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La crise climatique et celle apparentée de la bio-diversité [1], sans oublier les pollutions [2], menacent non pas l’existence de la planète ni de la vie ni même de l’humain mais certainement de la civilisation. Elles sont au cœur de la nouvelle ère anthropocène [3] dont la frontière avec l’holocène, ère de grande stabilité climatique et naturelle qui fut propice à la montée de la civilisation humaine, est marquée par l’explosion exponentielle de dizaines de phénomènes physiques et sociaux depuis 1950 [4]. Ces crises se combinent avec l’ensemble des crises socio-économiques et politiques. Elles en sont souvent le socle. Par exemple, la crise climatique a envenimé les effets délétères du « crony capitalism » militariste moyen-oriental, cible des révolutions arabes [5]. Les régimes d’austérité facilitent l’emprise du capitalisme vert [6]. Mais elle est fréquemment en première ligne en cas de phénomènes extrêmes tels inondations, sécheresses et ouragans/typhons. La grande vague migratoire, implacable aux dépens des femmes et enfants [7], est davantage due aux causes climatiques que guerrières [8]. De toute façon, les deux causes s’entremêlent quoique celle climatique demeure moins médiatisée et plus diffuse.
Ces crises écologiques s’imposent pour l’humanité comme le défi du XXIiè siècle. Ce qu’elle ne saurait affronter sans unité tendant vers un gouvernement mondial avec des dents prenant à bras le corps militarisme et consumérisme inhérents à la course aux profits. Cette unité suppose la mise au pas de l’exploitation et de toutes les oppressions dont le cœur du logiciel est le capitalisme reposant sur l’accumulation exponentielle par la propriété privée des moyens de production. Cette propriété est allergique aux contrôles de toutes sortes qu’elle ne cesse de contourner et de saboter car elle est régie par l’implacable loi de la compétition du « croîs ou meurs », des oligopoles mondiaux s’imbriquant et s’adossant à des États puissants jusqu’aux PME se disputant âprement sous-traitances et franchises. Son aboutissement inéluctable va vers la domination mondiale d’une poignée de réseaux de transnationales articulés autour de noyaux financiers [9], centralisation et concentration qui ont été envenimées par la « grande récession » déclenchée en 2008 [10].
À la conférence de Paris en décembre 2015, sous la houlette de l’entente climatique ÉU-Chine [11] de 2014 nettement insuffisante mais qui effaçait l’échec patent de Copenhague en 2009, les États ont pris la mesure de l’urgence climatique tout en sabotant la lutte contre les gaz à effet de serre (GES). Certes, les objectifs de la Conférence de Paris de décembre 2015, soit une hausse maximum de la température de 2 degrés Celsius, si ce n’est 1.5 degrés, sur l’horizon 2100 par rapport à 1990 sont ambitieux. Mais les « plans nationaux » ne sont pas à la hauteur [12]. Le gouvernement du Québec a comme objectif une réduction de 37.5% de ses GES d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990 [13], plus précisément 20% en 2020, 37.5% en 2030, au moins 85% en 2050. C’est presque le pourcentage des bons élèves de la classe (40% en 2030) telles l’Union européenne et la Californie même s’il est nettement insuffisant pour éviter une hausse au-delà de 2 degrés Celsius, encore plus de 1.5 degrés, à l’horizon de 2100 [14]. Pour atteindre ses objectifs de réduction le Québec compte avant tout sur l’électrification du transport dont l’auto hydroélectrique et le Réseau électrique métropolitain (REM) sont les fers de lance. C’est le marché du carbone [15], dont les consommateurs sont en dernier ressort les payeurs, qui finance les politiques d’incitation nécessaires pour y arriver étant donné que les rapports de prix générés par le marché, c’est-à-dire par les manipulations oligopolistiques de quelques centaines de transnationales, ne permettraient pas d’atteindre les objectifs.
Si au Québec le marché du carbone est le cadre du capitalisme vert, il n’y existe pas de déploiement de moyens de séquestration du carbone puisque on n’y produit aucune énergie fossile significative [16]. Au contraire, l’importante forêt boréale qu’on y trouve, à cause de la recrudescence de son assèchement printanier dû au réchauffement climatique, connaît une intensification de son cycle d’incendie naturelle générant un supplément de GES [17]. Comme quoi la séquestration du carbone par la reforestation massive propre au capitalisme vert se heurte en partant à un obstacle de taille du moins pour la forêt nordique. Le Québec, toutefois, fort de son hydroélectricité qui fait de son secteur des transports routiers, en particulier celui des marchandises, le principal coupable de ses émanations de GES et surtout le seul secteur significatif de leur croissance [18], se distingue par le déploiement de l’électrification de ces moyens de transport. Ce déploiement ne résout rien sauf à créer des illusions et à allouer de précieuses ressources au bénéfice de Québec Inc.. Mais la gauche québécoise tant écologique que politique n’y voit que du feu.
Le grand mythe de l’auto hydroélectrique
1. Auto électrique ou thermique ? En termes de GES, mondialement c’est kif-kif
Commençons par le commencement. L’auto électrique est-elle moins émettrice de GES que l’auto thermique ? Mondialement parlant, « [l]e mix énergétique mondial est en effet tellement dépendant des énergies fossiles (près de 70% de la production mondiale d’électricité), notamment du charbon, qu’utiliser une voiture électrique ou une voiture thermique revient à peu près au même en terme d’émissions de CO2 » [19]. Comme toujours, la moyenne ne veut rien dire. Ça dépend du pays et tout au moins au Canada et aux ÉU, de la province et de l’Etat. Aux États-unis, au gré de la source primaire pour l’énergie électrique, l’auto électrique est généralement davantage émettrice de GES dans la partie est et vice-versa dans la partie ouest [20]. Il en est de même au Canada au gré de la prépondérance de l’énergie hydroélectrique... et nucléaire. Écologiquement parlant, au hic du nucléaire s’ajoute celui du lithium, rare, polluant et au prix croissant rapidement, dont la batterie exige des quantités importantes, ce qui pourrait rapidement épuiser les ressources connues [21].
2. L’auto hydroélectrique québécoise en pole position
Le chercheur-physicien Pierre Langlois, chaud partisan, mais lucide, de l’auto électrique, résume bien les situations française, britannique, étasunienne et canadienne-québécoise en deux tableaux en se basant sur de très crédibles analyses étatiques [22]. La récente analyse du CIRAIG, commandée par Hydro-Québec, confirme la pole position du Québec pour son auto hydroélectrique soit une émanation de GES réduite des deux tiers, pour 150 000 kilomètres parcourus, par rapport à une auto thermique équivalente [23]. Si on disqualifie la fausse alternative nucléaire comme il se doit [24], le Québec augmente son avantage par rapport aux ÉU et à l’Ontario, et encore plus par rapport à la France [25]. Toutefois, comme les émanations de GES d’une auto électrique sont encourues avant le premier kilomètre franchi, l’automobile hydro-québécoise doit parcourir entre 30 000 et 50 000 kilomètres avant d’être plus anti-GES que l’auto thermique laquelle produit la majorité des ses GES tout au long de sa vie [26].
Les avantages de l’auto hydro-québécoise sont aussi économiques au niveau individuel. Faire le plein coûterait huit fois moins cher selon le gouvernement québécois [27], 4.5 fois moins suggère Hydro-Québec [28]. La cherté du véhicule est partiellement compensée par une généreuse subvention pouvant atteindre 8 000 $ [29]. La mécanique étant plus simple, l’auto électrique est moins chère à entretenir [30]. Pour la société québécoise, c’est du pétrole en moins importé mais non pour l’automobile qui doit être importée tout autant que l’auto thermique [31]. Dans le cadre néolibéral, les ambitions de Québec Inc. ne vont pas au-delà de devenir un producteur de véhicules électriques de niches [32]. Autre avantage conjoncturel, les actuels importants surplus hydroélectriques [33] sont suffisants pour alimenter au-delà d’un million de véhicules électriques [34].
3. L’auto électrique, une auto (péri)urbaine pour encore longtemps
Il y a bien sûr un envers de la médaille. L’auto électrique, pour cause de technologie de la batterie, n’est pas équivalente à une auto thermique en termes de distance parcourue sans faire le plein et, justement, en temps nécessaire pour faire ce plein. De sorte qu’elle doit être considérée comme une auto urbaine et périurbaine surtout dans un pays, comme le Québec, où les distances interurbaines peuvent être importantes. Ce qui signifie que pour l’instant l’auto électrique s’ajoute très souvent à l’auto thermique [35] la transformant en objet de luxe surtout si on ajoute l’obstacle de son prix relativement élevé malgré la subvention. Le premier obstacle pourrait être réglé en quelques années par l’ajout d’un réseau de bornes de recharge, particulièrement interurbaines, ce à quoi s’attelle Hydro-Québec y compris dans les provinces et Etats limitrophes [36] sans compter les subventions étatiques aux particuliers et employeurs pour qu’ils en installent à la maison ou dans leurs stationnements [37], ce qui permet une recharge sur plusieurs heures.
Reste le casse-tête du temps de recharge surtout pour les trajets interurbains. Les bornes standard (240V) nécessitent de trois à quatre heures, ce qui généralement les disqualifie pour les parcours au-delà de 100-150 kilomètres surtout en hiver [38]. Reste les super-bornes qui peuvent faire le plein à 80 % en 20 minutes, ce qui n’est pas si court, mais qui est préjudiciable pour la longévité de la batterie [39], la composante de loin la plus chère à remplacer le temps venu. Ce qui pose en plus le problème du temps d’attente en cas de non disponibilité des bornes. Faut-il attendre une percée technologique au niveau des batteries ? Pour les batteries lithium-ion, qui règnent depuis 25 ans [40], le maximum est presque atteint en termes d’amélioration des processus et des composantes sans qu’aucun nouveau matériau ne se pointe sur un horizon prévisible [41], ce qui n’empêche pas d’espérer [42]. Chose certaine, il est terminé le temps où les transnationales de l’automobile et surtout les gouvernements et universités à leur service freinent la recherche en ce domaine pour ménager le complexe auto-pétrole [43]. L’auto électrique est devenu le nec plus ultra de la compétition oligopolistique. N’empêche que les perspectives de réduction d’émanation de GES à moyen terme sont plus importantes pour le véhicule thermique [44].
