Dans un revirement historique, trente-six ans après avoir limité les couples à une seule naissance, le Parti communiste chinois (PCC) a annoncé, jeudi 29 octobre, l’adoption d’une politique permettant d’avoir deux enfants. Cette décision a été annoncée à l’issue de quatre jours de réunion de son comité central, qui a approuvé le treizième plan quinquennal, feuille de route économique, politique et sociale qui guidera la Chine jusqu’en 2020. Ce changement a pour but de « répondre au défi du vieillissement de la population » et « d’améliorer la stratégie de développement démographique », a expliqué un communiqué.
La décision était attendue après que le premier ministre, Li Keqiang, eut évoqué en mars une prochaine vague d’ajustements. Les Chinois, préoccupés par leur nombre qu’ils voient comme un poids autant que comme un élément de puissance, ont reconnu au strict contrôle des naissances, mis en place en 1979, d’avoir accéléré la transition démographique. Les officiels mettaient en avant les 400 millions de naissances évitées – un chiffre douteux, car fondé sur des projections de natalité bien antérieures aux changements économiques.
Le « planning familial » est devenu au fil des années synonyme de violente intrusion de l’Etat dans le plus intime de la vie des citoyens. Obsédés par des statistiques déterminantes pour leurs carrières, ses officiels avaient recours aux avortements forcés, selon des procédés barbares et, pour éviter la récidive, allaient jusqu’à imposer la ligature des trompes. Au mois de juin 2012, l’opinion chinoise avait été choquée en découvrant sur les réseaux sociaux la photo d’une jeune femme de la province du Shaanxi, Feng Jianmei, épuisée sur un lit d’hôpital au côté du fœtus, après un avortement sous la contrainte à sept mois de grossesse. Le couple avait déjà un enfant de 5 ans et n’avait pas les moyens de payer l’amende de 40 000 yuans (5 750 euros).
Le mois suivant, Zhang Erli, un ancien directeur des statistiques au sein de la puissante Commission nationale de la population et du planning familial (qui a depuis fusionné avec le ministère de la santé), exprimait ses remords pour le coût de l’enfant unique sur les femmes de son pays sur la chaîne de télévision Phoenix, de Hongkong. « Je suis désolé pour nos femmes chinoises. Je me sens assez coupable. Les femmes chinoises ont fait un sacrifice énorme », reconnaissait M. Zhang, soulignant la responsabilité du gouvernement.
Le problème des enfants dont la naissance n’a jamais été déclarée et qui ont le plus grand mal à progresser dans la société faute d’existence sur les registres officiels subsiste. Il a par ailleurs fallu interdire, en 2001, aux médecins de révéler aux futurs parents le sexe de l’enfant et procéder à des campagnes d’affichage de propagande dans les villages, afin de réduire le nombre d’avortements sélectifs de filles. Certains couples vont réaliser ces échographies à l’étranger. Du fait de l’enfant unique et d’un biais culturel, 118 garçons naissent en Chine pour 100 filles, alors que la moyenne mondiale est de 103 contre 107.
Le fardeau du vieillissement
L’officiel retraité Zhang Erli juge la décision de jeudi bienvenue, mais bien tardive. Arrivé dans les bureaux du planning familial en 1988, il dit avoir eu dès 1995 la conviction personnelle que « vivre une vie heureuse est plus important que le contrôle de la population ». Il y a dix ans, M. Zhang calculait avec des démographes que la main-d’œuvre aura considérablement réduit à l’horizon 2035, avec pour conséquence un fort impact sur l’économie. « Il aurait été préférable de procéder à ce changement plus tôt et beaucoup d’entre nous avaient écrit au gouvernement pour exprimer ce sentiment », dit M. Zhang. Mieux vaut tard que jamais, juge-t-il, « mais le moment le plus approprié pour revenir sur cette politique est déjà derrière nous ».
