« On peut juger maladroite et disproportionnée l’intervention israélienne au Liban. La vérité est qu’il n’y a eu qu’un agresseur et c’est le Hezbollah. Israël avait le droit et le devoir de défendre ses citoyens. Le Hezbollah, quant à lui, a décidé de prendre en otage le peuple libanais dans une aventure insensée. » Le propos se veut sans ambiguïté ni l’ombre d’une nuance. Il est de Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur et président de l’UMP [1]. On le retrouve du reste sur le site de son parti. Après plus d’un mois de guerre totale au Liban, il a tout simplement fait sienne une thèse, celle que défendent les néo-conservateurs.
Nicolas Sarkozy : un « discours proaméricain prononcé sans aucune honte »
A l’occasion d’un voyage hautement médiatisé aux Etats-Unis ce 11 septembre, cinq ans après les attentats contre les tours jumelles du World Trade Center, le ministre de l’Intérieur se prend, dans la même veine, à railler la « grandiloquence stérile » de la France et le discours aux Nations unies de Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, en février 2003 [2]. C’était l’époque où la France défendait la légitimité et l’autorité exclusives des Nations unies, le multilatéralisme, et s’opposait avec une fermeté remarquée à la guerre des Etats-Unis et de ses alliés en Irak. Trois ans et demi plus tard, Nicolas Sarkozy affirme qu’il n’est « pas convenable de chercher à mettre ses alliés dans l’embarras ou de donner l’impression de se réjouir de leurs difficultés ». Comblé par une entrevue avec George W.Bush, il appelle à « rebâtir la relation transatlantique » : « Je considère notre relation avec les Etats-Unis comme l’un des piliers de la politique étrangère au côté d’une Europe politique forte. Il est temps à mes yeux d’ouvrir une nouvelle ère dans les relations transatlantiques, débarrassée des malentendus et des grands discours qui bloquent tout vrai dialogue. Nous devons refonder une alliance autour des nouvelles menaces du XXIe siècle et défendre nos valeurs et nos intérêts communs. Les défis auxquels nous faisons face nous imposent de travailler ensemble. Partageant des valeurs communes, une même vision, ce n’est qu’ensemble que nous pourrons faire face à de nouveaux fléaux transnationaux : la prolifération d’armes de destruction massives, le terrorisme, les Etats faillis, les catastrophes écologiques, humanitaires ou encore les pandémies. Dans tous ces combats, l’Amérique est le partenaire évident et naturel de l’Europe. (...) ». Le Washington Post salue les propos de Nicolas Sarkozy, et un « discours proaméricain prononcé sans aucune honte. » [3] Le quotidien américain cite même les propos de Jonathan Laurence, du Brookings Institute, qui y voit « le genre de rhétorique qu’on aimerait attendre d’un responsable de l’administration Bush, particulièrement sur l’Iran, Israël, et la lutte contre le terrorisme. » [4] Les conditions de la visite du ministre de l’Intérieur à Washington ont soulevé des critiques jusque dans son propre camp. Mais c’est aussi le cas des propos qu’il y a tenus, à la fois pour sa critique de la politique française, et pour l’orientation atlantiste qu’il y a défendue. C’est l’un de ses proches, Pierre Lellouche, député de Paris et délégué général de l’UMP à la Défense, qui reprend ses arguments dans une tribune parue dans Libération [5]. Il y affirme à son tour que « La dictature du politiquement correct à la française est telle que dire que nous sommes les amis et les alliés des Etats-Unis, que l’on peut pis ! être l’ami d’Israël, serait devenu une sorte de “faute” politique (...) ». Il vilipende « le refrain de la haine antiaméricaine, ce mauvais nationalisme des imbéciles » et, enfonçant le clou, annonce son credo : « oui, l’alliance franco-américaine doit être maintenue et confortée », même s’il assure qu’« elle ne signifie pas un quelconque “ralliement” (...) elle signifie, au contraire, qu’elle exprime et défende ses intérêts, sans pour autant se livrer aux guerres des mots stériles qui ont émaillé le début de la triste affaire irakienne. ». Quant à l’ONU : « C’est bien parce que nous avons travaillé ensemble que nous avons pu restaurer la paix dans les Balkans je le rappelle, grâce à l’Otan et sans mandat explicite de l’ONU », avance-t-il.
