Pour beaucoup à gauche, le PS aura assumé au cours de ces cinq dernières années avec méthode et constance son rôle de « gardien intérimaire de l’ordre établi » pour rependre l’expression du philosophe Alain Badiou. Il aura fait, pourrait-on dire, le « sale boulot », ce pourquoi les « décideurs » persistent à lui reconnaître une vocation gouvernementale. Pour eux, la « gauche » au pouvoir, cela demeure « la droite, la paix sociale en plus ». Le Parti socialiste au pouvoir aura continué à procéder aux réformes structurelles présentées par ces défenseurs comme autant de nécessités impérieuses pour que « l’entreprise France » maintienne son rang dans l’économie-monde : modération salariale imposée par l’État aux fonctionnaires et aux smicards au nom de la lutte contre les déficits et le « coût du travail », accélération du processus de réorganisation néolibérale du travail avec l’Accord national interprofessionnel (ANI), affermissement de la « gangue européenne », qui bride la souveraineté populaire, avec le vote honteux du Traité européen de stabilité budgétaire (TSCG), la réforme programmée du droit du travail qui semble vouloir repousser toutes les limites dans l’ignominie…le PS au pouvoir aura été fidèle ces quatre dernières années à son histoire, longue litanie de ralliements, de renoncements, de démissions en tous genres.
Un François Hollande fidèle à lui-même…
Contrairement à nombre de ses camarades socialistes, qui ont milité dans le champ politique radical au cours de leur jeunesse, avant d’abjurer définitivement leur foi révolutionnaire et de se rallier au consensus capitalo-présidentialiste, François Hollande, n’ayant jamais épousé une quelconque espérance révolutionnaire, ne pourra être accusé d’être un apostat. Devenu Président de la République, il a entrepris la politique à laquelle il a toujours cru et cela depuis les années 1980. En effet, alors qu’il n’était encore qu’un jeune trentenaire, conseiller au service du cabinet des porte-paroles de la présidence, il ne manqua pas de célébrer avec enthousiasme, dans des entretiens ou dans le cadre d’un ouvrage collectif intitulé « La gauche bouge » sorti en 1985, le cours néolibéral à l’œuvre depuis juin 1982 et la mise en œuvre du plan Delors.
Dans ce livre coécrit avec trois de ses amis, dont l’actuel ministre de la Défense, François Hollande demandait, au nom du réalisme politique le plus glacé, que le PS rompit définitivement avec les « vieilles lunes de l’union des gauches » en profitant du déclin accéléré et irrémédiable du PCF. Il souhaita que le PS élabore en réaction une nouvelle stratégie d’alliances en s’ouvrant au centre et surtout assuma son engagement plein et entier en faveur de la « nouvelle raison du monde », à savoir le néolibéralisme, en continuant à accomplir les réformes structurelles que la droite, elle-même, n’avait jamais osé entreprendre : « En réhabilitant non sans opportunité, l’entreprise et la réussite, la gauche, avec l’ardeur du néophyte, retrouve des accents que la droite n’osait plus prononcer, depuis des lustres, de peur d’être ridicule ». L’enjeu était bien de concurrencer la droite sur son propre terrain, celui de la gestion sérieuse et loyale des intérêts « des décideurs » et de montrer que la gauche était tout autant légitime que la droite à gouverner dans la durée.
A ce moment-là, le deuxième gouvernement de Pierre Mauroy, auquel participaient quatre ministres communistes, imposa le blocage des prix et des salaires pour quatre mois, et cela après avoir assumé une première dévaluation et quelques mesures rigoureuses dès l’automne 1981. Ce blocage devait préparer les esprits au retournement de tendance qui consacrerait la fin du pari de la relance de type keynésienne. L’heure fut alors à la subordination de la politique gouvernementale au seul respect des grands équilibres économiques, à la modération salariale imposée au nom de la lutte contre le péril inflationniste, à la modernisation au forceps de l’appareil productif français au prix d’importantes saignées pour la classe ouvrière industrielle, au dégraissement de « l’État », à la restauration des profits des entreprises qu’on disait vouloir réhabilitées dans l’opinion, à l’héroïsation des entrepreneurs présentés comme les nouveaux héros des temps modernes prêts à prendre tous les risques pour avoir un destin de gagnant.
