Trente-deux ans jour pour jour après l’effroyable tremblement de terre de 1985 qui s’était soldé par des milliers de morts et des dizaines de milliers de sinistrés, la terreur et la tragédie se sont abattues sur Mexico le 19 septembre [2017, peu de temps après un précédent séisme dans le sud du pays, le 7 septembre].
De fait, ce 19 septembre noir est une funeste réplique du séisme qui a marqué pour toujours le Mexique, et en particulier le vivre-ensemble dans notre capitale. Le Mexique a changé au cours de ces trente-deux années, mais il l’a fait sous l’impulsion d’une société civile qui a comblé les vides d’un gouvernement paralysé, à l’époque dirigé par le président Miguel de la Madrid [1982-1988].
Un tel événement, naturel et imprévisible, fait ressortir ce que nous sommes profondément, en tant que pays, dans notre grandeur comme dans notre faiblesse. Le séisme du 7 septembre, on l’a vu, a frappé particulièrement les plus pauvres. Le constat est le même après le 19 septembre, où le drame a plus durement touché les classes démunies.
Ces malheurs mettent en lumière une autre faiblesse, impardonnable elle aussi : l’indolence de la classe politique, des partis et des parlementaires, absents jusqu’à nous faire honte, insensibles à la douleur et à la tragédie. Hormis Andrés Manuel López Obrador [dit Amlo, candidat à l’élection présidentielle de 2018] et son mouvement Morena, qui dès le premier jour ont annoncé qu’ils feraient don aux victimes de 20 % des ressources qui leur sont attribuées pour les campagnes électorales de 2018, les autres partis n’ont réagi que lorsque la clameur populaire est devenue trop forte. Même l’Institut national électoral, qui dans un premier temps avait déclaré que l’initiative d’Amlo serait illégale, a ensuite cherché un moyen de la mettre en application pour tous les partis.
Des sommes excessives pour les partis politiques
Face à la pression de l’opinion, presque tous les autres partis ont ensuite avancé une variante de la même proposition, ce qui signifie qu’ils peuvent travailler et faire campagne avec moins de ressources. Il est important que les sinistrés reçoivent le plus d’aide possible, et il faut aussi saisir cette occasion pour que les législateurs réduisent une bonne fois les fonds destinés aux partis politiques, des sommes excessives et scandaleuses dans un pays où certains meurent de faim.
Le Mexique n’a réduit ni son taux de pauvreté, ni l’exploitation, ni l’impunité face aux violences, ni la corruption. Mais les budgets alloués aux partis, aux chambres législatives, à la justice et aux différentes branches de l’exécutif augmentent chaque année.
Une pauvreté qui stagne
Il est temps que cela change, et que les fruits des richesses produites dans ce pays soient moins injustement redistribués. La Bolivie, le Chili, l’Uruguay et d’autres font reculer la pauvreté et la misère, pourquoi pas le Mexique ? Ce n’est pas un hasard si la pauvreté stagne, voire augmente dans un pays qui par ailleurs se classe parmi les plus corrompus : il y a très certainement un lien entre ces deux faits. C’est que ceux qui font la politique dans ce pays sont concentrés sur leur bénéfice personnel, et non sur le bien-être des citoyens qu’ils représentent officiellement et de la population qu’ils dirigent.
Il est urgent que tout cela change. Et les premiers à en prendre conscience devraient être précisément ceux qui se trouvent au pouvoir. Ce n’est pas un hasard si au lendemain du séisme de 1985 qui dévasta Mexico et mobilisa immédiatement les Mexicains ordinaires, le PRI [Parti révolutionnaire institutionnel, au pouvoir] a connu en son sein une fracture qui devait le conduire en 1988 à la toute première défaite de son histoire à une élection présidentielle – défaite qu’il n’a pas reconnue.
Or il y en a, des choses à changer. Comment se fait-il que dans un pays où il y a tant de pauvres et d’exclus, tant de personnes exploitées, les entreprises conservent leurs privilèges ? Pourquoi ne punit-on pas l’évasion fiscale dont se rendent coupables les grands groupes, ceux de Carlos Slim [magnat des télécommunications, classé sixième dans la liste des plus riches du monde], les chaînes de télévision, les sociétés d’exploitation minière, les groupes de télécoms, ou encore Cemex [construction], Modelo [brasserie], Coca-Cola, Bimbo [agroalimentaire], ICA [infrastructures], Walmart ? Que fait-on pour que ces entreprises, pour certaines des multinationales, améliorent les conditions de travail de leurs employés ?
De la même façon qu’il y a trente-deux ans émergeait des décombres une société assoiffée d’entraide, aujourd’hui ce sont les jeunes qui ont incarné cet élan solidaire, créatif et inlassable, exigeant à cor et à cri, par leur comportement exemplaire, que surgisse enfin un autre Mexique.
Ismael Bojórquez
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