Simple rhétorique dans le contexte de concurrence politique d’une campagne présidentielle au long cours ? Difficile de le croire. Car ce n’est sans doute pas sur ce terrain du ralliement au néo-conservatisme américain que se conquièrent les électorats. Plus fondamentalement, c’est bel et bien une orientation majeure de politique étrangère que défend là le postulant à l’Elysée.
S’agirait-il d’une véritable réorientation de la diplomatie française au Proche-Orient, ou celle-ci est-elle en fait déjà bien entamée ? Comment, de ce point de vue, lire la politique de Jacques Chirac au Liban ?
Le Liban, théâtre du rapprochement franco-américain ?
La présidence de Jacques Chirac aurait pu, sur le terrain de la politique procheorientale, rester marquée par trois moments majeurs. Le premier se joue lors d’un voyage à Jérusalem en 1996. Agacé de l’insistante surveillance rapprochée des services israéliens, le Président français, au milieu de la foule, témoigne avec fermeté qu’il entend bien rencontrer la population palestinienne. Au cœur de cet épisode, un rappel singulièrement bienvenu : l’annexion israélienne de Jérusalem reste illégale. L’évènement, qui suscite quelques remous côté israélien et assure à Jacques Chirac une popularité immédiate au sein de la population palestinienne, s’inscrit en fait dans la continuité de la diplomatie française définie par le général De Gaulle depuis 1967. L’occupation, soulignait-il, « ne peut aller sans oppression, répression et expulsions », conduisant à « une résistance qu’à son tour il (Israël) qualifiera de terroriste ». Une lecture et une politique reprises à leur compte dans leurs grandes lignes par ses successeurs, avec plus ou moins d’ostentation. Le second moment se joue à Washington, aux Nations unies, en 2003, alors que les Etats-Unis tentent de rallier le monde à l’option de la guerre contre l’Irak au nom de l’antiterrorisme. Contrairement à ce qui s’est joué lors de la « première » guerre du Golfe, le ministre français des Affaires étrangères y défend alors de façon non moins remarquée le principe de la négociation contre la guerre, la primauté du droit international, la légitimité des Nations unies, l’importance du multilatéralisme. Le troisième moment a lieu à Paris. On est en novembre 2004. La France, qui a accueilli le président palestinien Yasser Arafat pour tenter de le soigner d’un mal soudain et curieusement incurable, lui rendra, lors de son décès, l’hommage dû à un Chef d’Etat. Ce message politique s’inscrit alors dans une tradition diplomatique qui, en dépit de ses carences, en dépit du refus français d’envisager la moindre sanction contre la politique israélienne, a pourtant su affirmer la légitimité d’un Président élu, partenaire incontournable d’une négociation à substituer à l’unilatéralisme militaire pour favoriser l’émergence d’une solution politique fondée sur le droit. Chacun pressentait cependant qu’avec la disparition du président Arafat une page d’histoire se tournerait. Il semble qu’elle se soit aussi, au moins en partie, tournée en France. Et c’est au Liban qu’une nouvelle page semble bien s’être écrite, consacrant un singulier réchauffement des relations franco-américaines, lorsque la question du désarmement du Hezbollah est devenue internationale avec le vote, le 2 septembre 2004, de la résolution francoaméricaine 1559 au conseil de sécurité des Nations unies. Celle-ci comporte plusieurs exigences : celle d’un non report des élections, celle du retrait syrien du pays du Cèdre - effectif en avril 2005- mais également celle du désarmement des « milices ». En l’occurrence, le Hezbollah et les Palestiniens. Pourquoi un tel engagement français ? D’abord, se pose alors la question des élections. Le président syrien, Bachar al-Assad, souhaite une modification de la constitution libanaise prolongeant de trois ans le mandat d’Emile Lahoud. Ami personnel de Rafic Hariri, Jacques Chirac entend l’empêcher au nom de la démocratie. De fait, les élections auront lieu à la date prévue, sous pression cette fois américano-française. Ensuite, l’assassinat de Rafic Hariri le 14 février 2005, sur lequel une enquête internationale est toujours en cours, mais rapidement imputé au régime de Damas, précipitera le refroidissement durable des relations francosyriennes. Au point que le 17 mai 2006, Paris fera adopter par le conseil de sécurité des Nations unies une nouvelle résolution (1680) qui « invite la Syrie à aider le Liban à délimiter ses frontières et à établir avec ce pays des relations diplomatiques complètes. Elle rappelle également la nécessité de mener à bien le désarmement des milices présentes au Liban et demande l’arrêt des trafics d’armes (...). » [6]. Enfin, le vote de la résolution 1559 contribue au réchauffement des relations franco-américaines. Un réchauffement amorcé, il est vrai, sur le terrain irakien lui-même, singulièrement par le vote de la résolution du conseil de sécurité des Nations unies avalisant l’occupation du pays par les forces de la coalition, devenues « force multinationale ». Et sur le terrain de la coopération dans la « lutte antiterroriste ».