« Le capitalisme borne désormais notre horizon historique »
Trente ans ont passé depuis ces « années cauchemars » et François Hollande est devenu le chef d’orchestre de cette politique à laquelle il a toujours cru sincèrement. Avec lui, pas de faux suspense, pas de coming-out à redouter. Il a été en tant que Président de la République ce qu’il n’a au fond jamais cessé d’être. Aussi il paraît pathétique de s’émouvoir aujourd’hui de ce cours politique néolibéral, de faire sa vierge effarouchée devant une telle politique scélérate. Non, il n’y a vraiment rien d’étrange dans ce qui a été fait ces quatre dernières années, contrairement à ce qu’a pu écrire un Laurent Mauduit dans un ouvrage publié début 2013 dans lequel il laissa éclater sa colère devant ce qu’il assimila à une véritable « capitulation ». En réalité, et cela en dépit de sa mémorable sortie sur la finance un certain 28 janvier 2012 au Bourget, qu’il récusa d’ailleurs quelques jours après en vantant, dans le Guardian le 14 février 2012, la gauche au pouvoir qui avait su libéraliser, privatiser, il y avait bien peu à espérer de lui. Mais de manière générale, il y avait bien peu à espérer de son parti rallié officiellement au consensus capitalo-présidentialiste depuis au moins décembre 1991 et le congrès de l’Arche de la Défense qui se déroula au lendemain de la disparition de l’URSS, et au cours duquel il fut écrit dans le principal texte d’orientation approuvé par 84% des congressistes que : « Le capitalisme borne désormais notre horizon historique ».
Le PS n’est plus à gauche…depuis les années 1980 au moins.
Non le PS n’a pas changé depuis 2012. François Hollande n’a fait que renouer avec le fil des expériences gouvernementales passées. En effet, cette orientation subordonnant la politique au seul respect des grands équilibres économiques, le « fameux carré magique » de Kaldor, était un futur largement prévisible. Laurent Mauduit et d’autres avec lui espéraient sans doute que François Hollande, à l’instar de François Mitterrand à la suite de son élection le 10 mai 1981, en vienne à créer à son tour l’illusion, même un temps. Autrement dit, qu’il ait au moins la décence de récompenser son électorat qui lui avait permis de triompher de son adversaire en mettant en œuvre le « changement sans effort », c’est-à-dire un certain nombre de réformes réellement progressistes, comme cela avait été le cas avec François Mitterrand jusqu’en juin 1982. En réalité, contrairement à François Mitterrand, rien dans le programme de François Hollande ne pouvait laisser présager sérieusement un tel scénario et ce n’est sûrement pas son slogan « Le changement, c’est maintenant », énoncé dans l’espoir à la fois de donner des gages à son électorat et aux milliers de « petites mains » qui s’apprêtaient à entrer en campagne et de se démarquer de son adversaire, « le Président des riches », qui aurait pu nous abuser.
Certains au sein de la gauche radicale n’ont eu de cesse de se complaire dans les jérémiades, se lamentant du cours politique actuel, comme s’il aurait pu en être autrement avec François Hollande président de la République. En réalité ce qui aurait été particulièrement surprenant, c’est si François Hollande avait renoncé, en dernière analyse, à faire dès le départ le choix de la politique à laquelle il a toujours cru viscéralement et cela depuis les années 1980. Encore une fois, il a toujours été pro-capitaliste et néolibéral, il ne s’en est jamais caché et n’a pas attendu sa fameuse conférence de presse du 14 janvier 2014 pour faire son « comin-gout social-démocrate », comme les médias et les commentateurs ont pu le qualifier sans rire. Ainsi, trente ans après la victoire de François Mitterrand qui mit fin à 23 années d’exercice du pouvoir sans discontinuer des droites, le Parti socialiste vint à occuper à nouveau la « maison du pouvoir ». Et comme il y a trente ans, ce fut pour y conduire une politique favorable aux intérêts des décideurs, une politique radicalement pro-business. En réalité, la réelle mutation a eu lieu lors du premier septennat de François Mitterrand lorsque le PS a décidé en toute conscience de renoncer définitivement dans les faits, mais aussi dans les mots à tout projet de transcendance sociale, à l’idée même qu’une autre organisation de la société que le capitalisme fut envisageable, préférant désormais subordonner sa politique à une saine et sérieuse gestion du mode de production capitaliste avec lequel le PS appelait encore à rompre en cent jours dans les résolutions votées majoritairement au congrès de Metz en 1979, lorsque François Mitterrand triompha de son rival Michel Rocard, incarnation de la « gauche américaine » selon le CERES.