4. L’auto électrique reste une auto privée pléthorique et chère
Pourtant l’automobile électrique reste une automobile. À la Dupont et Dupond, « je dirais même plus », l’automobile électrique privée reste une automobile privée :
De 2006 à 2013, il s’est ajouté en moyenne 80 000 véhicules par année au Québec. [...] un rythme de croissance annuel de 1,9 %, soit deux fois celui de la population. [...] Alors qu’il y a une décennie, il se vendait au Québec un véhicule utilitaire sport (VUS) pour trois voitures, il se vend désormais plus de VUS que d’automobiles. [...] Le transport accapare désormais 19 % du revenu disponible des ménages québécois, un chiffre en hausse constante depuis 15 ans. C’est plus que pour l’alimentation. À peine moins que pour le logement. [45]
Les tenants de l’auto hydroélectrique répondront que peu importe puisque celle-ci n’émet pas de GES, ce qui résoudra la grande plaie béante québécoise soit que « [l]es émissions de GES du transport routier ont augmenté de 31,1 % depuis 1990, alors que celles de l’ensemble du Québec diminuaient de 8,6 %. Les émissions des VUS et camions légers ont quant à elles augmenté de 99 %. ». On a vu que la fabrication de l’auto hydroélectrique émet plus de GES que l’auto thermique, sans compter la pollution du lithium... mais, il est vrai, ce sera majoritairement hors Québec ! Et ces émanations sont encore plus importantes pour les VUS et les autos luxueuses. On a aussi constaté que les limites techniques de l’auto électrique, qui ne sont pas près de disparaître, n’éliminent nullement l’auto thermique pour un ménage donné. Le problème budgétaire en sera amplifié ce qui obligera les ménages moins nantis à s’en passer à moins de s’en tenir à la circulation urbaine. Cependant, on peut être assuré que le capital financier, étant donné le bas niveau du service de la dette malgré un endettement record des ménages [46], voit dans l’auto électrique un pactole pour relancer en grande la consommation... et davantage d’endettement.
5. Le modèle norvégien... noyé dans le pétrole
Prix élevé et limites de l’auto électrique expliquent que le parc québécois compte moins de dix mille véhicules électriques soit 0.2 % du total. Les mordus ne lâchent pas prise pour autant invoquant l’impératif catégorique de la lutte climatique, ce qui n’est pas faux. Ils plaident pour appliquer le modèle de la Norvège qui a un mix énergétique semblable au Québec... à l’exception d’une importante richesse pétrolière essentiellement exportée qui fait baver d’envie le gouvernement du Québec... et dont l’extraction pétrolière est la principale contributrice aux émanations de GES, soit 27 % du total, sans compter l’apport du secteur des transports [47]. À noter aussi que les distances interurbaines y sont plus courtes. C’est cette richesse, dont le taux de redevance est de 78 % [48] – Allo Québec ! – qui permet à ce pays de subventionner à la planche les autos hydroélectriques, à raison de 50 % du prix d’achat, sans compter leur priorité lors des heures de pointe et la gratuité des péages [49]. Ce qui fait que le quart des véhicules achetés, le tiers tout dernièrement [50], sont électriques au point que Tesla a de la difficulté à répondre à la demande... surtout pour son modèle de luxe.
6. Last but not least, la plaie de l’étalement urbain
Tout ce débat pesant le pour et le contre de l’auto hydroélectrique en termes principalement d’émanations de GES oublie l’essentiel, soit l’étalement urbain sur le modèle centre-périphérie, le pire qui soit en intensité circulatoire d’où une ingérable congestion routière devenant quasi permanente qui coûte autant en détresse humaine qu’en pertes économiques (retard au travail, délai de livraison)... sans compter un supplément d’émanation de GES [51]. Ajoutons-y la prolifération d’accidents de la route. Surtout l’étalement encourage la construction de maisons unifamiliales détachées souvent de volume démesurée par rapport aux besoins de la part particulièrement du 1 % et de leurs alliés du 10 ou 15 %. On devine le gaspillage énergétique et ses émanations de GES... même s’il est amoindri grâce à la majoritaire climatisation hydroélectrique imposée par la pression populaire au moment de la Révolution tranquille. Enfin, cet étalement est préjudiciable à l’agriculture en avalant les meilleures terres agricoles, surtout celles de la plaine de Montréal, ce qui encourage l’agro-industrie productiviste sur le restant des terres de sorte à nourrir une population croissante fort carnivore. En résulte une dégradation des sols, une perte de la bio-diversité et, last but not least, une émanation accrue de GES.
L’internationalisme débute... par une alternative nationale, même locale, exemplaire
Plusieurs écologistes plaident que les importants surplus hydroélectriques québécois, qui seraient encore plus imposants si le bâtiment était le moindrement énergiquement efficace [52], au lieu d’être dirigés vers l’électrification des transports pourraient demeurer disponibles, comme c’est maintenant le cas [53], pour se substituer aux sources d’énergie sales ou dangereuse (nucléaire) chez nos voisins de l’Ontario, du Nouveau Brunswick, de la Nouvelle-Angleterre et de l’état de New-York. C’est cette considération qui amène la Coalition Climat Montréal à affirmer que la diminution des GES due à l’auto hydroélectrique est nettement exagérée :
« Une auto électrique qui parcourt 16 000 km semble réduire les émissions directes de CO2 de ≈2,3 tonnes, mais elle augmente les émissions du secteur électrique de ≈1,5 tonnes (en Nouvelle-Angleterre). » [54] C’est aussi dans cet esprit qu’Équiterre propose « une plus grande collaboration Québec-Ontario » [55].
Il faut d’abord se rappeler que la solution écologique pour l’énergie passe, par ordre de priorité, par la sobriété énergétique (agriculture biologique et urbaine, isolation du bâtiment, remodelage de la trame urbaine densifiée sur le piéton, la bicyclette et le transport collectif, courts liens ville-campagne), l’efficacité énergétique des procédés industriels et des biens durables et enfin l’énergie renouvelable à commencer par le solaire passif et actif décentralisé et intégré aux bâtiments avec un complément d’éolien loin des zones habitées et tenant compte du paysage. Sans tomber dans le piège de l’autarcie nationaliste, les solutions sont quand même avant tout nationales et même régionales et locales. Le danger principal réside plutôt de s’en remettre béatement au libre marché nord-américain dont le prix de l’électricité est basé sur celui du gaz de schiste très probablement plus générateur de GES que le charbon [56]. Sans oublier que les ÉU et le Canada sont parmi les mauvais élèves de la classe en termes de lutte contre les GES... et les impérialistes les plus zélés des guerres pétrolières.
Certes, le peuple québécois pourrait soutenir dans la mesure où il le peut et à la marge les efforts réels des provinces et états limitrophes, surtout pour les pointes. En autant que le coût marginal fût couvert, les surplus hydro-québécois pourraient transitoirement contribuer aux plans de nos voisins, s’ils sont sérieux, pour se sortir du charbon, du pétrole, du gaz et du nucléaire. Reste que la meilleure contribution internationaliste à la portée du peuple québécois est celle d’être un avant-garde de la lutte contre les GES et pour la bio-diversité. Le premier geste à poser pour y arriver consiste à se libérer du pétrole. On connaît la réponse du gouvernement québécois avec son projet de loi 106 [57]. Quant aux prétendants à la chefferie péquiste, ils ont la tête ailleurs [58]. On les comprend : sauf un, ils étaient tous et toutes ministres dans le gouvernement Marois qui a ouvert l’île d’Anticosti aux pétrolières [59].
“Small is not beautiful”... surtout quand c’est privé
Nul doute que l’électrification du transport est au cœur de la lutte anti-GES québécoise. Étant donné un important surplus hydroélectrique et pour longtemps, ce à quoi il fait ajouter un appréciable potentiel d’économie d’énergie pour la climatisation des bâtiments, la question des dommages environnementaux propres à l’hydroélectricité (bouleversement de l’écologie des bassins versants, marnage, méthyle-mercure) et des droits nationaux aborigènes ne se pose pas. Toutefois, elle se pose pour les petites centrales privées que le gouvernement a longtemps soutenu [60] tout comme il a soutenu jusqu’à récemment les parcs éoliens privés dans les zones habitées [61] afin de minimiser leurs coûts d’infrastructures en routes d’accès et en raccordement au réseau quoique ces localisations n’offrent pas le meilleur potentiel de vent [62].
La politique d’électrification du Québec, un château de cartes... pro-GES
Comme on l’a vu, malgré qu’il soit relativement important, l’objectif québécois de réduction des GES est insuffisant pour éviter une hausse au-delà de 2 degrés Celsius, encore plus de 1.5 degrés, à l’horizon de 2100. D’autant plus que cet effort cache des transferts de GES à l’étranger tant par des investissements directs en manufactures énergivores, dont les produits sont ensuite exportés au Québec [63], qu’en argent sonnant pour acheter des crédits de carbone [64] à bon compte. Pour la réduction de GES proprement québécoise, Québec s’appuie sur son marché du carbone avec la Californie, et bientôt l’Ontario et le Manitoba, lequel agit tant directement par la modulation des prix que par le truchement du « Fond vert » qui subventionne automobilistes, industries et le transport collectif tel le REM. Comme épine dorsale de tout ce système de subventions, on trouve l’électrification des transports [65].
Tout ce complexe échafaudage s’avère un château de cartes... de l’aveu même du gouvernement. Québec reconnaît que les émanations de GES seront légèrement à la hausse de 2015 à 2020 malgré l’application du Plan d’action sur les changements climatiques (PACC) 2013-2020 [66]. Le plan d’électrification des transports 2015 modifiera-t-il la situation ? Ce plan de 420 millions $ sur cinq ans prévoit réduire les GES... de 0.2% malgré cent mille véhicules électriques anticipés soit plus de dix fois le nombre actuel [67]. Quant au principal plat de résistance, le REM à 5.5 G$, il ne réduira les GES que de... 0.02% [68] ! Conclusion : Le Québec n’atteindra pas, tant s’en faut, l’objectif officiel intermédiaire d’une réduction de 20% des GES en 2020 par rapport au niveau de 1990. Il ne faut alors pas se surprendre de la dilapidation du Fonds vert en faveur de projets douteux des entreprises pendant que « l’argent destiné aux programmes du Fonds vert n’est pas dépensé » [69]. Ce sera tout juste si le statu quo de la réduction de 8% déjà atteint sera maintenu [70].
