Qui a gagné la guerre ? Hassan Nasrallah ? Ehud Olmert ? George W. Bush ? Et surtout, quels sont les critères de la victoire ?
Même si le prix payé a été très lourd, il ne fait pas de doute que la victoire militaire a été au Liban. D’abord par la capacité des combattants du Hezbollah à empêcher l’armée israélienne de réussir une nouvelle invasion du sud du Liban et à résister à 32 jours de bombardements intensifs aériens, terrestres et maritimes. C’est du jamais vu dans l’histoire des guerres israélo-arabes. Mais aussi la formidable solidarité montrée par toutes les composantes de la population libanaise vis-à-vis de la résistance et des centaines de milliers de réfugiés fuyant les zones de bombardements massifs et continus.
Israël, les Etats-Unis et certains Etats arabes ont pensé que le peuple libanais se désolidariserait du Hezbollah ; c’est le résultat inverse qu’a obtenu l’agression israélienne sur le Liban. Les Israéliens et leurs protecteurs américains ont fini par accepter la “fin des hostilités” uniquement parce que l’échec de l’armée israélienne face à la résistance des combattants et de la population dans son ensemble devenait trop embarrassant. La bataille a donc été transportée sur le plan politique où elle est loin d’être terminée. Les grandes manœuvres de la diplomatie aux Nations unies se sont efforcées de transformer la défaite militaire sur le terrain en victoire politique à travers la résolution 1701 du Conseil de sécurité. Les Etats-Unis et Israël, avec l’appui de l’Europe, essaient d’imposer une interprétation de cette résolution qui vise à mettre le Liban sous mandat international et à obtenir l’éradication des capacités militaires du Hezbollah. C’est une bataille qui ne fait que commencer.
Les interprétations ont divergé quant aux raisons et objectifs de la guerre : agression israélienne ou “coup” du Hezbollah ?
Il est assez difficile à ce stade de se prononcer sur cette question avec certitude. Cependant, beaucoup d’analyses américaines recoupent ce qu’affirme le chef du Hezbollah, à savoir qu’Américains et Israéliens avaient planifié ensemble depuis quelques mois une agression majeure sur le Liban pour éradiquer le Hezbollah du sud du pays. À ceci on peut trouver deux raisons : d’un côté la nécessité pour l’armée israélienne de redorer son blason entamé par son retrait du Liban en 2000 sous les coups de la résistance du Hezbollah ; de l’autre la nécessité pour George Bush d’enfoncer encore plus le Moyen-Orient dans l’hystérie de la guerre contre le “terrorisme” en réaffirmant le caractère “terroriste” du Hezbollah et la nécessité de l’éradiquer pour gagner cette guerre.
Hassan Nasrallah semble avoir mis de l’eau dans son vin, ceux qui ont dénoncé son aventurisme au début de la guerre auraient-ils eu raison ?
Hassan Nasrallah est un pragmatique et un patriote libanais qui n’a pas voulu être la cause d’une continuation de l’agression israélienne, surtout après que la résistance a réussi militairement et qu’Israël a donné des signes d’essoufflement militaire. C’est aussi un homme d’Etat qui a compris que désormais la bataille se déplaçait au niveau politique. Dans cette bataille, il a marqué des points puisque les Américains et les Français ont dû revoir leur copie au Conseil de sécurité et faire des compromis qui ont abouti à la résolution 1701 qui ne donne pas mandat à la FINUL renforcée de désarmer le Hezbollah ; quant à l’armée libanaise qui se déploie au sud, son mandat, tel que défini par le Gouvernement libanais, est la défense du territoire libanais contre toute agression externe, c’est-à-dire israélienne, et non point le désarmement. En revanche, les Occidentaux et leur allié israélien marquent des points en ce qui concerne le contrôle de tout ce qui rentre au Liban sous prétexte d’empêcher l’arrivée d’armes au Hezbollah.
Dans la rue arabe, Nasrallah s’est imposé comme la nouvelle icône de la résistance, au-delà des divisions idéologiques et confessionnelles...
Depuis la disparition de Nasser, Nasrallah est la première personnalité arabe qui ne pratique pas la langue de bois, mais au contraire procède à des analyses réalistes et intelligentes de la situation du monde arabe et redonne du tonus aux sentiments nationaux et patriotiques libanais et arabes. Le paradoxe ici provient du fait qu’il est un “religieux”, mais en réalité la teneur de sa pensée est on ne peut plus profane et son discours est bien plus nationaliste libanais et arabe que “nationaliste musulman”. De plus, il a une maîtrise exceptionnelle du langage, des concepts politiques modernes et sait s’adresser à toutes les catégories de la population avec le vocabulaire et la sensibilité politique adéquats. Il ne pratique pas la rhétorique démagogique. Il est modeste et simple. Comment ne pas devenir une nouvelle icône ! L’agenda enclenché par la résolution 1559 semble aujourd’hui contrarié, pensez-vous que la nouvelle donne va renforcer les islamistes dans la région ?
Cet agenda a été contrarié depuis longtemps, lorsque les Libanais ont décidé que la question du désarmement du Hezbollah était une question intérieure qui ne relevait pas d’une décision des Nations unies et que seul un “dialogue national” interne pouvait la résoudre. Israël a d’ailleurs justifié son agression en affirmant à plusieurs reprises qu’il agissait pour appliquer cette résolution, puisque le gouvernement libanais avait été incapable de le faire ! Un comble, lorsque l’on sait qu’Israël n’a jamais respecté une seule des résolutions de l’ONU qui le concerne et se trouve en infraction permanente par rapport aux Conventions de Genève. Le Hezbollah, comme je viens de le mentionner, n’a pas de discours islamiste ; il ne pratique aucunement le vocabulaire des mouvements de type jihadiste à la Ben Laden, vocabulaire qui rend service à la rhétorique américaine de guerre des civilisations et des religions. Le discours patriotique et nationaliste de cette résistance libanaise devrait, à la longue, infléchir les différentes rhétoriques islamistes pour les faire sortir de leur aspect délirant et les faire entrer dans les différentes réalités nationales, locales et panarabes.
Dans la reconstruction qui s’annonce, les défis à relever sont immenses et la politique menée par le défunt Hariri très critiquée. Etes-vous optimiste pour l’avenir ?
J’ai moi-même publié dans la presse libanaise une “Charte de la Reconstruction” destinée à éviter les erreurs monumentales de conception et de gestion de la précédente reconstruction qui ont endetté le Liban jusqu’au cou (40 milliards de dollars) pour des travaux et des indemnités qui n’ont pas dépassé 7 milliards. Le problème auquel nous avons à faire face est celui des réseaux de corruption qui sont toujours là et très influents au gouvernement. Il faudrait des élections anticipées après adoption d’une nouvelle loi électorale qui permette d’obtenir des changements majeurs en permettant l’émergence d’une nouvelle classe politique n’appartenant pas à ces réseaux.