A 1,36 milliard d’habitants en 2014, selon la Banque mondiale, la population chinoise est toujours la première de la planète, mais elle pourrait être détrônée rapidement par l’Inde. L’indice de fécondité chinois est tombé à 1,7 enfant par femme et seulement 17 % des Chinois ont aujourd’hui moins de 14 ans, contre une moyenne mondiale de 27 %.
A celle des droits humains – qui d’ailleurs n’était pas évoquée dans la décision de jeudi – s’est donc progressivement ajoutée une évidence démographique. Le vieillissement constituera un fardeau pesant sur les épaules de la nouvelle génération chinoise, qui devra financer les personnes âgées, un modèle résumé par la formule « 4-2-1 », un jeune travailleur qui aurait tous ses grands-parents devant potentiellement leur venir en aide, ainsi qu’à ses père et mère.
Resserrement du débat politique
Arrivé à la tête du PCC il y a trois ans, Xi Jinping a procédé à un implacable resserrement sur le débat politique, mais s’est en revanche montré ouvert à des évolutions sur des questions de nature plus sociale, au premier rang desquelles le planning familial mais aussi le « hukou », un passeport intérieur limitant l’accès aux services publics des ruraux migrant vers les villes qui est progressivement réformé. L’annonce d’une « politique des deux enfants », fruit déjà largement mûr, contribuera à prouver que les réformes avancent à bon train dans un contexte de ralentissement économique qui laisse champ aux voix s’interrogeant sur la capacité de l’équipe du tout-puissant Xi Jinping à moderniser la Chine.
Pour le démographe Liang Zhongtang, de l’Académie des sciences sociales de Shanghaï, la réforme annoncée jeudi s’imposait au pouvoir. Malgré ce changement, M. Liang continue de soutenir qu’il n’est pas dans les prérogatives de l’Etat de fixer le nombre d’enfants auxquels le peuple a droit de donner naissance. « Ce n’est pas une question d’un ou de deux, il faut se débarrasser entièrement de la politique de planning familial. Le nombre d’enfants qu’a un couple est une décision qui lui appartient à lui, pas au gouvernement », dit M. Liang.
Des effets limités
En novembre 2013, un an après l’accession de M. Xi au poste de secrétaire du parti, le PCC avait annoncé ouvrir la possibilité d’avoir un deuxième enfant si un seul des deux parents est lui-même enfant unique. Il s’agissait déjà là d’une ouverture, puisqu’il fallait auparavant que les deux futurs parents soient fils et fille uniques pour être autorisés à donner la vie une seconde fois. D’autres exceptions couraient de plus longue date, notamment pour les paysans ayant d’abord eu une fille et pour les ethnies minoritaires.
Or les effets de la réforme de 2013 restent relativement limités. Le pays a enregistré 16,8 millions de naissances en 2014, soit 470 000 de plus que l’année précédente. Les maternités n’ont pas été prises d’assaut. Selon une étude réalisée plus tôt en 2015, sur les onze millions de couples qui remplissaient le critère d’un seul parent lui-même enfant unique et pouvaient ainsi profiter de la réforme de l’automne 2013, seuls 40 % disaient en fait envisager un second enfant.
C’est que les jeunes couples n’aspirent absolument pas à fonder des familles nombreuses. A Shanghaï, une étude réalisée par l’université Fudan a montré en mars que seulement 15 % des femmes de la ville la plus peuplée du pays, et aussi l’une des plus riches, seraient désireuses d’avoir deux enfants. 58 % d’entre elles citaient le poids financier comme principal motif de refus, venaient ensuite le problème des crèches pour s’occuper des enfants et le prix des logements. « L’impact démographique se fera peut-être ressentir dans dix ans, mais il ne sera pas majeur car les jeunes d’aujourd’hui ne désirent pas avoir davantage d’enfants », estime Zhang Erli, le haut officiel retraité du planning familial.
Harold Thibault (Pékin, correspondance)
Journaliste au Monde