L’incohérence anti GES est au prorata des intérêts de Québec Inc.
Comment expliquer pareille incohérence pour ne pas dire pareil marasme ? Il n’y d’incohérence que populaire. Tout est pensé en fonction des intérêts de Québec Inc. qui de toutes ses forces appelle à son secours l’État pour ne pas être broyé par les géants du marché global. En termes de basse fiscalité des entreprises, Montréal y est quasi imbattable [71], ce qui contribue, avec un bas coût relatif des terrains et de l’énergie, à en faire la métropole la plus compétitive parmi les plus importants pays impérialistes [72]. Non seulement Québec se déclare-t-il bar ouvert pour l’exploitation pétrolière mais il la subventionne directement [73]. Pour faire bonne mesure il ajoute une cimenterie grassement soutenue si ce n’est sauvée par l’État [74], sans examen environnemental, qui à elle seule « sera à l’origine de 2 % des émissions de GES totales du Québec. » [75] Les « droits de polluer » du marché du carbone sont gratuits pour les entreprises les plus importantes [76]... qui peuvent ensuite les vendre.
Le dit Fonds vert, financé par ce marché fictif, est carrément détourné de sa mission en faveur des entreprises [77]. L’électrification des transports participe à la même logique. Vous me direz que les généreuses subventions pour l’achat de véhicules électriques fabriquées hors Québec, avec un apport anti-GES négligeable, contredisent cette thèse. Notons d’abord le retard sérieux au niveau de leurs débours. Reste un effet de vitrine qui achète à Québec Inc. le droit de participer au marché global de ce secteur. Car le but avoué du gouvernement est de développer une grappe de niche de l’électrification des transports [78]... qui ne créera que 5 000 emplois d’ici 2020 soit l’équivalent d’un à deux mois de création d’emplois au rythme actuel.
Transport collectif n’est pas synonyme d’écologie : le cas du REM
L’électrification des transports à la Québec Inc. ne s’arrête pas aux véhicules électriques. Elle entache le développement du transport collectif. Le REM en est la tête de pont. Un projet répondant aux besoins populaires aurait une toute autre allure [79]. Le REM est un amas de béton livré en pâture à « l’industrie de la corruption » en mal de contrats géants une fois que seront terminés les grands chantiers échangeur Turcot et pont Champlain [80]. Il est un cadeau trop cher à Bombardier qui aura soif de nouvelles commandes une fois livrées les nouvelles rames pour le métro de Montréal. Quant au bon peuple, il devra prendre ou son auto ou un autobus traditionnel pour se rendre aux rares arrêts puis trouver un métro, mal arrimé au REM [81], pour se rendre à destination. En résultera un encouragement à l’étalement urbain [82]. Cerise amère sur le gâteau : on laisse tomber le prolétariat très majoritairement francophone de l’est de Montréal [83] et du restant du Québec car ce projet videra le faible budget [84] alloué aux infrastructures de transport collectif.
Québec devra avancer la majorité des 2.5 G$ réservés aux gouvernements, lequel s’ajoute aux 3 G$ investis par la Caisse de dépôt et de placement, en autant que le fédéral fasse sa part... malgré qu’on attende encore sa contribution pour le nouvel avion de Bombardier [85]. Il faut aussi prendre en compte la sous-estimation plus que probable du coût du projet qui obligera Québec à rallonger sa contribution tôt ou tard. On n’a qu’à constater ce qui s’est passé pour le financement de la cimenterie de Port-Daniel ou pour le prolongement du métro à Laval [86]. Comme le dit l’éditorialiste trop prudent du Devoir : « Or, si le REM coûte plus cher que prévu, tout autre projet sera reporté. » [87]. Quant au coût pour l’usager, le pire est à prévoir [88]... à moins de cannibaliser le budget de fonctionnement de l’ensemble du réseau du Grand Montréal [89] ou de piller les impôts fonciers municipaux induits par le développement immobilier dû au REM [90]. Comme le dit la nouvelle coalition écologiste-syndicale Trainsparence : « ...la priorité n’est pas sur le projet comme tel, l’offre de service en transport en commun, mais c’est vraiment un projet qui est conçu d’abord et avant tout pour le rendement » [91].
La situation du transport collectif se dégrade à ce point que la très modérée et très compétente coalition TRANSIT crie au meurtre [92]. L’achalandage du transport en commun en est en baisse à Montréal [93]. Le ministère des Transports répond en avouant qu’« ‘‘il n’y a pas présentement de politique des transports en commun sur la table’’ et le Ministère gère les dossiers réclamant son attention ‘‘au cas par cas’’ » [94]. Il y a encore moins de fonds pour l’électrification du transport collectif existant alors que pourtant un autobus diesel pollue souvent autant par passager-kilomètre qu’une auto thermique [95] sans compter qu’il est souvent coincé dans les bouchons dont le nombre d’autos est la première cause. Qu’importe le climat, les investissements dans les infrastructures en PPP, tel le REM, sont devenus le pain et le beurre des Fonds de pension [96] depuis que les taux d’intérêt sont au plancher et que la bourse, tel que démontrée par la crise de 2008, est devenue trop volatile alors que ces Fonds requièrent de la stabilité à long terme. Le Canada est parmi les pays à l’avant-garde de cette tendance [97]. La Caisse court derrière avec son REM.
La grande tentation de la CAQ et du PQ : noyer le pétrole dans l’identitaire
Ce soi-disant plan climatique au seul bénéfice de Québec Inc. est-il condamné par les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale ? Tant s’en faut. Pour la CAQ, parti qui est presque la « patente » d’un ex homme d’affaires à succès, l’État n’en fait jamais assez pour Québec Inc. jusqu’à l’absurde... auquel le PQ s’associe [98]. La CAQ essaie de cacher son parti- pris patronal sous une épaisse couche de nationalisme identitaire sur le bord du dérapage [99].
Le pied sur le frein et l’autre sur l’accélérateur, le PQ suit. Plus le prétendant Lisée déterre le monstre nauséabond [100] plus il devient populaire auprès des membres du parti [101] et plus il s’attire des endossements [102] pendant que le chef intérimaire du parti tasse dans le coin la seule prétendante réellement indépendantiste et de gauche [103] ne jouissant d’aucun appui dans le caucus mais bénéficiant d’une remontée de popularité qui pourrait en faire une sorte de Bernie Sanders nationaliste de gauche. Dans cette souque à la corde entre populismes de droite et de gauche, le PQ évitera-t-il de se pendre en choisissant le candidat de l’extrême centre qui ne satisfera pas grand monde dans une société ne cessant de se polariser socialement et politiquement. Faut-il s’en surprendre ? Comme les Libéraux et la CAQ, le PQ est acquis au néolibéralisme pétrolier sauf pour les discours du dimanche quand il est dans l’opposition [104]. Comme l’indépendance est rejeté haut la main par le patronat — l’effondrement de PKP en témoigne — ne reste plus au PQ que l’option stratégique caquiste, ce qu’à parfaitement compris le candidat de la « gauche efficace » [105] malgré des erreurs tactiques.
Québec solidaire : « Sortir du pétrole »... sous la dépendance du capital financier
Un tel contexte fournit à Québec solidaire une large ouverture. Le parti en profite-il ? Il faut ici distinguer la plate-forme et le programme du discours public des porte-parole et consorts. Selon la plate-forme électorale 2014, le parti stipule « l’interdiction d’explorer ou de produire de l’énergie fossile ou nucléaire [et] l’opposition à tout transport de pétrole de schiste, de gaz de schiste ou de pétrole des sables bitumineux au Québec » [106]. Le discours public n’est pas toujours aussi clair, notamment au sujet de pétrole gaspésien. Le parti « exige la suspension » en attendant l’intervention du Bureau d’audiences publiques sur environnement (BAPE), ce qui ne saurait être une garantie d’interdiction [107]. Le discours péquiste dans l’opposition n’est pas tellement différent. On invoquera avec raison le manque de crédibilité du PQ étant donné ses volte-face une fois au gouvernement. Mais celle des Solidaires comme petit parti de la troisième opposition l’est elle davantage ?
Sans offre d’alternative, toute revendication d’interdiction manque de crédibilité sous prétexte qu’on aura besoin de pétrole pour encore un bon bout de temps et tant qu’à faire vaut mieux du pétrole national (ou canadien) pour des raisons d’emplois (peu nombreux) et d’autonomie (fictive)... sans se soucier des risques environnementaux. Lors de l’élection de 2014, Québec solidaire a présenté un « Plan vert » pour sortir du pétrole [108] passablement audacieux par rapport à tout ce que le Québec écologique a pu présenter jusqu’ici [109]. Le hic majeur de ce plan était ailleurs. Il comptait sur le capital financier, et pas à peu près [110], pour sa réalisation. Non pas que le capital financier ne voudrait pas avancer les fonds — il est conscient lui aussi de l’urgence climatique et de celle de la bio-diversité — mais ce serait à ses conditions.
Primo, ce sera à coups d’auto électrique, de REM et tutti quanti de sorte à permettre une cohabitation prolongée [111] de l’ancien fossilifère et du nouveau dit renouvelable, mais pas toujours (nucléaire, biomasse), avec une efficacité et une sobriété énergétiques seulement si elles sont rentables, ce qui exigera un maximum de séquestration du carbone sur et sous la terre. Secundo les avances de fonds du capital devront lui être profitables au prorata du « risque » dont son secteur financier est lui-même le juge à travers ses firmes de cotation. Et à son jugement, les projets ambitieux de gouvernements de gauche sont très risqués. Tertio, il voudra une garantie de remboursement sans crainte d’audit-moratoire ou de dévaluation de la monnaie, ce qui signifie l’imposition d’un régime permanent d’austérité des dépenses de fonctionnement c’est-à-dire essentiellement des dépenses sociales. Anticipant sans doute les réticences de la Finance, le Plan vert Solidaire ménageait tant le secteur du transport des marchandises, le plus problématique pour ce qui est des GES, que celui industriel énergivore [112].