Au printemps 2005, une large partie de la population libanaise manifeste depuis plusieurs mois déjà son souhait légitime de sortir de la tutelle syrienne. Cependant, la question du désarmement du Hezbollah relève d’une autre logique. D’une part, parce qu’il semble difficile pour le Liban de s’extraire de la géostratégie régionale, marquée par le double foyer de tensions que constituent les occupations de la Palestine et de l’Irak. Ensuite, parce que l’armement du Hezbollah pallie la faiblesse notoire de l’armée libanaise. Enfin, parce que désarmer le Hezbollah revient dans le contexte actuel à menacer le difficile équilibre intercommunautaire libanais. Et, il ne fait guère mystère que l’armée libanaise est bien incapable de désarmer le mouvement islamique. Le gouvernement d’union nationale issu des urnes, qui comprend deux ministres du Hezbollah, prône le dialogue national, et considère ce dossier comme du ressort exclusivement libanais. Mais, violant depuis des années en toute impunité le droit international, Tel-Aviv n’a pas hésité à faire de l’application de cette résolution une exigence.
Un cessez-le-feu qui se fait attendre
Il aura fallu plus d’un mois de guerre et de destructions pour aboutir à un cessez-le-feu. Ni lors du sommet du G8 qui commence le 16 juillet à Saint-Pétersbourg, ni lors de la conférence de Rome du 26 juillet [7], en dépit de la mort de quatre observateurs des Nations unies dans un bombardement israélien quelques heures plus tôt, la communauté internationale ne parvient à se mettre d’accord sur la nécessité et les conditions d’un cessez le feu. Au conseil de sécurité des Nations unies, le 14 juillet, la France définit sa position. Son représentant accuse le Hezbollah de porter la responsabilité du déclenchement des hostilités, condamne les attaques contre le territoire israélien et l’enlèvement de soldats d’Israël dont la France exige la libération immédiate et sans condition, insiste sur le fait que le gouvernement libanais s’est démarqué de l’enlèvement, et l’appelle à rétablir son autorité sur tout le territoire national. Dans le même temps, Paris, tout en jugeant la « riposte » israélienne « disproportionnée », affirme le « droit d’Israël à se défendre », comme si l’offensive israélienne, qui a alors déjà fait plusieurs morts et détruit l’aéroport de Beyrouth, n’avait pour objectif que de libérer ses deux soldats enlevés. Mais la France met aussi en garde contre les menaces qui pèsent sur le Liban en termes de reconstruction économique et, ajoute-t-elle, démocratique, et dénonce le blocus israélien. Pour elle, il ne saurait y avoir de solution militaire à la crise. La veille, sur Europe 1, le ministre des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, condamnant les « actes irresponsables » du Hezbollah et une action de guerre disproportionnée d’Israël, faisait part de l’inquiétude française face au risque de déstabilisation de toute la région. Il faudra cependant plusieurs jours, et la destruction des infrastructures du pays, pour que Paris prenne ses distances avec les Etats-Unis, et évoque la nécessité d’un cessez-le-feu. Paris n’en a pas moins en premier lieu focalisé son activité sur l’humanitaire, y compris en exigeant la sécurisation de couloirs humanitaires. Certes absolument indispensable, mais totalement insuffisante.La politique française se caractérise alors par une série d’atermoiements. Fin juillet, Dominique de Villepin définit dans un mémorandum un scénario en plusieurs temps (voir fin de l’article). Mais le mémorandum en restera là. Les jours qui suivent sont ceux de navettes franco-américaines sur une résolution d’une autre nature, alors que les Etats-Unis entendent donner du temps à Israël : il s’agit de déloger le Hezbollah du sud du Liban et d’obtenir son désarmement. Un compromis franco-américain pour une résolution onusienne intervient effectivement le 5 août. Mais il n’appelle qu’à « un arrêt des combats afin de travailler à un cessez-le feu permanent ». Pas de mention de cessez-le-feu, ni d’un retrait israélien du Liban. De façon dissymétrique, il appelle « une cessation complète des hostilités, basée en particulier sur la cessation immédiate de toutes ses attaques par le Hezbollah et de toutes ses opérations militaires offensives par Israël. » Si les Etats-Unis se disent satisfaits, on comprend que le gouvernement libanais le rejette dès le 6. Il s’en tient à son projet en sept points présenté à la conférence de Rome .
