Fin de l’acte I ?
C’est dans une ambiance lourdement plombée par la situation née des attentats du 7 janvier et ses suites que le Comité confédéral national a tenté ce mardi 13 janvier de mettre fin au premier acte de sa crise.
Celle-ci avait démarrée fin octobre avec la révélation par le Canard enchaîné de la lourde facture réglée pour l’aménagement de l’appartement de fonction de Thierry Lepaon.
Entêtement bureaucratique
De semaine en semaine, la succession des révélations a abouti à un discrédit complet du secrétaire général. Une défense mensongère et le décryptage de la Commission fédérale de contrôle ont fini de convaincre une majorité du Comité exécutif confédéral d’accepter la laborieuse démission du secrétaire général et du bureau confédéral.
Pourtant, dès les premières révélations, de nombreux militantEs et structures ont marqué franchement leur indignation et leur condamnation des pratiques de Lepaon couvertes par une partie de l’appareil confédéral. Ces condamnations sont entrées en résonance avec les critiques des positionnements politiques et de la stratégie de mobilisation de la direction confédérale. Au fil des semaines, sa gestion de la crise a augmenté les tensions au sommet de l’appareil ainsi que son discrédit.
A contrario, l’étonnante résistance de Lepaon trouve son origine dans la solidarité politique et d’appareil d’une grande partie des directions de fédérations et d’unions départementales qui ne se sont que rarement démarquées de la direction confédérale. Cette résistance a pris la forme des manœuvres successives de Lepaon pour échapper à sa démission. Convocation d’une réunion non statutaire des fédérations et unions départementales, mise à l’écart du responsable financier, mise à disposition de sa démission devant le CCN, mise en place d’une commission de candidatures, et pour finir d’un bureau fédéral « à sa main »...
Il aura fallu que des critiques violentes, des prises de position venant de structures intermédiaires, parfois contre l’avis de leur représentantEs « officiels », de personnalités difficilement critiquables (Viannet) pour que les sommets de l’appareil en viennent à imposer des mesures un peu plus radicales.
Une crise qui vient de loin
C’est de ces contradictions que vient la difficulté à sortir d’une crise dont les ressorts sont les mêmes que ceux qui avaient été mis en évidence au moment de la succession de Bernard Thibault. Avec tout d’abord une crise d’orientation politique. Face à la politique d’agression sociale, l’enlisement confédéral dans le dialogue social et la stratégie du syndicalisme rassemblé est en échec et contesté par une large frange de militantEs.
Ensuite la crise de fonctionnement d’une confédération sans fil à plomb politique, en difficulté de renouvellement d’équipes dirigeantes depuis les syndicats de base jusqu’au sommet de l’appareil, en difficulté face aux restructurations de l’appareil productif à l’évolution du salariat.
Dans ce contexte, les réactions des équipes dirigeantes, de l’appareil, sont depuis longtemps éclatées. Des évolutions « modernistes », faites de démocratie et d’acceptation du cadre du système, aux formes de repli « stalinien », faits de conservatismes organisationnels (comme le maintien dans la Fédération syndicale mondiale), et de discours radicaux, parfois plus de posture que de construction réelle de mobilisations. Avec de multiples variations entre les deux.
Une vraie fausse sortie de crise
La désignation éventuelle de Philippe Martinez au poste de Secrétaire général provisoire ou définitif ne résoudra aucune de ces crises. Au final, elle ne résultera que d’un compromis entre les responsables des principales fédérations et unions départementales qui risque de n’être qu’un écran de fumée pour tenter de faire croire à une « réunification » de la CGT.
Pourtant, nombre de prises de position de fédérations, unions départementales, syndicats, posent comme incontournable de lier les questions d’orientations à celles du fonctionnement. En ce qui concerne le fonctionnement, au delà de règles de vie compatibles avec les valeurs de la CGT, la préparation du 51e congrès confédéral doit être l’occasion d’une démocratie réelle dans les débats, dans les désignations des déléguéEs, dans l’élection des directions. Un chantier qui pourrait d’ailleurs être ouvert lors de la préparation des congrès fédéraux ou départementaux qui vont se dérouler dans les mois qui viennent.