Est-ce pour cette raison qu’une fois passé l’effet d’annonce, ce plan n’a plus été mis de l’avant durant le restant de la campagne électorale, particulièrement durant les débats télévisés, et qu’ensuite il fut relégué aux oubliettes et le demeure ? La gratuité du transport collectif sur dix ans, une revendication de la plate-forme Solidaire susceptible de créer les conditions d’une mobilisation populaire comme au Brésil en 2013 [113] et tout comme la gratuité scolaire l’a fait pour le Printemps érable, n’était même pas mentionnée dans le Plan vert. Nul doute qu’elle hérisse le capital financier puisque elle oriente les dépenses budgétaires vers les besoins populaire sans bénéfices pour le capital. Pourtant le fédéraliste petit Parti vert, présent à Montréal avec ses affiches au slogan « écosocialiste », publicisait cette gratuité tout comme celle scolaire. Sans compter que ce parti a critiqué le REM [114], contrairement à Québec solidaire.
Un Plan vert anti PQ en est un anticapitaliste de plein emploi écologique
Comment convaincre l’électorat de lâcher rapidement les hydrocarbures s’il n’y a pas d’alternative sonnante et trébuchante au-delà de vagues grandes phrases ? Comment alors ne pas glisser un tantinet vers le nationalisme pétrolier ? Comment ne pas se reconnaître cou-ci cou-ça dans les tergiversations péquistes ? Comment ne pas finir par leur tendre la main en se pinçant le nez pour se débarrasser des Libéraux et éviter le néolibéralisme ultra et l’identitarisme de la CAQ ? Voilà ou mène inéluctablement le refus de confronter le capital bec et ongles. Rupture avec le PQ et Plan vert anticapitaliste de plein emploi sont les deux côtés de la même médaille.
La gauche québécoise radicale et anticapitaliste pourrait s’appuyer sur les résolutions du dernier congrès Solidaire mettant à jour et confirmant la radicalité du programme [115] pour amorcer une revisite conséquente du Plan vert. Par électoralisme, avec la caution médiatique, la direction Solidaire les met sous le tapis. Ses alliés de Presse-toi-à-gauche et du « Réseau écosocialiste » cautionnent cette esquive [116] tout en réclamant une rupture définitive avec le PQ, débat crucial du prochain Conseil national du parti à la fin novembre. Une rupture avec le discours écologique lénifiant du PQ est incompatible sans mise en selle d’un Plan vert radicalisé [117] qui fait converger équilibre écologique, développement économique et justice sociale.
Une telle mise à jour est digne d’une révolution écologique axée sur un investissement massif dans l’agriculture biologique, le bâtiment écologique, le transport collectif, l’énergie renouvelable publique ; sur une nationalisation-socialisation du secteur financier, du transport non routier et de l’énergie hors Hydro-Québec ; et sur une législation au besoin coercitive pour le bâtiment, le transport routier et l’efficacité énergétique industrielle. Elle écarterait toute solution de marché qui laisse l’initiative à une poignée de transnationales financières et manufacturières dignes du plus nauséabond et vil « greenwashing » [118]. Ce plan radicalisé engloberait la lutte contre l’austérité pour préserver et bonifier les services publics [119] et la lutte pour le salaire minimum à 15$ l’heure [120]. Ce plan mobiliserait toute l’épargne nationale y compris une réforme fiscale en profondeur. L’indépendance nationale en deviendrait incontournable pour se libérer de la dictature financière qui s’appuie sur les accords de libre- échange à rejeter en faveur d’alliances entre les peuples [121]. Sans compter que cette vision de l’indépendance la réconcilierait avec la jeunesse fuyant comme la peste sa pollution par le nationalisme identitaire.
Un Plan vert conséquent s’attaquerait aux noyaux durs du transport des marchandises et de l’efficacité énergétique industrielle. Québec solidaire pourrait, avec toutes les consultations nécessaires, se doter d’un plan d’électrification du petit camionnage, hybride puis tout électrique, d’un autre plan pour la construction de réseaux publics de chemin de fer et de cabotage avec centres de transbordement et de ports, et enfin d’un troisième pour l’efficacité énergétique des industries et des bâtiments commerciaux plus exigeant que celui existant. Une fois adoptés, ces plans devront être coercitifs pour toutes les entreprises, à leur frais. Comme cette transformation diminuera à terme les coûts de transport et de production soit grâce à un coût hydroélectrique bien meilleur marché que son équivalent pétrole soit par une réduction de la consommation d’électricité, elle est rentable pour les entreprises quitte à assurer le financement des PME par la banque étatique prévue dans la plate-forme Solidaire [122] même si l’essentiel du secteur financier y est abandonné au capital.
De même la transformation de la ville et des rapports urbain-rural ne peut pas attendre après 2025 pour être mise en branle. Contre les intérêts de la spéculative promotion immobilière, c’est tout de suite que dans les villes et villages la construction de maisons unifamiliales doit être interdite tout en blindant la protection des terres agricoles. Contre les intérêts des grandes chaînes alimentaires, c’est tout de suite que celles-ci, sous surveillance de leurs employées, des agriculteurs et des consommatrices, doivent être contraintes à se doter de politiques de promotion de la souveraineté alimentaire, des circuits courts et de l’agriculture urbaine. Contre les monopoles de l’automobile, c’est tout de suite que doit être annoncé la fin prochaine de l’automobile privée partout où il y aura un dense et gratuit système de transport en commun et un réseau complémentaire d’autopartage public/communautaire et des pistes cyclables et piétonnières. C’est tout de suite que doit être interdite toute publicité portant sur les véhicules à remplacer par une contre-publicité aussi intense dénonçant le complexe auto- bungalow.
Une conjoncture Québec-Canada invitant à donner la priorité à la lutte climatique
Il n’y a pas de place dans cette mise à niveau pour les (pseudo) spécialistes en communication, les « com » comme on les appelle au sein de l’appareil Solidaire, qui vont freiner des deux pieds pour garder centriste le Plan vert, pour en faire un secret d’État pour les membres y compris pour la militance afin d’en révéler le contenu dix ou vingt jours avant le jour des élections pour des raisons de « stratégie » électorale, ce qui garantit sa méconnaissance populaire surtout si les porte-parole le cache sous le boisseau comme en 2014. Au contraire, dès maintenant, le débat a à être ouvert auprès de tous les membres et au su de l’électorat Solidaire invité à participer à son élaboration. À défaut d’une volonté affichée de la direction du parti, malheureusement à prévoir, il appartient à la Commission politique du parti, en particulier à son Comité thématique sur l’environnement et l’énergie, et aussi aux instance locales conscientes et délurées, de prendre leurs responsabilités en menant une lutte interne féroce et en refusant de se faire récupérer par des comités ad hoc contrôlés par la direction dont la fonction est de noyer le poisson.
La priorité à donner au Plan vert par Québec solidaire inscrirait le peuple québécois dans la lutte prioritaire de l’humanité pour sa survie sur un horizon de mise au rancart de la centralité des antagonismes sociaux qui a consommée cette dernière durant sa période historique pour l’inscrire sur une trajectoire d’unité cosmopolite réconciliée avec la nature tendue vers les infiniment grand et petit. Plus prosaïquement, ce plan fournirait au parti un cadre stratégique dans lequel insérer la lutte sociale du moment, telle celle pour le salaire minimum à 15$ l’heure ou contre l’austérité, pour leur donner une perspective donc un élan. L’actuelle conjoncture québécoise et canadienne est (encore) propice à ce tournant à gauche. Elle n’a pas été gangrenée par l’identitarisme, malgré les « efforts » des CAQ et des courses à la chefferie du PQ et des Conservateurs [123], comme le sont les scènes politiques européennes et étasunienne envahies par la peur du terrorisme poussant au racisme et à la xénophobie quand ce ne sont pas vers des politiques de va-t’en-guerre
Le Canada baigne temporairement dans une factice bise « progressiste » alors que le monde subit l’assaut d’un fort vent de droite et d’extrême-droite. Mais déjà l’illusion Trudeau prend l’eau entre autre par sa confirmation des cibles anti-GES plus que modestes de l’ancien gouvernement soit une réduction de 14% d’ici 2030 par rapport à 1990 (30% par rapport à 2005), ce qui est tellement bas que même la très concertationniste Équiterre a dû se résigner à la rejeter [124]. De plus en plus, la réalité de la promotion des hydrocarbures prend le dessus [125]. La campagne à la chefferie du NPD, imposée par un rejet par les membres à la base de son chef droitier au printemps dernier, a pris la droite du parti par surprise d’où son prolongement jusqu’à l’automne 2017. Elle offre à la gauche anticapitaliste et antilibérale canadienne une occasion en or d’une campagne anti-hydrocarbure de grande ampleur à la Corbyn, dopée par la manifeste Leap Manifesto adoptée par le congrès pour fin de discussion et dont la vedette altermondialiste Noami Klein est la co-auteure.
La bourgeoisie canadienne a très bien compris ce danger en lançant contre lui une attaque vitriolique [126]. Il y a nécessité de déborder le terrain de la lutte sociale pour vaincre la résistance du complexe banco-pétrolier, soit l’axe Toronto-Calgary, noyau dur de la bourgeoisie canadienne. Il faut se réjouir de ce que l’Assemblée des Premières nations du Québec et du Labrador rejette l’oléoduc Énergie est de Trans Canada [127] ce qui légalement devrait signifier sa mort si on se fie à la logique du rejet de l’approbation de l’oléoduc Northern Gateway par la Cour d’appel fédérale à cause du manque de consultation avec les peuples autochtones [128]. Les peuples autochtones ne se contentent pas de démarches légales. Une cinquantaine de peuples du Québec, du Canada et des ÉU viennent de s’unir « dans le cadre d’un traité ‘‘contre l’expansion des sables bitumineux’’ et contre les projets qui permettent de transporter ce pétrole, dont les oléoducs. [...] les Premières Nations signataires [...] s’engagent à ‘‘interdire’’ l’utilisation de leurs ‘‘territoires’’ » [129] Du terrain légal, on passe à celui des luttes sociales au- delà des rituelles manifestations. Aux non autochtones de les rejoindre sur ce terrain et surtout de le déborder sur le terrain proprement politique.