PS, alternance, Mitterrandiisme, abjuration idéologique, mouvement ouvrier
L’accession au pouvoir des socialistes, cette première alternance dans l’histoire de la Ve République, constitua une épreuve de vérité pour le Parti socialiste. En effet, avec l’accession au pouvoir, la question « des choix » se posa, comme celui emblématique de mars 1983 : sortir le franc du SME ou sacrifier la justice sociale sur l’autel de la poursuite de la construction européenne ? Le dilemme fut tranché dans le sens que l’on sait. Décidant de prendre une part active au processus de remise en cause du « compromis social-démocrate », qui régula les rapports salariaux au cours de cette anomalie historique qu’on a nommée les « Trente Glorieuses », le PS ne sera plus jamais considéré, à partir de ce moment-là, comme un parti ouvrier.
Bien sûr, les forfaitures socialistes étaient déjà innombrables avant le retour des socialistes aux affaires en 1981 (le « socialisme de guerre » entre 1914-1918, le refus obstiné de s’engager dans un processus de rupture en 1936 au nom de l’opposition faite par Léon Blum entre « exercice du pouvoir » et « conquête révolutionnaire du pouvoir », le vote des pleins pouvoirs de la majorité des députés socialistes au Maréchal Pétain en juillet 1940, les guerres pro-coloniales à Madagascar, en Indochine ou en Algérie, la répression des mineurs en 1947 par Jules Moch…), bien sûr aux yeux des marxistes révolutionnaires, fidèles aux analyses de Lénine et de Rosa Luxembourg, l’ensemble des partis sociaux-démocrates avaient fait la preuve de leur faillite complète depuis août 1914 et leur capitulation sans combat devant la guerre inter-impérialistes qui broya pendant quatre années les classes ouvrières des pays du continent européen. Cependant, en dépit de ce très lourd passif, cette expérience Mitterrandienne, perçue justement par nombre de travailleurs comme une véritable démission historique, constitua un des principaux tournants dans l’histoire du mouvement ouvrier en France. Ainsi, avec plusieurs décennies de retard, le Parti socialiste décida avec François Mitterrand de rejoindre ses homologues européens à l’intérieur du consensus pro-capitaliste. L’abjuration idéologique fut totale.
Trente ans après, François Hollande a décidé de s’inscrire dans cette continuité. Il n’innove absolument pas. Pour se convaincre, il faut juste prendre la peine de relire les discours, les déclarations prononcées par les dirigeants socialistes après juin 1982. On retrouve déjà à l’époque les mêmes obsessions que celles de nos dirigeants actuels : la compétitivité-prix, libéraliser les secteurs protégés, aider les entreprises à rétablir leurs taux de profits en faisant en sorte que le partage de la valeur ajoutée soit plus favorable au capital, l’équilibre de la balance commerciale, celui des déficits publics, la lutte contre les rigidités du marché du travail, la fiscalité prédatrice, le bien-être des décideurs français et étrangers. Il n’y a que la question de l’inflation galopante, jugulée par le gouvernement de Pierre Mauroy et Laurent Fabius, qui n’est plus d’actualité, même si demeure le principe monétariste de la nécessité d’une inflation extrêmement faible. La coupe est donc pleine depuis longtemps.
CICE, ANI, Pacte de responsabilité, retraites… les réformes se sont succédées depuis quatre ans. Il nous faut donc partir simplement de tout ce passif pour pouvoir justifier l’excommunication du PS de la gauche. Léon Trotski n’avait de cesse de répéter que la politique avait besoin de clarté, de netteté, de délimitation claire pour être lisible et par là même compréhensible par le plus grand nombre des travailleurs. Nous ne pouvons plus nous en tenir à un entre-deux mortifère que Marine le Pen n’a de cesse d’exploiter politiquement en désignant la gauche radicale comme « la voiture balaie du PS », elle qui assume une posture redoutable, celle du « ni gauche, ni droite », en expliquant que le véritable clivage dans le champ politique ne se situe plus entre gauche et droite, mais entre les mondialistes / ultralibéraux / européiswtes /immigrationnistes et les patriotes / souverainistes / identitaires.