Mais surtout, la confiance des militantEs, la reconnaissance de l’utilité de la CGT par les salariéEs se reconstruira d’autant mieux, sur de meilleures bases, qu’elle sera lié à la construction des indispensables mobilisations contre les politiques patronales et gouvernementales. Le début de débat sur la loi Macron le 26 janvier est ainsi une échéance essentielle pour que, face à « l’union nationale », se construise l’unité de classe des travailleurEs.
Robert Pelletier
* Paru dans l’Hebdo L’Anticapitaliste - 272 (15/01/2015). http://www.npa2009.org/
CGT : quelle sortie de crise ?
Ainsi, Thierry Lepaon fait de la résistance. Jusqu’à quand ?
Après avoir laissé passer les orages médiatiques, le secrétaire général de la CGT, appuyé par une partie du bureau confédéral et de la commission exécutive confédérale, a organisé une patiente contre-offensive. Le trésorier confédéral a servi de fusible à retardement autour des questions soulevées par les factures d’appartement et de rénovation de bureaux. La retraite « casquette » est défendue comme légitime pour compenser les retards de cotisation retraite, conséquences de plusieurs années de chômage, une pratique habituelle dans la CGT. Si de nombreuses structures, de nombreux militants s’indignent, protestent contre ces pratique, les rebondissements et la prolongation des attaques ont comme conséquence des réflexes d’autodéfense de la confédération.
Cette résistance, ces réflexes ne trouvent un écho, une assise, que parce que les questions soulevées traversent toute la CGT, comme l’ensemble du mouvement ouvrier, et ceci depuis même leurs premiers pas.
Dès la naissance d’organisations censées représenter le mouvement ouvrier, les directions ont pris prétexte des difficultés de la situation, de la période, pour justifier leurs renoncements. Cette adaptation politique est allée de pair avec un rapprochement des modes de fonctionnement, des modes de vie de celles et surtout d’ailleurs de ceux qui se sont portés dans les directions, avec ceux de leurs « adversaires ».
Mordre la main qui te nourrit ?
Une des difficultés tient au fait que cette institutionnalisation ne s’est pas limitée aux sommets des appareils mais s’est étendue à l’ensemble des organisations. Dès la mise en place des délégués du personnel en 1936, quelques voix (alimentées par un fond d’anarcho-syndicalisme encore présent à ce moment dans la CGT) se sont élevées pour mettre en doute l’indépendance de délégués dont l’activité militante serait rémunérée par les patrons.
La multiplication des commissions, des négociations collectives a donné de l’ampleur, une assise matérielle à des différenciations où les dérives politiques accompagnent les dérives de fonctionnement. Après 1945, le développement des comités d’entreprise et d’un secteur nationalisé ont accéléré l’institutionnalisation, la bureaucratisation jusqu’au niveau de l’entreprise.
L’élargissement des moyens matériels des appareils syndicaux est allé croissant avec le développement de la formation professionnelle, du secteur nationalisé, des diverses structures prolongeant les comités d’entreprises (conseil d’administration, comité centraux d’entreprise, comités de groupe, comités de groupe européens, voire mondiaux). Dans ces institutions, les modes de désignation vont de pair avec des fonctionnements technocratiques et des modes de vie (hôtels, repas, déplacements, soirées festives, etc.) qui éloignent rapidement des difficultés rencontrées au quotidien par les militants et les salariés.
Cette bureaucratisation faite d’intégration politique et de différenciation sociale imprègne largement l’ensemble des organisations syndicales, parfois au cœur même des entreprises notamment dans les grands groupes (Renault, EDF-GDF, grands groupes de la sidérurgie, de la chimie, etc.). Cela explique la frilosité de nombre de structures dans la remise en cause des fonctionnements confédéraux.
Le tout étant totalement lié aux stratégies syndicales faites de capitulation face au patronat et au gouvernement.
Reconstruire le mouvement ouvrier
Malgré tout, ce qui est notable dans les développements de l’actuelle crise de la CGT, c’est que les prises de positions de nombreuses structures lient les deux questions. Celle de l’orientation et celle de la démocratie syndicale. Mais dénoncer ne suffira pas. Il faut indiquer des pistes pour sortir de la crise de la CGT et du mouvement syndical.