Marc Bonhomme, 28 septembre 2016
www.marcbonhomme.com ; bonmarc videotron.ca
ANNEXE 1 : L’anthropocène, preuve à l’appui
L’humanité a un impact si profond sur notre planète qu’il serait grand temps de proclamer l’avènement d’une nouvelle ère géologique, l’anthropocène. C’est du moins ce que préconise un groupe de spécialistes qui a défendu l’idée à l’occasion du Congrès géologique international du Cap [en Afrique du Sud], le 29 août [2016]. Et selon eux, cette nouvelle ère devrait commencer aux alentours des années 1950. […]
L’activité humaine a :
* entraîné une hausse du taux d’extinction des animaux et des végétaux bien supérieure à la moyenne à long terme. Si la tendance se maintient, 75 % des espèces devraient s’éteindre au cours des prochains siècles ;
* causé l’augmentation la plus rapide du niveau de gaz à effet de serre dans l’atmosphère en 66 millions d’années, la combustion de carburant fossile ayant fait passer ce niveau de 280 parties par million (ppm) avant la révolution industrielle à 400 ppm aujourd’hui ;
* déversé tant de plastique dans les cours d’eau et les océans que les particules microplastiques sont désormais omniprésentes, et il est probable que les plastiques laissent des traces fossiles identifiables que découvriront les générations futures ;
* multiplié par deux les volumes d’azote et de phosphore dans nos sols au fil du siècle dernier à cause de l’utilisation d’engrais. Il s’agit sans doute de l’impact le plus important qu’ait connu le cycle de l’azote en 2,5 milliards d’années ;
* laissé une couche permanente de matière particulaire aéroportée dans les sédiments et les glaciers, comme le carbone émis par la combustion de carburant fossile.
Traduction de l’article « Damian Carrington, The Anthropocene epoch : scientists declare dawn of human-influenced age, The Guardian, 29/08/16 » par Courrier Sciences, Planète. Bienvenue dans une nouvelle ère géologique, l’anthropocène ! , 22/09/16. L’article traduit n’est pas gratuit.
ANNEXE 2 : Conférence de Paris : la ruse du capitalisme vert
Plus l’analyse de l’accord de la Conférence de Paris sur le climat (COP-21) s’approfondit, plus il devient évident que les peuples du monde se sont fait passer un Québec. L’écologiste anticapitaliste Daniel Tanuro démontre la contradiction flagrante [130] entre l’objectif ambitieux et absolument nécessaire (2 degrés tendant vers 1.5 degré alors que presque un degré de hausse a déjà été atteint) et
• une échéance des plus floues tant pour le pic que pour l’élimination totale de toute émanation de GES, soit quelque part entre 2050 et 2100 ;
• un échéancier de plans nationaux aux années de bases, années de référence et cibles hétéroclites et manipulatoires dont la très hypothétique implantation ne fait que 20% du chemin nécessaire d’ici à 2030 ;
• une promesse de révision en 2023 des plans nationaux, en soi un aveu de leur grave insuffisance, qui reporte le pic des GES et gâche sévèrement un budget carbone déjà coincé [131] ;
• des engagements purement volontaires, sans pénalités, contrairement à l’Accord de Kyoto qui fut, malgré tout, galvaudé entre autres par les ÉU... et le Canada ;
• des engagements non différenciés selon les responsabilités historiques, pourtant un principe de base de justice convenu dès 1992 et toujours pris en compte par le GIEC ;
• un accord ne faisant mention ni des combustibles fossiles, encore moins à la nécessité d’en garder l’essentiel dans le sol, ni de sobriété énergétique ni d’énergie renouvelable sauf une seule fois... pour uniquement les pays en développement ;
• un accord ouvert aux pseudo-solutions du capitalisme vert (nucléaire, hydroélectricité
géante, séquestration et compensation du CO2) ;
Il y a anguille sous roche que déterre le même auteur [132]. Contraints par la réalité crue du réchauffement [133] et la montée de la résistance, les négationnistes de l’origine humaine du réchauffement climatique reconnaissent avoir perdu la partie. Les monopoles pétroliers, même Exxon, appuient l’accord de Paris [134] parce qu’il assure la pérennité du complexe auto-pétrole- bungalow et ceux complémentaires hydroélectricité-nucléaire tout en donnant une place de partenaire junior aux nouvelles énergies... pas toujours écologiques telle la biomasse. Comment le capital compte-t-il s’y prendre pour effectuer ce tour de passe-passe ?
1. La panoplie régressive des écotaxes axées sur le marché et la taxe du carbone
Le premier truc consiste à encadrer tout le processus dans une panoplie d’écotaxes dont l’épine dorsale est le dit marché du carbone [135] et sa sœur jumelle, la taxe sur le carbone [136]. Il s’agit d’ajouter aux marchés celui virtuel des droits de polluer, garanti par l’État, dont le prix est régulé par les gouvernements soit par le contrôle de l’offre, renouvelée à chaque année et segmentée en sous-marchés, soit en les taxant. La préférence de la finance pour le marché du carbone, qu’elle gère, et celle de l’industrie pour la taxe sur le carbone, pour sa prévisibilité, n’introduit qu’une nuance. S’y ajoute une panoplie de péages et tarifs (routes, ponts, stationnements).
Ce système d’écotaxes sont des taxes indirectes socialement régressives qui dressent le peuple contre les réformes écologiques [137]. Avec ces écotaxes, les riches (et classes moyennes) s’adaptent et souvent en profitent (ex. circulation routière moins dense) pendant que les classes inférieures écopent. En résulte une aggravation de la pauvreté et des inégalités et une opinion publique anti-écologique. Ce système sert de contre-réforme fiscale au capitalisme néolibéral lui permettant de sortir du piège de la seule austérité fiscale, qui réduit à leur portion congrue les impôts sur le revenu, sur les profits et sur le capital, en procurant aux États une nouvelle source fiscale, régressive mais apparemment progressiste. En effet, les accords de libre- échange, qui eux n’ont rien de volontaires, contrairement à l’accord climatique de Paris, étouffent la fiscalité progressiste et progressive pour raison de compétitivité globale.
Résulte de la seule austérité, sans nouvelles sources de revenus fiscaux, le cul-de-sac de la stagnation perpétuelle qui canalise l’épargne vers la spéculation comme actuellement. Marché et taxes du carbone, avec leur complémentaire tarification sociale tout aussi régressive, garantiraient les profits des partenariats public-privé (PPP) typiques du capitalisme vert pour financer des infrastructures géantes dites écologiques. La croissance serait de retour car les écotaxes soutiendraient le financement de cette coûteuse refonte des infrastructures et de la pharaonique géo-ingénierie. L’État, sous contrôle de la capital financier, deviendrait l’épine dorsale de la demande solvable, en remplacement de la consommation de masse à crédit, pour les transnationales manufacturières et celles des services aux entreprises.
2. Pérenniser les hydrocarbures sous couvert de « neutralité carbone »
Le second truc consiste à pérenniser l’utilisation des hydrocarbures en substituant le concept de la neutralité carbone à celui de dé-carbonisation. Le premier admet la compensation qu’interdit le second. Cette compensation se ferait par l’intermédiaire
• de la reforestation, en particulier les plantations agro-industrielles... tout en privatisant ou en régentant les territoires aborigènes et paysans... et en feignant d’ignorer que le carbone émis aujourd’hui n’équivaut pas à celui capturé, peut-être, demain et après- demain [138] ;
• de la séquestration partielle, risquée et dispendieuse, largement subventionnée, du carbone des centrales au charbon [139] ;
• last but not least, de la séquestration du carbone de la biomasse ouvrant la porte à un théorique cycle d’élimination du carbone atmosphérique pour le réintroduire dans les entrailles de la terre... jusqu’à ce que ces gaz finissent par retrouver le chemin du ciel [140]
• ultimement, d’une modification du cycle du carbone soit en réduisant dans la stratosphère la luminosité solaire (miroirs, eau salée, soufre) soit en accélérant la photosynthèse du phytoplancton (ajout de fer) soit en accélérant l’absorption du carbone (ajout de calcaire) [141].
3. Vers un marché du carbone mondial
Le troisième truc de ce tour du chapeau consiste à huiler le moteur de cette machinerie titanesque par les marchés du carbone tendant vers un grand marché mondial unifiant ceux européen, chinois, sud-coréen, californien-québécois embrigadant bientôt l’Ontario et le Manitoba, etc.. Ainsi, le « mécanisme de développement durable » remplaçant le « mécanisme de développement propre » et tutti quanti permettrait de minimiser la dé-carbonisation dispendieuse des pays du vieil impérialisme [142], et de plus en plus du nouvel impérialisme émergeant. L’achat bon marché de droits de polluer dans les pays dépendants, tout en l’attribuant au bilan carbone des pays impérialistes sur la base de calculs hypothétiques et souvent frauduleux, se fait au profit des transnationales qui gardent les clefs du contrôle de la technologie verte qu’il n’est plus question de transférer gratuitement. Celles-ci décarboniseront de toute façon mais seulement pour raison de compétitivité... sans compter l’hypocrisie de l’exportation de la pollution due au consumérisme occidental cachée par une comptabilité basée sur la production nationale et non sur sa consommation.
La contre-offensive pétrolière
La dégringolade à court terme des prix des hydrocarbures laisse voir un prix en bas de 100$US le baril pour les prochaines années [143] moyennant une stabilisation du Moyen-Orient, bien hypothétique il est vrai. Tant la dépendance pétrolière des pays producteurs, même de l’État islamique, ce qui les empêche de réduire l’offre pour provoquer une hausse des prix, que la normalisation de l’économie chinoise en termes de baisse de son taux de croissance que de son tournant vers les services, fondent cette prédiction. En conséquence, les hydrocarbures liquides à coût élevé, dont les plus polluants tels ceux bitumineux et schisteux, en seront désavantagés, ce qui ne les empêchera pas de servir des réserves stratégiques étant donné leurs localisations proportionnellement plus importantes dans les pays du vieil impérialisme, en particulier au Canada, et en Amérique du sud, en particulier au Venezuela.