Le plan en sept points du gouvernement libanais,présenté par Fouad Siniora à la conférence de Rome sur le Liban
Le texte demande « un cessez-le-feu immédiat et une déclaration d’accord sur les points suivants » :
1.Un engagement à relâcher les prisonniers libanais et israéliens par le canal du Comité international de la Croix-Rouge.
2.Le retrait de l’armée israélienne derrière la ligne « bleue » (tracée par l’ONU entre le Liban et Israël) et le retour des déplacés dans leurs villages.
3.Un engagement du Conseil de sécurité à placer le secteur des fermes de Chebaa sous juridiction des Nations unies.
4.Le déploiement de l’autorité du gouvernement libanais sur son territoire au moyen de ses propres forces armées légitimes.
5.Le renforcement des forces internationales des Nations unies opérant dans le sud du Liban en nombre, équipements, mandat et périmètre d’opérations autant que nécessaire pour entreprendre le travail humanitaire urgent et les opérations de secours.
6.L’engagement des Nations-Unies à mettre en œuvre l’accord d’armistice signé par le Liban et Israël en 1949.
7.La communauté internationale s’engage à soutenir le Liban à tous les niveaux et à l’aider à supporter l’immense fardeau résultant de la tragédie humaine, sociale et économique qui l’a frappé.
Ce dimanche 6 août, le Liban est toujours sous le feu israélien. La veille, il a connu les raids israéliens parmi les plus intensifs depuis le début du conflit : en sept heures, quelque 4000 obus ont été tirés sur le pays en plus de 250 raids aériens.
Le compromis de la résolution 1701 et la question du désarmement du Hezbollah
Il faudra donc attendre le 12 août pour que le conseil de sécurité des Nations unies adopte la résolution 1701, largement à l’initiative de la France, appelant non au cessez-le-feu mais à « la cessation des hostilités » sans en préciser l’échéance et, enfin, au « retrait des forces israéliennes du Liban », celui-ci coïncidant avec le déploiement de troupes libanaises appuyées par une Finul renforcée. Les avancées de ce texte de compromis lui permettent cependant d’être adopté à l’unanimité du conseil de sécurité et accepté par toutes les parties. La « fin des hostilités » est donc alors en vue, et l’on ne peut que s’en féliciter. Reste que la résolution demeure fondée sur un déséquilibre. Elle rend le Hezbollah responsable de la guerre sans aucune condamnation de l’offensive israélienne, de son ampleur, de ses objectifs. Aussi bien lance-t-elle « un appel en faveur d’une cessation totale des hostilités fondée, en particulier, sur la cessation immédiate par le Hezbollah de toutes les attaques et la cessation immédiate par Israël de toutes les offensives militaires ». Concernant la question des prisonniers, les auteurs du texte estiment « que la violence doit cesser » et « dans le même temps qu’il faut remédier d’urgence aux causes qui ont donné naissance à la crise actuelle, notamment en obtenant la libération inconditionnelle des soldats israéliens enlevés », mais se contentent de se dire conscients « du caractère délicat de la question des prisonniers » et encouragent « les efforts visant à régler d’urgence la question des prisonniers libanais détenus en Israël ». Quant à la question du désarmement du Hezbollah, le texte se félicite « des efforts du Premier ministre libanais et de l’engagement pris par le Gouvernement libanais (...) d’étendre son autorité sur son territoire, par l’intermédiaire de ses propres forces armées légitimes, de sorte qu’aucune arme ne s’y trouve sans le consentement du Gouvernement libanais et qu’aucune autorité ne s’y exerce autre que celle du Gouvernement libanais ». En clair, la présence armée du Hezbollah ou non dépend du consentement du gouvernement -et des capacités de son armée. Reconnaissance du caractère national de la décision, ou volontaire ambiguïté ?