Faire vivre la démocratie syndicale, construire une orientation « lutte de classe », non seulement indépendante du gouvernement, du patronat mais en opposition totale avec leurs politiques, signifie s’attaquer à la reconstruction d’un mouvement ouvrier sur ces bases.
Cela ne saurait se faire indépendamment d’une modification du rapport de forces entre les classes, d’un renouveau significatif des mobilisations. La prochaine échéance est la construction d’une mobilisation à la hauteur des enjeux portés par la loi Macron.
Robert Pelletier
* Paru dans la Revue l’Anticapitaliste n°61 (janvier 2014) http://www.npa2009.org/
Vers quelle sortie de crise ?
La crise que traverse la CGT met en évidence l’impasse dans laquelle se sont engagées les directions de la confédération au fil du temps, cela quelque soient les positionnements des différentes structures. Lepaon se maintient encore car la tradition et les pratiques de la CGT ne permettent aucune sortie de crise simple, qui réponde aux problèmes soulevés.
Le fonctionnement complètement bureaucratique ne laisse la place à aucune critique, aucune alternative même minimum, que ce soit des équipes dirigeantes ou dans le domaine des orientations. Pour ce qui est des dirigeantEs, les multiples péripéties qui avaient abouti à l’élection par défaut de Lepaon avaient déjà montré qu’une fois abandonné le mode de tri fait par le bureau politique du PCF, les différents appareils ont bien du mal à se mettre d’accord.
En ce qui concerne l’orientation, la pression exercée au cœur de la crise par le patronat et le gouvernement laisse peu de place à une stratégie qui refuse l’affrontement tout en répondant aux colères accumulées.
Des positionnements multiformes
Ces difficultés se retrouvent dans les déclarations qui montent de dizaines de structures de la confédération. Venues de fédérations, unions départementales, unions locales, syndicats locaux, régionaux, nationaux, personnalités, etc. les prises de positions se multiplient, avec des préoccupations et des propositions multiples.
De ces déclarations et du déroulement de la réunion des responsables de structures du lundi 15 décembre se dégagent plusieurs positionnements. Tout d’abord, une partie non négligeable de ces responsables affirment un soutien à Lepaon, avec des motivations différentes faites soit de repli identitaire soit de soutien de fond. Il y a également de nombreuses structures qui se « contenteraient » de la démission du secrétaire général. Mais le plus grand nombre de structures se prononcent ouvertement pour la démission de l’entièreté du bureau confédéral, avec à la clef la préparation d’un congrès extraordinaire posant à la fois les questions de fonctionnement et celles d’orientation.
Une bataille à l’issue incertaine
Ces différentes prises de positions ont au moins le mérite de refléter, même de façon déformée et pour des motivations variables, la multiplicité des réactions et exigences des syndiquéEs. Reste à savoir comment vont évoluer les positionnements dans les semaines qui restent jusqu’au prochain comité confédéral national, instance officielle et décisionnelle qui se déroulera le 17 janvier.
Une préoccupation est largement partagée : ne pas reproduire la cacophonie de l’élection de Lepaon. C’est pour cela que la solution du maintien de l’actuel secrétaire général n’est pas complètement à écarter. L’autre porte de sortie consisterait en la mise en place d’une équipe collégiale provisoire pour préparer un congrès extraordinaire. Il n’est pas sûr que l’absence d’homogénéité des partisans de la démission du bureau confédéral, préalable à cette solution, permettent cette sortie par le haut. Et ce d’autant plus que les problèmes ne feraient alors que commencer : comment débattre démocratiquement de l’orientation de la confédération, d’une orientation stratégique qui permette de sortir de l’attentisme actuel de la CGT ?
Une alternative à partir de la mobilisation ?
Les traditions, les habitudes ancrées dans la CGT rendent l’issue de ces pistes fort aléatoire. Les compromis pour faire bouger les lignes le moins possible, pour préserver les prérogatives de chaque appareil, risquent fort de l’emporter.
La meilleure façon de (re)construire une image de la CGT conforme à celle qu’ont encore une grande partie des syndiquéEs, des salariéEs, celle d’un syndicat qui défend leurs intérêts, serait de se lancer dans la construction de l’affrontement au patronat, au gouvernement. L’organisation du combat contre la loi Macron, véritable provocation antisociale montée par le gouvernement, pourrait être la meilleure façon d’affirmer que la CGT n’est pas morte.