Ce revirement s’explique certes pour des raisons technologiques (nouveaux hydrocarbures schisteux et des profondeurs) et de concurrence (entre les hydrocarbures conventionnels du Moyen-Orient et ceux schisteux des ÉU) mais surtout pour des raisons économiques et géostratégiques. Certes, les entreprises pétrolières et gazières, surtout étasuniennes, en sont désavantagées. Mais le capitalisme néolibéral mondial, à hégémonie étasunienne, en sort ragaillardi. Le pétrole relativement bon marché garantit la rentabilité de ses chaînes mondiales de production à transport intense souvent « juste à temps » et de ses complexes de consommation de masse auto-pétrole-bungalow et plastiques-textiles synthétiques-engrais. Le pouvoir d’achat consumériste s’en trouve bonifié. En prime, l’effondrement des prix des hydrocarbures affaiblit plusieurs pays tire-au-flanc tels la Russie, le Venezuela et l’Iran tout en amadouant des alliés récalcitrants tels l’Arabie saoudite. Même le rival chinois en profite moins que les ÉU qui voient soulagés leur balance commerciale historiquement déficitaire.
La grande faille du discours du mouvement écologiste
Telle est la nouvelle donne que doit combattre la grande alliance des écologistes toutes tendances, des pays les plus menacés et des scientifiques. La stratégie en pointe de bloquer le recours aux hydrocarbures, que ce soit sa production, son transport ou son financement, s’en trouve handicapée. Le commun des mortels, harcelé par la propagande pétrolière du « gros bon sens », de rétorquer à la militance écologiste : « À ce prix-là et étant donné la lente évolution de la technologie des transports, on ne peut pas échapper à la dépendance pétrolière. Vaut mieux compter à terme sur la technologie émergente de la séquestration du carbone. » À ce pessimisme démobilisant, l’écologisme ne peut se contenter de répondre par des arguments misant sur le catastrophisme global du réchauffement et de toutes ses conséquences ou celui local des pollutions des sites d’exploration et d’extraction et des fuites et déversements accidentels.
La baisse du prix des hydrocarbures met davantage à découvert la grande faille du discours du mouvement, soit une élaboration de l’alternative du plein emploi écologique. Le revers de la médaille de cette alternative est fait d’emplois durables, dignes, socialement utiles et surtout autogérés. Son envers anti-consumériste d’un maximum de temps libre créateur et riche en relations sociales. Il ne suffit pas de parler vaguement de sobriété et d’efficacité énergétiques ou d’énergie renouvelable, encore moins de fausses solutions telles le nucléaire, la biomasse, l’hydroélectricité et même le gigantisme éolien et solaire lesquelles nous précipitent de Charybde en Scylla. Faut-il souligner que ce plein emploi écologique et que cet anti- consumérisme sont antinomiques de l’accumulation du capital dont même une croissance à taux croissant a comme horizon un matérialisme infini. Maximisation libérateur du temps libre et maximisation asservissante du profit sont totalement incompatibles.
ANNEXE 3 : Marché du carbone et écotaxes — Fausses solutions au bénéfice du néolibéralisme
La désagréable surprise réside, ici au Québec, dans l’acceptation du marché du carbone par les grandes associations environnementales [144]. Un très récent rapport de l’OCDE, pourtant partisane du marché du carbone parce qu’acquise au néolibéralisme, affirme qu’« [à] ce jour, le faible niveau de prix des quotas n’a pas été suffisamment incitatif pour initier les changements structurels nécessaires à la transition vers une économie sobre en carbone » [145].
Échec pattant et retentissant des marchés du carbone européen et onusien
Le marché du carbone de l’Union européenne, le fer de lance mondial de ce type de marché, a été un fiasco, même de l’aveu de The Economist [146]. Il en est de même de celui, onusien, qui les complète, le Mécanisme de développement propre permettant aux pollueurs d’acheter des crédits à très bon marché dans les pays dépendants souvent sans avantage pour ces pays et sans compter une bonne dose de corruption :
« Les marchés du carbone nous ont encore fait perdre plus de 15 ans dans la lutte contre le changement climatique. Mais nous continuons à les pousser en avant tout en les élargissant. [...] Le marché du carbone européen est en ce moment dans la tourmente, débordant plus que jamais de quotas de carbone. Les centrales électriques et les usines se sont vues allouer plus de quotas qu’ils n’en ont réellement besoin, certes en raison de la grave récession dans de nombreux pays, mais aussi en raison de l’intense lobbying de l’industrie. On a vu également l’émission d’un flot de crédits de carbone bon marché du MDP [Mécanisme de développement propre de l’ONU], ce qui a contribué à abaisser le prix du carbone à un niveau si faible qu’il est actuellement d’un coût négligeable pour l’industrie. Encore plus important, il n’incite pas à investir dans les technologies à faible niveau de carbone. » [147]
Ce n’est pas pour rien qu’existe une large coalition européenne de 110 organisations réclamant l’abolition de cette fausse solution :
« ...le marché du carbone européen :
• n’est pas efficace : les émissions des secteurs économiques relevant du marché carbone diminuent moins vite (1,8 %) que celles des secteurs ne relevant pas de ce système (3 %) ;
• ne permet de pas de réduire les émissions domestiques : en prenant en compte les émissions liées aux produits importés, les émissions n’ont baissé que 4% entre 1990 et 2012, et non 17,5 % ;
• sert d’échappatoire au secteur industriel : l’introduction de certificats de réductions d’émissions liés à des opérations de compensation menées hors UE s’accroît considérablement, au point de représenter 13% des émissions domestiques du secteur (+ 85 % en 2011 par rapport à 2010), aggravant la situation de surabondance de crédits carbone ;
• contribue à accroître les conflits sociaux et environnementaux en encourageant l’accaparement des terres, les violations des droits de l’homme, les déplacements forcés et les atteintes à l’environnement liés à la mise en œuvre des projets de compensation carbone ;
• fonctionne comme un système de subvention des pollueurs : l’attribution gratuite des permis est de facto une subvention qui permet aux industriels – notamment Arcelor Mittal et Lafarge – d’engranger des milliards d’euros : 14 milliards entre 2005 et 2008 et 7 milliards par an jusqu’en 2020 pour les 75% de permis qui seront toujours distribués gratuitement ;
• fait retomber le coût sur les consommateurs : presque l’intégralité du coût de mise en conformité du secteur industriel avec le marché carbone européen aurait été financé par les consommateurs ;
• incite les secteurs industriels au statu-quo : en raison de son fonctionnement, du trop
grand nombre de permis existants et de comportements spéculatifs, le marché carbone ne délivre aucune incitation économique pouvant provoquer une transformation profonde du système productif ;
• est coûteux et particulièrement sujet à la fraude : fondé sur des mesures d’émissions souvent incertaines ou invérifiables et faiblement encadré sur le plan réglementaire, il est propice aux abus et aux fraudes – plus de 5 milliards d’euros de perte en 2010 – faisant à dire à Europol que ‘‘dans certains pays, jusqu’à 90 % du marché du carbone était le fait d’activités frauduleuses’’ ». [148]
Un marché carbone québécois similaire à celui européen et intégrant celui de l’ONU
Au Québec, le prix du « droit de polluer » était en novembre 2015 d’un peu plus de 16 $ la tonne de GES [149], soit la moitié de la taxe carbone équivalente de la Colombie britannique (30 $) elle-même une fraction de la même taxe chargée aux ménages suédois (150 $)... mais pas aux grandes entreprises pour raison de compétitivité internationale [150]. Malgré une lente diminution des émissions annuelles de droits de polluer, en accord avec l’objectif de réduction de 20% en 2020 et de 37.5% en 2030, ce qui pourrait peut-être faire augmenter rapidement leur prix, le système québécois de marché carbone, dénommé SPEDE, prévoit un mécanisme de plafonnement des prix à la discrétion du ministre appelé « vente de gré à gré du ministre » [151]. On voit tout le potentiel de pression, au nom de la compétitivité, si ce n’est de corruption dont la Commission Charbonneau a révélé l’ampleur dans le beau pays du Québec. Cette magouille pourrait facilement s’étendre à la vérification annuelle des émanations de GES des entreprises.
Comme en Suède et ailleurs, « [u]n certain nombre de ces unités [de droits de polluer] sont allouées gratuitement aux entreprises œuvrant dans des secteurs exposés à la concurrence internationale, telles que les alumineries, les raffineries ou les entreprises du secteur de la métallurgie. [...] Les producteurs d’électricité ainsi que les distributeurs de carburant et de combustibles n’ont pas droit à des allocations gratuites. [152] » Devinez à qui cet équivalent d’une régressive taxe de vente sera refilé ? Car au bout du compte, le prix du « droit de polluer », étroitement contrôlé par le gouvernement qui émet chaque année ses « droits » dans une fourchette de prix minimum et maximum, est en fait une taxe sur l’essence élargie et glorifiée [153].
En pratique, l’association avec la Californie, que l’adjonction de l’Ontario ne fera qu’atténuer, permet d’y exporter à bon compte la pollution québécoise de GES :
« La liaison avec le marché californien permet aux entreprises québécoises d’avoir accès à un plus grand nombre de droits d’émission à meilleur coût. [...] la Californie a la possibilité de réduire ses émissions de CO2 à un prix moindre que le Québec. Cela est dû en grande partie à l’hydroélectricité. Environ 95 % de l’électricité produite au Québec est de source renouvelable, contre 30 % en Californie. Il y a donc un plus grand potentiel de réduction dans ce secteur, tout comme dans les domaines agricole et forestier. [...] « C’est comme si vous demandiez à quelqu’un qui est très en forme de perdre 15 % de son poids, ou si vous le demandiez à quelqu’un qui est obèse. Ce n’est pas comparable », soutient Claude Villeneuve. » [154]
Pour combler la mesure, SPEDE permet des « crédits compensatoires », soit des « droits d’émission à faible coût », du genre Mécanisme de développement propre, ailleurs que dans la zone couverte par l’accord à la hauteur de 8% des réductions totales [155]. Au printemps dernier, l’organisme COOP Carbone, dont le Fond’action CSN est l’un des membres fondateurs, a acheté de ces crédits qui « serviront à couvrir une partie des émissions de gaz à effet de serre (GES) [de] ses clients, des distributeurs de carburants [...] Ces crédits proviennent d’un projet de réduction de GES en milieu forestier dans l’Est des États-Unis [...] Cette transaction représente un gain pour les consommateurs de carburants au Québec puisque le coût de ces crédits est inférieur à celui de ceux vendus aux enchères. » [156]
Québec solidaire dénonce ce « scénario [...qui] prévoit que 40% des réductions se réaliseraient hors Québec par l’achat de crédits carbone (sic). Cela représenterait un transfert allant jusqu’à 325 millions $ par année vers d’autres juridictions, favorisant l’innovation ailleurs plutôt qu’ici ! » [157] On se demande alors pourquoi la direction du parti ne dénonce pas le marché du carbone tout court, tel que stipulé au programme depuis des années, ce qu’elle n’a jamais fait.