C’est dans ce contexte que la France tergiverse d’abord sur sa participation active à la Finul renforcée - à 15.000 soldats - prévue par la résolution. Car c’est bien la question de son mandat, c’est-à-dire de son rôle, qui se pose [8]. Pour Shlomo Ben-Ami, ancien ministre israélien des Affaires étrangères, actuellement vice-président du centre international pour la paix de Tolède, « Les guerres peuvent avoir des conséquences surprenantes-spécialement celles qui, comme la guerre israélienne contre le Hezbollah, commencent comme des réactions de réflexe plus que comme des stratégies contrôlées. Comme une ironie qui n’a heureusement pas échappé à l’attention des responsables israéliens, une fois qu’il fut clair que l’objectif consistant à mettre le Hezbollah à genoux ne pouvait être atteint, l’objectif de la guerre s’est transformé afin de déployer une force internationale vigoureuse au sud-Liban, mandatée par les Nations unies les plus calomniées, et dirigée par les Européens “antisémites” », écrit-il. « En exposant les limites de la dissuasion, poursuit-il, le Hezbollah pourrait avoir aidé Israël à intégrer le concept de légitimité internationale et les bons services des Nations unies comme composante de sa doctrine de sécurité » [9] Mais Paris n’entend pas s’engager dans ce processus. C’est ce qu’indique Jacques Chirac dans un entretien au USA Today [10] : « La FINUL n’a pas en effet pour mission de désarmer le Hezbollah. Le désarmement du Hezbollah est dans la nature des choses. Ceci est prescrit par la résolution 1559 du Conseil de sécurité. Et va de pair avec la restauration de l’autorité de l’Etat libanais sur l’ensemble de son territoire. Nous avons toujours dit qu’il appartenait au gouvernement libanais, dans le cadre d’une négociation libanaise, de mettre en œuvre le processus qui permettra au Hezbollah de se transformer, d’une milice, en parti politique, ce qui est légitime et naturel. » L’objectif demeure. Mais la voie sera politique et libanaise. Et telle semble bien être la position des Etats participant à la Finul, en dépit des ambitions de Washington et de Tel-Aviv.
Une réorientation plus globale de la politique française au Proche-Orient ?
Pour autant, la réorientation de la politique française au Proche-Orient semble plus globale, qui a eu pour point d’orgue la visite du Premier ministre israélien Ariel Sharon à Paris en juillet 2005. Au programme, l’adoption de nouveaux accords économiques et commerciaux avec Israël et, au-delà, une coopération renforcée sur les dossiers stratégiques. Ainsi du projet engageant deux entreprises françaises, Alstom et Connex, grâce aux bons soins de l’ambassade de France à Tel-Aviv, dans la construction du tramway colonial à Jérusalem. Celuici vise à relier la partie occidentale de la ville à deux colonies construites en Cisjordanie aujourd’hui occupée, Pisgat Zeev et French Hill, en violation du droit et en sacrifiant toute perspective de paix. Homme clé de ce rapprochement, l’exambassadeur à Tel-Aviv, Gérard Araud, vient d’être nommé au poste de directeur général des affaires politiques et de sécurité de l’administration centrale du ministère des Affaires étrangères. Au-delà, on assiste à une relecture politique du conflit qui en inverse les termes. L’instabilité régionale ne serait pas le fruit de l’occupation, mais de ce qui y résiste. Aussi la France, comme ses partenaires européens, refuse-t-elle de sanctionner la politique israélienne, tandis que les sanctions économiques continuent à s’appliquer à la population occupée. Pour pérenniser son aide économique au peuple palestinien à travers ses institutions légitimement issues des urnes, l’Union européenne, et notamment la France -à la suite du Canada et des Etats-Unis-, a exigé du gouvernement du Hamas, on s’en souvient, de respecter trois conditions : la reconnaissance de l’Etat d’Israël dans les frontières de 1967, le respect des accords signés et l’arrêt de la violence. Autant de conditions qui ne s’imposent pas à Israël, qui continue en toute impunité à ne pas reconnaître le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et à un Etat indépendant dans les frontières de 1967, à violer l’ensemble des accords signés, et à user de la violence et de la terreur d’Etat comme moyen de chantage sur la population civile palestinienne. Or le dernier rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) publié 12 septembre, témoigne de ce que les projections laissent prévoir « un chômage, une pauvreté et des tensions sociales sans précédent » ainsi qu’un « affaiblissement des capacités de gestion et des capacités techniques du Gouvernement palestinien, dont le développement et le renforcement étaient l’une des priorités du soutien des donateurs depuis 1994. » « Une intensification de l’aide et une action urgente s’imposent pour éviter une effondrement de l’économie palestinienne », prévient-il.
