Le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, prévu en 2018, a été déjà largement commenté. Ses partisans rappellent que la quasi-totalité des pays occidentaux l’applique déjà et que la France fait office d’exception. Certes.
Mais la France est aussi l’un des rares pays à avoir l’imposition commune obligatoire pour les couples mariés ou pacsés : passer au prélèvement à la source exige alors une attention particulière pour tenir compte des disparités de revenus entre conjoints. Or cette question est mal résolue dans le projet actuel.
Rappelons que le taux d’imposition d’un couple est calculé sur la moyenne des deux revenus (le quotient conjugal). Si les conjoints ont des revenus équivalents, l’imposition commune équivaut à l’imposition séparée. Mais si les revenus sont différents, ce système entraîne une surimposition du conjoint au revenu le plus faible (Conseil des prélèvements obligatoires [1]).
Or les cas de revenus inégaux sont les plus fréquents, avec les trois quarts des femmes en couple qui gagnent moins que leur mari, et une contribution moyenne des femmes de 36 % des revenus du couple (Insee 2014).
Surimposition malvenue
Ainsi, si une femme gagne 1 400 euros par mois et son mari 2 800 euros, le taux d’impôt calculé sur le revenu moyen du couple sera de 8,01 %. Mais le taux correspondant au salaire de la femme n’est que de 1,08 %. Différence non négligeable pour la retenue à la source ! Les salaires et pensions des femmes sont déjà bien inférieurs à ceux des hommes, les surimposer serait malvenu.
De plus, l’argument selon lequel cela revient au même pour le revenu global du couple n’est pas recevable : 41 % des couples bi-actifs ne mettent pas en commun la totalité de leurs revenus. Il n’appartient pas à l’administration de décider d’appliquer le même taux à deux conjoints aux revenus différents, alors qu’ils ne font pas forcément bourse commune.
Pour tenir compte de ces disparités de revenu, le gouvernement a prévu une possibilité de différencier les taux de prélèvement en fonction des revenus respectifs : le taux d’imposition du couple (celui du dernier avis d’imposition) sera par défaut appliqué sur chacun des deux revenus… sauf si les conjoints font la demande expresse d’avoir un taux adapté à leurs revenus respectifs. Ce qui n’est pas satisfaisant.
De nombreuses personnes en effet ne maîtrisent pas le calcul de l’impôt sur le revenu avec ses différentes tranches, ni à plus forte raison le fonctionnement du quotient conjugal. Elles ne percevront probablement pas l’intérêt de faire cette demande.
Réserve légitime
Une solution simple existe pourtant, elle consiste à inverser la règle : par défaut, le prélèvement doit être adapté au revenu de chaque conjoint (l’administration le calcule facilement) ; et c’est sur demande expresse du couple que le taux correspondant au revenu moyen des conjoints est appliqué à chacun.
Cette solution a en outre un avantage, elle fait disparaître une réserve légitime exprimée à l’encontre du prélèvement à la source, à savoir que communiquer à l’employeur le taux d’imposition du couple lui donne des informations sur le revenu global du ménage. Rien ne garantit alors que cela n’ait pas de répercussions sur l’évolution de la carrière de l’employé(e). Cette crainte n’a plus lieu d’être si le taux communiqué par le fisc correspond au salaire de la personne.
Adapter le prélèvement à la source au revenu personnel est une exigence qui ne doit pas être conditionnée à une demande préalable. Il ne s’agit pas d’une individualisation de l’impôt, mais, à partir du moment où celui-ci est prélevé directement sur un revenu individuel, il faut assurer le traitement égalitaire des contribuables.
Ceci étant, cela n’enlève rien au caractère injuste de l’imposition commune des couples. Il est notoire que le quotient conjugal défavorise les femmes parce qu’il surtaxe les revenus les plus faibles, représente un frein à l’emploi des femmes (Conseil des prélèvements obligatoires) et favorise les plus hauts revenus. À quand donc une véritable réforme pour rendre plus juste l’impôt sur le revenu ?
Christiane Marty (Fondation Copernic) et Olga Trostiansky (Présidente du Laboratoire de l’égalité)