Le gain monétaire prévu de ce marché est fort modeste, soit à peine plus de trois milliards $ d’ici 2020 [158]. Selon la très modérée coalition écologique-syndicale TRANSIT, « [l]es besoins en matière de consolidation et de développement des réseaux de transports collectifs à travers le Québec sont estimés à quelque 30 milliards $, dont près des 2/3 au seul chapitre de la consolidation et du maintien des actifs (métros, autobus, trains de banlieue, infrastructures). » [159] Même le think tank GRAME, chaud partisan de l’écologisme néolibéral dont les écotaxes, admet que « SPEDE est une mesure insuffisante » par exemple largement neutralisée par la seule variance du prix de l’essence à la pompe. « Il faut donc l’accompagner de plusieurs autres interventions publiques » dont le développement du transport public et des politiques d’aménagement réduisant l’étalement urbain [160].
Pire, alors que ce produit de la vente des « droits de polluer » vont dans le dit « Fonds vert », TRANSIT doute de l’affectation pertinente des fonds :
« ‘‘La crédibilité du gouvernement du Québec en matière de soutien aux mesures de réduction des émissions dans le secteur des transports se révèle sérieusement compromise par ce qui porte les apparences d’un détournement par le Ministère des Transports du Québec de centaines de millions de dollars du Fonds vert vers des programmes visant le simple maintien d’infrastructures, sans réduction additionnelle d’émissions de GES’’, constate Philippe Cousineau Morin, coordonnateur à Transport 2000 Québec [un des membres de la Coalition TRANSIT »] [161]
Les écotaxes, visage à la mode du néolibéralisme
Le marché du carbone, comme sa sœur jumelle la taxe carbone dont la Suède est le fer de lance, fait partie de la panoplie de ses moyens appelés écotaxes dont s’entiche soudainement le gouvernement Libéral [162]. Ces écotaxes visent à modifier la structure des prix pour forcer les gens à acheter plus vert. Difficile d’être en désaccord avec le Ministre des finances qui donne l’exemple des « droits d’immatriculation additionnels sur les véhicules de forte cylindrée » surtout si c’est pour générer des revenus additionnels « qui seront recyclés dans l’économie ». À remarquer, cependant, qu’à se financer par le vice on finit par en dépendre.
Pourtant, moins d’une semaine auparavant, le Ministre des transports s’opposait aux péages sur les ponts aux heures de pointe, un autre type d’écotaxe [163] à la suédoise. Peut-être que le ministre, comme le maire de Montréal, songeait-il au « trou de beigne » que cette mesure pourrait causer à Montréal mais ce n’est pas la raison que le ministre a invoquée. Pertinemment, il a songé aux automobilistes en posant la question :« Qu’est-ce qu’on offre comme alternative ? » Comme quoi les représentants du patronat traditionnel savent résister à leurs collègues modernistes même en utilisant des arguments de gauche. Les péages sur les ponts, contrairement aux taxes supplémentaires sur les grosses cylindrées ou les grandes maisons unifamiliales, peinturent dans le coin la plupart des automobilistes aux moyens financiers réduits pour qui il n’existe présentement pas d’alternative de transport collectif adéquat en termes de temps de navettage, de fréquence et de coût.
La Commission de l’écofiscalité du Canada propose un péage sur les ponts des quatre plus grandes villes canadiennes. Cette commission « est un organisme indépendant [sic] financé par le secteur privé et appuyé par un comité consultatif qui réunit notamment le fondateur du Parti réformiste, Preston Manning, l’ancien premier ministre libéral du Canada Paul Martin, l’ancien premier ministre libéral du Québec Jean Charest et le président et directeur général de Suncor Énergie, Steve Williams. » [164] C’est tout dire sur son caractère de classe... et Libéral. Bon timing comme message au petit dernier Trudeau, nouveau Premier ministre du Canada.
Pour ces messieurs — cherchez la dame — « l’eau, l’air, [...] les gens s’en servent comme s’il n’y avait aucun coût, alors que c’est complètement faux. L’écofiscalité [...] mise sur la tarification de ces biens collectifs. Le pari, c’est qu’en leur donnant une valeur marchande, on arrive à faire prendre conscience à la population que ces ressources ne sont pas sans limites. » [165] C’est tout dire sur le tout marché comme cadre général des politiques écologiques. Par la pollution, l’air et l’eau deviennent des biens communs « rares » ? Presto, par les « droits de polluer » ou par la taxe carbone ou autre tarif, on les transforme en marchandises. Les routes, et pourquoi pas les hôpitaux et les écoles, sont des services publics devenant « rares » sous le néolibéralisme ? Et pouf, les voilà des marchandises. Leur privatisation n’est pas loin.
Les intellectuels organiques du 1% ne sont pas sans se rendre compte que le remède de cheval de l’austérité risque de nuire à la rentabilité capitaliste. La compétitivité exige des infrastructures adéquates et à niveau, fort coûteuses, et des programmes de formation de main d’œuvre pour réduire les faux frais des entreprises et attirer ces fameux investissements étrangers que tous les gouvernements recherchent éperdument. Ce dilemme, les pays scandinaves comme la Suède l’ont peut-être mieux résolu en recourant aux écotaxes, comme substituts aux impôts sur le revenu des entreprises et des personnes, pour se refaire une beauté sans faire de déficits.
Si le but recherché est la compétitivité de l’économie québécoise ou canadienne, le modèle suédois se révèle attirant. Mais il y a un hic... ou plutôt deux. Pour être un « gagnant » du marché global, les modèles suédois doivent rester des exceptions. En un mot, c’est une course sans fin qui pour le peuple, c’est le deuxième hic, signifie plutôt une course vers le fond du baril (le rat race) dont les régressives écotaxes se substituant au progressiste impôt sur le revenu, sur le profit et sur le capital sont un aspect. D’où cette montée des partis populistes anti- immigrant dans tous les pays scandinaves, sauf la petite Islande, en réaction à cette frustration du rat race sur fond d’approfondissement du néolibéralisme [166].
Ce néolibéralisme écologique résout-il la crise climatique ? Le relatif succès économique scandinave, dû au caractère exceptionnel du modèle, lui a donné les moyens d’investir massivement dans les politiques écologiques, ce qui a donné certains résultats. Rien à voir avec les écotaxes, tout à voir avec l’ampleur des investissements qui peuvent tout aussi bien être financés par une fiscalité redistributive et un système financier socialisé. Pour le peuple québécois, s’emparer de ces moyens financiers et contrôler les moyens de transport des hydrocarbures, signifie faire l’indépendance.
ANNEXE 4 : Taxe carbone : le cas dit exemplaire de la Suède
Le marché du carbone et la taxe sur le carbone sont les deux côtés de la même médaille de la soumission au marché. Ce marché est contrôlé par une poignée de transnationales dont 90 d’entre elles sont responsables d’un peu moins des deux tiers des GES historiques (1854-2010) [167]. Pour corriger cette « externalité » non prise en compte par le marché — petite imperfection car à part ça « tout va très bien madame la marquise » — les deux politiques supposent une intervention étatique forçant ces transnationales à modifier leurs comportements. Le marché du carbone fixerait l’offre de carbone, c’est-à-dire des « droits de polluer », laissant la détermination de son prix au marché. La taxe du carbone fait le contraire. Selon la théorie des prix, ce serait le « choix du consommateur » qui obligerait ces transnationales et entreprises émergentes à modifier le « panier du consommateur » vers un assortiment de produits et services plus léger en carbone.
Dans ce monde virtuel sans classe, sans genre et sans nation, non cimenté de collectifs, complètement a-historique, né d’une abstraction mathématique, surgit quand même une difficulté. À quel niveau fixer au départ le prix d’un « droit de polluer », pour la taxe du carbone, ou bien de la quantité de droits de polluer, pour le marché du carbone ? À quel rythme doit ensuite évoluer cette taxe ou cette quantité de « droits » ? Il n’y a aucun moyen d’échapper à ces deux questions. Supposons le plus simple des systèmes mathématiques, la droite ’y = a + bx’. Pour tracer cette droite dans le plan xy (la société), il faut un point de départ ’a’ (un prix ou une quantité) et une pente ’b’ (un rythme). Ces deux données ne peuvent être générées par la théorie. C’est « l’extérieur » qui les fournira, soit le pouvoir politique incarné dans l’État qui concentre l’évolution des rapports sociaux issus de l’histoire faits de contradictions de classe, de genre et nationales.
Se pose la question de la capacité de l’État d’imposer ses politiques ’a’ et ’b’. Étant donné l’urgence climatique, l’État devra imposer un prix ou une quantité (’a’) élevé au départ de même qu’un taux de croissance (’b’) élevé de ce prix ou de cette quantité. Les complexes mondial auto-pétrole- bungalow et québécois asphalte-bois-ciment, tous deux baignant dans la finance, freinent des deux pieds. Le parti-pris pétrole bitumineux de tous les grands partis canadiens, pas seulement les Conservateurs, celui pétrole de schiste de tous les partis québécois, pas seulement les Libéraux, sauf Québec solidaire mais qui tergiverse sur le pétrole conventionnel, révèle la force du premier complexe. Les révélations de la Commission Charbonneau ont démontré la force du deuxième complexe au Québec.
Ces influences délétères pénètrent profondément les structures étatiques, par exemple le Ministère des transports, indépendamment de tout résultat électoral. Elles le font par les moyens du financement des partis, du parti pris des monopoles médiatiques, du chantage de la cote de crédit, du mécanisme des portes tournantes avec les grandes firmes de la finance et des services à l’entreprise pour le recrutement du haut fonctionnariat et de leur formatage idéologique par les départements d’études supérieures en sciences sociales. En résulte la faillite des marchés du carbone européen et onusien (mécanisme de développement propre) [168].