Contrairement à son père dans les années 1980, Marine Le Pen ne cherche pas, jusqu’à présent en tout cas, à incarner une « droite nationale, social et populaire » qui aurait pour ambition d’être une « vraie droite », à l’inverse des partis de la droite traditionnelle que Jean-Marie le Pen aimait stigmatiser en les assimilant à la « droiche ». Marine Le Pen souhaite apparaître comme une alternative aux partis à vocation gouvernementale en se maintenant, au risque de ne jamais triompher de la règle majoritaire, à équidistance d’eux, en assumant pleinement son indépendance à l’égard de ceux dont elle fustige sans cesse les propositions. Nombre de Français sont sensibles au fait que les stratégies d’alliances du FN apparaissent comme le reflet de ses critiques acerbes à l’encontre du « système ». Ils les perçoivent comme la preuve d’une vraie cohérence politique. Les succès électoraux du parti de Marine Le Pen de ces dernières années sont aussi la conséquence de cette position d’extériorité à l’égard d’un « système politique » qu’elle dit honnir pour les afflictions, les humiliations qu’il ferait subir au peuple français.
« Être de gauche, c’est être anticapitaliste, voilà le mot d’ordre ! »
Nous devons tirer toutes les conséquences de nos critiques récurrentes à l’encontre du PS. Aussi convient-il de donner une définition suffisamment précise de la notion de « gauche » qui puisse rendre possible une délimitation claire entre ceux qui peuvent y faire légitimement référence et ceux dont il faut en dénier absolument le droit.
Il nous faut affirmer que « celui qui ne consent pas à la rupture, violente ou pacifique, avec la société capitaliste mortifère, renonce à porter un projet de transcendance sociale, à considérer ni possible ni souhaitable un horizon post-productiviste et post-consumériste, celui-ci ne peut pas prétendre appartenir à la gauche ». Pour le dire plus simplement, il faut assumer l’idée simple et compréhensible selon laquelle « être de gauche, c’est être anticapitaliste, c’est être révolutionnaire » dans ses intentions, quelles que soient les divergences qui peuvent exister au sujet des modalités d’accession au pouvoir central, soit par la règle majoritaire dans le cadre des institutions établies ou bien par la voie extraparlementaire par l’outil des grèves des salariés avec la construction d’une situation d’exception politique de dualité des pouvoirs.
En décidant à partir des années 1980 d’inscrire définitivement son « dire » et son « faire » à l’intérieur du consensus capitalito-présidentialiste, le Parti socialiste a rompu sciemment avec le réformisme au sens historique du mot et par voie de conséquence s’est mis de lui-même en dehors du champ de la gauche. Encore une fois ce ne sont pas les organisations révolutionnaires qui ont exclu le PS de la gauche, ce sont bien les dirigeants socialistes, par leurs choix iniques, leurs innombrables forfaitures qui se sont mis « hors normes », pour reprendre l’expression fameuse de Daniel Bensaïd dont l’absence est chaque jour ressentie comme envahissante.
Pour être encore plus clair, nous pourrions recourir au syllogisme suivant : « Etre de gauche, c’est être anticapitaliste. Le PS est pro-capitaliste. Le PS n’est donc plus de gauche ». D’aucuns ne pourront souscrire à de tels énoncés qu’ils assimileront à un « gauchisme vulgaire ».
Si nous ne sommes pas comparés aux Partis communistes de la dite « troisième période » et amalgamés de leur cours ultra-sectaire, nous aurons de la chance. Ces mêmes ne veulent même pas entendre parler de la théorie « des gauches irréconciliables » qui, même insuffisante, a néanmoins le mérite de mettre fin à la perspective d’une quelconque politique de « front unique » entre les organisations révolutionnaires et le PS. Aussi, est-il inutile d’essayer de persuader « l’aile gauche » du PS. Celle-ci dépense depuis des années une énergie folle à vouloir redresser le PS, « à l’ancrer résolument à gauche », ou pour les moins ambitieux à faire en sorte que son centre de gravité politique ne se déporte pas trop vers la droite. Et ce alors que celui-ci peut, d’ici quelques années à peine, avoir achevé sa « mutation démocrate » sous l’impulsion notamment d’un Manuel Valls appelé à exercer un rôle de leadership pendant de nombreuses années, même en cas de retour du PS dans l’opposition après 2017. Ces militants de « l’aile gauche » prétendent jouer le rôle de garde fou, expliquant inlassablement que, sans leur présence salutaire et leur combat acharné, le PS serait encore plus à droite qui ne l’est à présent. Or, en quoi leurs présences et leurs actions au sein du PS ont été utiles pour empêcher, même retarder, la contamination du PS par les idées de la révolution conservatrice ? Comment le soutenir honnêtement, alors que tout dans le développement historique récent démontre le contraire et ce jusqu’à la nomination de Manuel Valls au poste de Premier ministre au lendemain de la déroute historique aux élections municipales en 2014 ? Il faut le dire et le répéter autant de fois qu’il le faudra : le redressement du PS est une pure chimère. Aussi continuer à s’y consacrer constitue une perte incroyable de temps et d’énergie.