Pour une conférence internationale de paix contraignante
C’est pourtant un autre discours qu’adopte Jacques Chirac à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations unies le 19 septembre [11]. D’abord, il réaffirme la primauté du droit international. « L’humanité doit être unie et solidaire dans la diversité de ses peuples. Elle a plus que jamais besoin d’une Organisation des Nations unies forte et respectée, irremplaçable instrument de souveraineté et de responsabilité partagées », dit-il. Ensuite, il revient sur le dossier du nucléaire iranien, avec une proposition qui s’écarte de la stratégie définie par Washington : il prône la voie du dialogue pour sortir de la crise. Il propose de nouvelles négociations pendant lesquelles le Conseil de sécurité suspendrait la menace des sanctions contre Téhéran qui interromprait ses activités d’enrichissement de l’uranium. Enfin, et là n’est pas le moindre, il plaide la centralité de la question palestinienne pour parvenir à la paix dans la région. « Parce que le conflit du Moyen-Orient menace la paix et la sécurité du monde,le monde n’a d’autre choix que d’apporter sa garantie à la paix. Sortons des sentiers tracés par l’habitude. Définissons une stratégie globale, dont la clé est le règlement du conflit israélo-palestinien (...). Chacun en connaît les paramètres : la coexistence, dans la sécurité, de deux États viables, déjà largement admise par les deux peuples concernés ; des frontières sûres et reconnues ; une solution juste pour les réfugiés comme pour Jérusalem.(...) A force d’en différer sans cesse le règlement, cet affrontement est devenu l’épicentre de l’instabilité internationale, la source première de l’incompréhension entre les mondes et l’alibi facile de tous les terrorismes », ajoute-t-il.
Retour sur les principes, donc. Mais quels moyens la communauté internationale est-elle prête à mettre en œuvre pour imposer à une paix fondée sur le droit ? Que propose Paris ? Recevant comme chaque année les ambassadeurs, Jacques Chirac, le 28 août, reprend à son compte la thèse de la bonne volonté israélienne et de la responsabilité du gouvernement palestinien dans l’impasse actuelle : « Certes, les circonstances ne sont pas les meilleures. Le Hamas n’a pas encore tiré les conséquences de son entrée dans la voie politique en acceptant l’arrêt des violences, la reconnaissance d’Israël et les acquis d’Oslo. Mais le Président Mahmoud Abbas incarne l’engagement du peuple palestinien pour une paix négociée et le Premier ministre israélien Ehud Olmert a inscrit la négociation au premier rang de ses options. » Il plaide cependant en faveur de la tenue d’une conférence internationale, que pourrait préparer le quartette (Onu, Etats- Unis, Union européenne, Russie). On ne peut que s’en réjouir. Cependant, plutôt que de conduire à un accord fondé sur le droit, il propose « que cette conférence établisse par avance les garanties que nous sommes prêts à apporter aux parties dès qu’elles seront parvenues à un accord. » Six ans après l’échec des négociations de Camp David, au cours desquelles la partie israélienne entendait fonder la paix sur la renonciation au droit international, et alors qu’Ehud Olmert aspire à dessiner les frontières israélopalestiniennes unilatéralement en annexant une partie substantielle de la Cisjordanie, on voit mal comment un tête-à-tête israélo-palestinien - Tel-Aviv refusant qui plus est de négocier- sans intervention internationale pourrait aboutir à un accord fondé sur le droit.
La paix mérite mieux. Il n’y aura effectivement pas de stabilité régionale, ni à la frontière israélo-libanaise, ni en Palestine, ni plus largement, sans une véritable mise en œuvre du droit, indivisible. A ne pas s’y engager, la communauté internationale joue un jeu dangereux, pour tous. Paris, s’il voulait le voir, pourrait pourtant jouer un rôle utile et efficace. Sans attendre davantage.