Il en est de même pour la taxe carbone. Il suffit d’examiner le succès suédois souvent donné en exemple. Les émanations de GES d’origine énergétique de ce pays ont décru de 23% de 1990 à 2012 [169]. « La principale raison de ce succès, disent les experts, est l’introduction d’une taxe carbone en 1991 » [170]. Il est exact qu’au niveau de l’OCDE, la Suède est le bon élève de la classe. Il faudrait cependant souligner que la crise économique de 2008 a causé une baisse non volontaire des émanations de GES en Suède comme dans les autres pays européens et au Québec. On note le recul de la production énergivore des pâtes et papier, de la sidérurgie et de l’industrie chimique. Ajoutons-y une bonne pluviosité ayant permis un plus grand recourt à l’hydroélectricité [171]. En conséquence, de 2008 à 2012, la baisse des GES d’origine énergétique fut en Suède de 9%.
Ce qui frappe de prime abord dans le cas suédois c’est que cette taxe sur le carbone a été instauré en 1991, en pleine crise économique et financière, par un gouvernement de droite dans le cadre d’une réforme fiscale typiquement néolibérale :
La taxe carbone fait partie d’un ensemble plus large de la réforme fiscale, qui consistait en des taux marginaux d’imposition moins élevés sur capital et sur le travail, en la suppression des abris fiscaux et en l’élargissement de l’assiette de l’impôt sur la valeur ajoutée. La réforme globale était globalement régressive : les réductions d’impôt pour les groupes à revenu supérieur étaient plus importantes que pour les groupes à plus faible revenu.
Les estimations montrent que les réductions d’impôt se sont élevées à 6% du PIB tandis que les hausses d’impôt liées à l’énergie à environ 1% du PIB (Commission suédoise sur la fiscalité verte (1997)). La réforme impliquait donc une réduction de la pression fiscale pour le ménage ou pour l’entreprise moyenne, ce qui a facilité l’introduction de la taxe carbone.
Cette réforme conjuguait les intérêts néolibéraux et la majorité environnementaliste et reflétait l’accord du parti au pouvoir et de l’opposition « sociale- démocrate » au parlement suédois. Cet accord fit en sorte que le Parti social-démocrate, de retour au gouvernement en 2001, bonifia la taxe carbone pour les ménages tout en épargnant « certaines entreprises, surtout celles soumises à la compétition internationale. [Elles] paient actuellement 34 € / tonne, un quart du prix général. L’écart est toutefois destiné à être réduit [...] d’ici 2015. » [Voir le tableau dans l’article original de l’auteur]
« Néanmoins, les émissions industrielles dans certains secteurs comme le ciment, les aciéries ou les raffineries ont augmenté sur la période [1990-2008, NDLR]. [...] En outre, si l’on tient compte des émissions liées à la déforestation, les émissions totales de CO2 ont augmenté de 19% en Suède au cours de la période. » [172] : [Voir le tableau dans l’article original de l’auteur]
Finalement, à terme, le bilan de GES suédois est à peine supérieur à celui canadien malgré l’astuce du ministre suédois de l’environnement [173] de s’en tenir aux seules émanations de GES issues de hydrocarbures, laissant tomber les usages du sol dont l’important secteur, en Suède, de la foresterie. Même ce bilan reste incomplet car au-delà des émanations provenant du territoire suédois proprement dit, il faudrait compter les GES nets importés afin de mesurer « l’emprunte carbone » :
« Les impacts globaux du changement climatique des citoyens suédois sont 17% plus élevés que ceux suggérés par le compte d’émission territoriale et donc à moins que le compte d’émission territoriale soit ajusté pour inclure les émissions incorporées dans les produits échangés mais consommés en Suède, la contribution de la Suède au changement climatique, comme pour la plupart des autres pays industrialisés, va être sous-estimée. » [174]
Pourtant, on se dit que le prix pénalisant des « droits de polluer » pour les ménages, de loin le plus élevé au monde [175], a dû provoqué une réduction des GES dans cette sphère :
« D’importants investissements d’infrastructures publiques dans les réseaux de chauffage urbain et la production d’énergie renouvelable ont également été menées dans les années 1990. Sans ces investissements, les ménages et les entreprises auraient été coincés dans les anciennes infrastructures ou technologies — ils auraient été « piégés » dans des systèmes de chauffage à forte intensité en carbone. Il est très probable que les acteurs privés auraient été plus réticents à investir dans de telles infrastructures si tôt. Les investissements soutenus par les pouvoirs publics ont ainsi assuré le succès de la transformation. » [176]
Et voilà que le chat sort du sac ! À la fin, ce sont les investissements publics qui ont fait la différence en ce qui concerne les GES émanant des hydrocarbures avant que la crise de 2008 ne prenne la relève. On pourrait en conclure qu’au moins la régressive taxe sur le carbone payée par les ménages [177] a financé ce gain partiel tout en étant supportable étant donné les baisses d’impôt sur le revenu et sur les cotisations sociales même si les entreprises et les riches en ont profité davantage... tout en oubliant les drastiques coupures dans les services publics et les programmes sociaux fort importants en Suède durant cette période. Même cette heureuse conclusion tordue n’est pas si évidente.
La Suède compte sur une production d’électricité libre d’émanations de GES grâce à l’hydroélectricité... et au nucléaire : « [La production d’électricité en 2012] s’est répartie en 48 % d’hydroélectricité, 38 % de nucléaire, 4 % d’éolien et 10 % de thermique, pour l’essentiel en cogénération à base de biomasse... » Et il n’est plus question, comme en Allemagne, d’abandonner à terme le nucléaire suite à la catastrophe de Fukushima :
« En 2009, le gouvernement de centre droit décida de lever le moratoire sur l’énergie nucléaire, poussé par une opinion publique plutôt favorable au nucléaire du fait des faibles émissions de gaz à effet de serre. En 2010, une courte majorité parlementaire adopta cette décision autorisant le remplacement des réacteurs actuels par des réacteurs plus modernes lorsque ceux-ci sont en fin de vie » [178].
Mais ne faut-il pas se réjouir de la croissance des biocarburants dans les systèmes urbains de chauffe/climatisation collective, pour éviter aux ménages de payer la taxe sur le carbone ?
« Historiquement, le pétrole représentait la principale source d’énergie des réseaux de chaleurs, atteignant 90 % en 1980. La situation a fortement changé par la suite : la biomasse est largement en tête, représentant 69 % des combustibles utilisés en 2012 (avec les déchets et la tourbe), les pompes à chaleur : 9 %, la récupération de chaleur : 7,5 %, soit une part totale de 86 % pour les énergies renouvelables (bien que la tourbe ne devrait pas être comptée dans les renouvelables)... [179]
Mais il y a un hic :
« ...les biocarburants ont été critiqués pour avoir causé une perte de biodiversité, en plaçant une pression accrue sur les ressources en eau, en ajoutant à la déforestation et à enlever des terres qui pourraient nourrir une population mondiale croissante [180]. »
Reste le système de transport qui, comme au Québec, occupe une part grandissante dans le bilan suédois de GES, une hausse des émanations de GES de près de 80% en 40 ans [181] qui continue. À coups de hausse de la performance énergétique des automobiles, de douteux biocarburants largement subventionnés et d’augmentation rapide du diesel « plus efficace » que l’essence... et générant plus de pollution masquée par la fraude, la contribution en GES des automobiles est parvenue à baisser malgré l’accroissement du nombre d’autos. Mais, comme au Québec, il n’en est pas de même des poids lourds dont les émanations de GES croissent : [Voir le tableau dans l’article original de l’auteur]
La taxe carbone a finalement peu influencé la performance dite exemplaire de la Suède. Ce sont les investissements et les subventions étatiques qui ont joué ce rôle. Dans la mesure où la Suède s’est libéré des hydrocarbures ce fut pour leur substituer de douteux biocarburants, biomasse, diesel et gaz naturel sans compter le maintien du nucléaire. Par contre, la taxe carbone a servi de fer de lance idéologique et matériel pour la contre-réforme fiscale néolibérale amorcée il y a 25 ans. Redistribuer substantiellement ou même totalement [182] de manière progressiste la taxe du carbone. Il faudrait alors financer autrement les interventions étatiques à moins d’y renoncer pour laisser au seul marché la solution du problème.
ANNEXE 5 : Le Plan vert Solidaire promeut les subventions aux pollueurs
Le Plan vert pour « sortir du pétrole » évite l’affrontement avec le capital des secteurs énergivores de la fabrication et du transport des marchandises. Si le transport en général est le maillon faible québécois de l’enjeu des GES, le transport des marchandises en est le tendon d’Achille. « Depuis 20 ans, les camions lourds sont le mode de transport qui a connu la plus forte augmentation (154 %) de consommation d’énergie au Québec, essentiellement du diesel, alors que la population québécoise croissait de 12 % seulement durant cette période. Entre- temps, le nombre de camions légers utilisés pour le transport de marchandises a augmenté de 137 % et l’indice tonnes-kilomètres progressait de 149 %. [...En résulte que ce sous-secteur est responsable de] 40 % du pétrole consommé et des émissions de GES du secteur des transports » [183]
Selon le Plan vert, au cours des cinq prochaines années, « Québec solidaire entamera des discussions avec les utilisateurs du transport de marchandises par route pour envisager avec eux les solutions de remplacement les plus fonctionnelles (cabotage, train, véhicules écoénergétiques, etc.) et les meilleurs moyens de les développer et de les encourager. » Il faudra ensuite attendre après 2025 pour qu’enfin « [p]lusieurs mesures [soient] mises en place pour accompagner les entreprises dans la transformation du secteur des transports. Les subventions à l’achat de véhicules électriques et les crédits d’impôt pour les entreprises privilégiant des modes de transport sans pétrole feront éventuellement place aux normes forçant les compagnies à adopter un certain ratio de transport éco-énergétique des marchandises. » Plus on pollue, plus on est subventionné.
En plus de cette aide pour le transport des marchandises, le Plan vert en prévoit aussi pour les processus industriels : « L’aide sectorielle accordée par la gouvernement de 2015 à 2020 offrira un soutien essentiel au secteur industriel, responsable de 33 % des émissions de GES ». Le Québec est déjà le champion canadien des subventions aux entreprises [184]. Il ne faudrait pas que ce soit un parti de gauche qui en rajoute tout en se contredisant. On est en effet aux antipodes de la prise de position officielle du parti : « Quant aux grandes entreprises, QS affirme ’’qu’il ferait le ménage’’ en ce qui concerne les subventions, les crédits d’impôt et les tarifs préférentiels d’électricité qui sont actuellement accordés aux minières et aux alumineries [185] ».
Marc Bonhomme