Robert Pelletier
* Paru dans l’Hebdo L’Anticapitaliste - 269 (18/12/2014). http://www.npa2009.org/
Pourquoi Lepaon résiste ?
La « démission » du trésorier confédéral, fusible à retardement, et la convocation d’un Comité confédéral national (CCN) extraordinaire en janvier ne répondent pas vraiment aux attentes des nombreux militantEs indignés.
Depuis plusieurs semaines, ils et elles souhaitent que la direction confédérale prenne des sanctions contre les responsables des dérives de l’appareil, assure une transparence dans le fonctionnement, et revoie son orientation politique.
Des réactions révélatrices
« La crédibilité des syndicats auprès des salariés est à un niveau historiquement bas. La crise de la CGT va accentuer cet affaiblissement. Ce n’est pas bon pour le dialogue social et cela risque de libérer des forces non maîtrisées, conduire certains à se radicaliser sans être encadrés. C’est l’intérêt du pays que la CGT retrouve son unité, sa force et arrête un programme clair pour notre temps », dit Raymond Soubie, ex-conseiller « social » de Sarkozy... Cette déclaration illustre un des enjeux essentiels de la crise traversée par la CGT.
Les dernières révélations de la presse concernant l’indemnité de licenciement octroyée à Lepaon lors de son passage de la Basse-Normandie à la Confédération, même présentée comme une compensation retraite à plusieurs années de chômage, a fait franchir un nouveau pas à son discrédit.
En même temps que montent de nombreuses protestations des militantEs, de multiples structures, Lepaon fait de la résistance et refuse de quitter son poste. Si ces révélations et ses justifications ont d’abord suscité stupeur et colère, leur multiplication dans la période des élections professionnelles dans la fonction publique a commencé à susciter un réflexe de repli, d’autodéfense de la CGT.
De la bureaucratie
En fait, ces révélations illustrent la prise de distance d’un certain nombre de dirigeants avec les valeurs du syndicalisme portées par la majorité des militantEs. Les dérives du secrétaire général ne sont que la partie rendue visible de pratiques très répandues dans l’ensemble des appareils syndicaux.
Cette distance est totalement liée aux positionnements politiques de ces responsables fait d’attentisme, de complaisance, de dialogue social, de pactisation avec le patronat et avec les différents gouvernements. C’est bien là le sens de la fameuse déclaration de Lepaon : « il n’y a pas d’opposition de principe entre patronat et salariés », de ses hésitations sur le fait de ne pas participer à la Conférence sociale de juillet dernier, ou des propositions de recul sur la question des seuils sociaux.
C’est ce qui permet de comprendre qu’à ce jour, seul le trésorier confédéral ait servi de fusible. Car bien entendu, cette orientation a le soutien d’une majorité des instances dirigeantes – bureau confédéral, commission exécutive confédérale –avec, pour le moins, la passivité du CCN.
Remises en cause profondes
Lepaon et son entourage espéraient, en les rencontrant de façon informelle, obtenir une neutralité passive des dirigeants fédéraux ou régionaux, plutôt que de convoquer un CCN où pourrait se dégager une majorité qui a les moyens juridiques d’imposer son départ...
Ce départ serait pourtant le « minimum syndical » pour répondre à la légitime indignation des militantEs, et répondre au désaveu des salariéEs qui s’est exprimé dans les élections professionnelles dans la fonction publique.
Mais une fois cela réglé, les questions les plus importantes resteront posées : une totale transparence sur le financement et l’utilisation de ces moyens, et la transformation du fonctionnement pour garantir la démocratie et donner un minimum de sens au mot d’ordre CGT, « syndiqué acteur-décideur ». Mais surtout il faut rompre avec une orientation qui avalise, voir anticipe, des reculs sociaux, de rompre franchement avec le dialogue social.
L’urgence, c’est d’organiser la mobilisation contre les projets patronaux et gouvernementaux et dans l’immédiat contre le projet de loi Macron. Un ordre du jour chargé pour le CCN convoqué exceptionnellement dans quelques semaines, en janvier.
Robert Pelletier
* Paru dans l’Hebdo L’Anticapitaliste - 268 (11/12/2014). http://www.npa2009.org/