Le mémorandum français [12]
Loin d’une analyse globale des responsabilités et des enjeux du conflit, faisant l’impasse sur les motivations israéliennes, ce mémorandum s’inscrit dans le cadre d’un objectif politique explicite : l’application des résolutions 1559 et 1680. En jeu : la « restauration de la pleine souveraineté du gouvernement libanais sur l’ensemble de son territoire » et « la sécurisation durable de la frontière israélo-libanaise ». Pour un « arrangement politique », il envisage plusieurs « séquences ». En premier lieu, pour parvenir à « l’arrêt des violences », il prévoit un appel à l’arrêt immédiat des hostilités, la remise des prisonniers à un tiers jusqu’à conclusion de la négociation, la délimitation de « corridors humanitaires » avec engagement de la Finul « en attendant la délimitation de la zone-tampon », le tout en dix à quinze jours. C’est alors que pourrait s’envisager un cadre général de règlement « d’abord politique, les moyens militaires à déployer sur le terrain étant définis en fonction des objectifs politiques sur lesquels un accord préalable aura été obtenu. ». Il s’oppose à une force « d’imposition de la paix ou de police internationale » : « absence de mandat politique préalable ; effet négatif prévisible sur les efforts en vue d’un accord politique. » Il prévoit la délimitation claire des frontières, « en particulier dans la zone dite des “fermes de Chebaa”, qui serait évacuée par Israël et placée sous contrôle de la Force internationale », mandat pouvant être donné aux Nations unies pour établir une frontière provisoire dans l’attente d’un accord international définitif. Concernant les prisonniers, le choix des mots et leur distinction en disent long : « Règlement définitif de la question des prisonniers israéliens enlevés et libanais détenus en Israël » . Pas un mot sur le retrait israélien du Liban. Ce qui est un comble. Même si le plan prévoit une zone interdite de survol aux avions autres que ceux de la force internationale.
En revanche, il définit une « zone tampon sur la frontière israélo-libanaise », des deux côtés de la frontière : « placée sous contrôle conjoint de l’Armée libanaise et de la force internationale pour la partie située en territoire libanais, exempte d’armes lourdes pour la partie située en territoire israélien » ; il n’en sera plus question par la suite, la fameuse « zone tampon » n’ayant plus lieu d’être que du côté libanais. Concernant les armes, nouvelle dissymétrie. Seules les roquettes et missiles du Hezbollah doivent être neutralisés. Il propose à partir de là une force internationale susceptible d’appuyer au sud le déploiement de l’armée libanaise et de sécuriser la frontière et, sous l’égide du commandement de cette force, un comité permanent « composé de représentants des gouvernements libanais, israélien et d’autres acteurs régionaux et internationaux concernés ». Enfin, il en appelle à la reconstruction du Liban. Ce schéma est censé être proposé à l’ensemble des acteurs « Hezbollah inclus ». La France insiste sur la nécessité d’un règlement politique, sans un mot sur celle d’un règlement politique global.
[1] « Daughters of American Revolution », Washington, 12 septembre 2006.
[2] Libération, 19 septembre 2006
[3] Le Monde, 23 septembre 2006.
[4] Le Monde, 23 septembre 2006.
[5] Libération, 18 septembre 2006.
[6] Voir le site du ministère français des Affaires étrangères http://www.diplomatie.gouv.fr/
[7] Au cours de laquelle les représentants de l’Italie, des Etats-Unis, du Canada, de Chypre, de l’Egypte, de la France, de l’Allemagne, de la Grèce, de la Jordanie, de la Russie, de l’Arabie Saoudite, de l’Espagne, de la Turquie, du Royaume Uni, de l’Union européenne (Haut représentant, présidence finlandaise, commission) et de la Banque mondiale ont rencontré des représentants du Liban.
[8] Et en 1983, 58 soldats français avaient péri dans un attentat contre la base française Drakkar au Liban.
[9] « U.N. Peacekeeping : From Lebanon to Gaza », 22 septembre 2006, sur le site http://www.Miftah.org.
[10] USA Today, New York,19 septembre 2006.
[11] Discours prononcé à l’occasion de la 61e Assemblée générale de l’organisation des Nations unies, New-York, le 19 septembre 2006. http://www.elysee.fr
[12] Voir le site du ministère français des Affaires étrangères http://www.diplomatie.gouv.fr