Dans le cadre de cette offensive contre le PS, il nous semble urgent de publier une tribune qui pourrait être signé par nombre d’intellectuels reconnus pour leur engagement à gauche et qui pourrait s’intituler « Le PS, c’est aussi la droite ! ». Déjà sous Lionel Jospin, une tribune intitulée « Pour une »Gauche de Gauche" avait été rédigée par Pierre Bourdieu, Christophe Charle, Bernard Lacroix, Frédéric Lebaron et Gérard Mauger et publiée dans Le Monde du 8 avril 1998. Recommençons ! Recommençons ! Cela pourrait nous permettre de reprendre l’initiative. Ainsi, nous pourrions, au travers cette tribune, réaffirmer à la fois l’incompatibilité idéologique fondamentale qui existe entre la gauche révolutionnaire et le PS et le fait que ce dernier ne peut plus être considéré comme appartenant à la gauche au regard de son programme et de la politique qu’il met en œuvre à chaque fois qu’il arrive aux responsabilités. Pour qu’une telle position soit tenable, cela implique évidemment de renoncer à toute politique de désistements sans condition en sa faveur, comme cela avait été encore ordonné aux électeurs du Front de gauche par Jean-Luc Mélenchon lui-même au soir du premier tour de l’élection présidentielle au nom du mortifère « Tout Sauf Sarkozy ». Seul le cas, hautement improbable, où il serait avéré que le FN eut été en mesure de l’emporter face à un candidat socialiste dans le cadre d’un second tour d’une présidentielle pourrait nous amener à nous reporter collectivement sur le candidat socialiste pour empêcher le FN d’accéder à la présidence de la République.
Nous ne pouvons plus être en permanence en train de soutenir le soi-disant « moins pire » pour éliminer ce qui nous apparaît comme le « pire », au risque de nous enfermer, comme nous le faisons depuis des décennies déjà, dans une logique infernale qui n’est que la conséquence et l’expression paroxystique de la faiblesse structurelle de notre camp. C’est à cause de cette attitude inconséquente que Marine Le Pen a pu traiter publiquement Jean-Luc Mélenchon de « voiture balais du PS » pendant la campagne présidentielle de 2012, sous entendant qu’il n’avait pas d’autres fonctions que celle pathétique de « rabatteur de voix » pour contribuer à la victoire du seul candidat de « la gauche » en mesure de l’emporter. Pour ne plus avoir à subir ce genre de procès par celle qui assume un rejet commun des deux partis majoritaires, il nous faut défendre à notre tour une stratégie de choc à l’égard du PS, sans pour autant tomber dans la caricature et sans être dans le mensonge. Nous n’en avons d’ailleurs nullement besoin au regard de la réalité implacable qui nous ait offerte. L’enjeu, ici, n’est évidemment pas de nous draper d’une quelconque pureté révolutionnaire, mais de dire et redire encore et encore notre vérité aux travailleurs au sujet du PS, de systématiser toutes les critiques que nous formulons à son égard depuis des décennies, et d’en assumer par là même, toutes les conséquences sur le plan politique.
L’objectif dans la période actuelle ne peut évidemment se résumer à taper toujours plus fort sur le PS. Les dernières échéances électorales ont apporté, une fois de plus, la preuve qu’il ne suffit plus pour la « gauche de gauche » ni de parler « cru et dru », ni de se définir simplement en tant « qu’opposition de gauche » au gouvernement, ni d’expulser le PS du champ de la gauche pour que les travailleurs, les précaires, les opprimés reconnaissent les leurs et accourent dans leur direction le poing levé, le drapeau déployé. C’est pour cela qu’il faut, parallèlement à cette dénonciation implacable du PS, reprendre l’initiative dans la bataille pour la conquête de l’hégémonie culturelle. Donc, efforçons-nous à rendre désirable et crédible nos énoncés politiques, pour faire en sorte que l’horizon post-capitaliste que nous défendons s’éclaircisse enfin, et devienne à nouveau une utopie mobilisatrice pour ceux et celles qui sont censés toujours former, collectivement, le sujet social de l’émancipation.
Hugo Melchior