en médicaments qui touche tout le pays, y compris Téhéran, conséquence notamment des sanctions américaines.
Aucune information précise n’a été donnée par les autorités sur ce qui a provoqué l’épidémie de Qom. Le député Assadollah Abbasi, porte-parole du bureau du Parlement, à l’issue d’une session à huis clos à l’Assemblée consacrée au Covid-19 et citant le rapport du ministre de la santé, en a imputé la cause aux « personnes entrées illégalement dans le pays depuis le Pakistan, l’Afghanistan et la Chine ».
Reste que la manière de gérer la crise, avec des dénégations, des accusations de complot, des contradictions, rappelle beaucoup ce qui s’est passé lors de l’affaire du Boeing ukrainien abattu au décollage, avec la volonté du régime de faire passer le crash de l’appareil pour un accident.
Faute d’un minimum de transparence, l’épidémie pourrait s’étendre rapidement. Elle témoigne aussi que l’unique préoccupation des dirigeants, toutes tendances confondues, est leur survie et qu’ils craignent les facteurs de déstabilisation qu’elle comporte. D’autant qu’elle intervient dans un climat de grave crise économique et sociale, provoquée par les sanctions et l’embargo américains. Après les émeutes populaires de novembre (précédées par celles de l’hiver 2017-2018), la bavure de l’avion ukrainien et la désaffection manifeste des Iraniens pour les récentes élections.
Jean-Pierre Perrin