L’attentat évité fortuitement dimanche 19 avril, et qui selon toute vraisemblance aurait visé une église de Villejuif (Val-de-Marne), a suscité une controverse. Pas tant sur la capacité des forces de sécurité à prévenir ce risque que sur l’éventuelle récupération politique qu’en ferait le pouvoir. A quelques jours du vote de la loi sur le renseignement, prévu le 5 mai, qui légalisera la surveillance de citoyens sans contrôle judiciaire, l’exécutif ne tente-t-il pas d’instrumentaliser cet épisode pour justifier un texte jugé liberticide par ses opposants ?
Si, à en croire Henri Guaino, député UMP des Yvelines, qui a annoncé qu’il ne voterait pas la loi. L’ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy à l’Elysée a déploré « une surexploitation et une surdramatisation qui créent une angoisse générale », tout en estimant que « le premier ministre n’a pas à venir commenter ce qui vient de se passer ». Manuel Valls s’en défend. « Une personne a été tuée. Victime du terrorisme. Que fallait-il faire ? Si on ne communique pas, on nous reprochera d’avoir quelque chose à cacher. Le débat sur la loi sur le renseignement n’a rien à voir là-dedans. Rien ni personne n’empêche qui que ce soit de s’opposer à ce projet », réplique l’entourage du premier ministre.
Le pouvoir le répète depuis plusieurs mois : la France est une cible privilégiée des terroristes, et un attentat peut se produire à tout moment sur le territoire. Brandissant le « sens de l’Etat », M. Valls stigmatise ceux qui voient dans la loi sur le renseignement une atteinte aux libertés. Et, quoi que son entourage tente d’expliquer dans des « éléments de langage », la médiatisation bien maîtrisée de l’attentat évité à Villejuif a tout l’air de s’inscrire dans cette stratégie.
Se distinguer de ses prédécesseurs
C’est le président du groupe socialiste au Sénat, Didier Guillaume, qui, le premier, a donné le ton : « Nouvel attentat déjoué hier, et on chipoterait sur la loi renseignement ? », a-t-il lâché mercredi 22 avril sur son compte Twitter. Le lendemain, invité de la matinale de France Inter, M. Valls a renchéri : « Cette loi se veut efficace (…). Elle aurait donné plus de moyens aux services de renseignement pour effectuer un certain nombre de surveillances. » Et, comme pour mieux dramatiser la situation, le premier ministre a laissé tomber cette information : « Depuis janvier, de nombreux attentats ont été déjoués, cinq compte tenu de l’attentat qui n’a pas eu lieu à Villejuif. »
Quelques heures plus tard, Matignon rectifiait dans un communiqué diffusé par l’AFP. Ce n’est pas cinq depuis janvier, mais quatre depuis 2013. Quand ? Où ? Lesquels ? Nul ne le sait. La veille dans la soirée, le président de la République, s’alarmant de « la menace terroriste », évoquait à son tour « un texte en discussion » qu’il soumettra lui-même au Conseil constitutionnel, une fois celui-ci voté par le Parlement, tout en souhaitant « que ce texte puisse être adopté ».
Attentats de janvier et polémiques sur la sécurité obligent, l’exécutif muscle désormais son discours. Jusqu’à fin 2014, le gouvernement préférait en dire le moins possible, prétextant la discrétion plus efficace que la publicité. En filigrane, le gouvernement de gauche cherchait ainsi à se distinguer de ses prédécesseurs de droite. Lesquels étaient régulièrement suspectés de jouer sur les peurs afin de justifier des politiques toujours plus sécuritaires.
Au débotté
Désormais, ces précautions semblent bien remisées. Dans l’affaire de l’attentat évité de Villejuif, dès mercredi matin et sitôt les premières rumeurs, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a invité par texto au débotté quelques journalistes. Des informations avaient commencé à fuiter dans la matinée sur RTL et M6 : un individu de 24 ans, étudiant d’origine algérienne, était en garde à vue depuis dimanche 19 avril dans une affaire de terrorisme. Il était suspecté d’avoir assassiné ce même jour à Villejuif, Aurélie Châtelain, dans des conditions qui restent encore troubles. Selon toute vraisemblance, Sid Ahmed Ghlam, mis en examen et écroué vendredi 24 avril pour « assassinat, tentative d’assassinat et association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste », préparait une attaque tout aussi spectaculaire que meurtrière.
La loi sur le renseignement, qui devrait entrer en vigueur dans les prochains mois – si le Conseil constitutionnel ne la censure pas – aurait-elle permis de l’appréhender avant qu’il entame son action meurtrière ? Cela reste à prouver. En tout cas, l’utilisation d’événements dramatiques pour légitimer des décisions politiques ne date pas d’aujourd’hui. En son temps, Nicolas Sarkozy faisait réviser les lois après des faits divers tragiques. Avant lui, Jacques Chirac en 2002, s’était saisi de l’agression d’un homme quelques jours avant le premier tour de l’élection présidentielle pour fustiger la politique du gouvernement Jospin en matière de sécurité.
Yves Bordenave
Journaliste au Monde