Il ne faut pas s’y tromper. Si la présidente du Medef, Laurence Parisot, appelle la réunion du 23 octobre (Medef, CGPME, confédérations syndicales) une séance de « délibération sociale », elle vise à la fois à en faire un tremplin pour lancer le programme réactionnaire du Medef, mais aussi à contrôler la moindre initiative politique qui pourrait venir d’une alternance de gauche en 2007. En 2001-2002, Seillière avait déjà fait une tournée de meetings préélectoraux. Mais la droite revenue au pouvoir, il l’a laissée légiférer à outrance pour casser l’ordre social déjà dégradé : les 35 heures — deux lois pour tenter de les anéantir ! —, les retraites, l’assurance maladie, les dérogations aux normes, etc. Une inflation législative sans précédent, sans oublier les ordonnances oukases de Villepin ! Avant 2007, voici donc revenu le temps où la loi redevient diabolique, et où les « partenaires sociaux » doivent afficher leur « autonomie » face à l’État.
En fait d’autonomie, les syndicats se laissent prendre en bloc dans la toile habilement tissée par Laurence Parisot. La CGT semble consciente du piège, et elle hésite à cautionner cette opération politique. Il faut espérer, qu’en son sein, cette prise de distance soit fortement confirmée. Car le drame syndical de cet automne, après la victoire du CPE et du front des douze syndicats, c’est que le syndicalisme demeure incapable de consolider ce front. Pas même de proposer qu’il se maintienne, par exemple en ouvrant un débat intersyndical sur les questions revendicatives urgentes (précarité, chômage, contrat de travail), en ouvrant la presse syndicale à des contributions et des controverses, en organisant des forums publics ouverts, etc. Et tout cela avant de voir le Medef. C’est donc le Medef, en les convoquant, qui réunit les syndicats !
Le patronat veut ouvrir trois chantiers, avec des groupes de travail, non pour négocier - le Medef sabote la négociation sur la pénibilité au travail depuis plus d’un an -, mais pour aboutir à un diagnostic partagé : contrat de travail, assurance chômage, sécurisation des parcours professionnels. Or, sur chacun de ces dossiers, mettre le petit doigt dans un état des lieux supposé convergent avec le Medef, c’est, à coup sûr, un suicide de l’indépendance syndicale. Même si Parisot n’a pas le langage de « tueur » qu’affectionnait son prédécesseur, elle use et abuse de la métaphore familiale la plus rétrograde. Après avoir comparé la précarité du travail à l’instabilité de « la vie et l’amour », elle compare maintenant les licenciements à une « séparation » à l’amiable, comme le « divorce depuis 1975 ». Plus besoin de lois et de code : on se met d’accord « par consentement mutuel ». Comme le dit Jean-Claude Mailly (FO) : c’est le « code civil au lieu du code du travail ». Laurence Parisot n’est d’ailleurs pas une fan du « contrat unique » de Sarkozy, sans doute encore trop réglementé. Elle préfère des contrats multiples « adaptés à chaque situation », c’est-à-dire le contrat de gré à gré, le retour au XIXe siècle, vieux rêve du patronat. La revendication patronale est donc claire : au minimum, généraliser le contrat nouvelles embauches (CNE) à toutes les entreprises, comme le disent Denis Gautier-Sauvagnac (Medef-métallurgie) et la CGPME, pour pouvoir « se séparer » du salarié à tout moment. Faut-il faire un groupe de travail sur une telle agression ?
Au sujet de la « remise à plat » de l’assurance chômage, le même Gautier-Sauvagnac, négociateur à l’Unedic, et Laurence Parisot veulent « repenser l’articulation des compétences entre l’État, ce qui relève de la solidarité nationale, et les entreprises et les salariés, ce qui relève d’une logique d’assurance ». Ce qui signifie entériner la fragmentation entre les bons chômeurs « employables », et les SDF de l’emploi. Contre cette vision, il faudra construire le rassemblement et le rapport de force.